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WINTER’S BONE (critique – drame)

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note 7
Carte d’identité :
Nom : Winter’s Bone
Mère : Debra Granik
Livret de famille : Jennifer Lawrence (Ree), John Hawkes (Teardrop), Kevin Breznahan (Arthur jeune), Dale Dickey (Merab), Garret Dillahunt (shérif Baskin), Sheryl Lee (April), Tate Taylor (Satterfield), Lauren Sweetser (Gail)…
Date de naissance : 2010
Nationalité : États-Unis
Taille/Poids : 1h40 – 2 millions $

Signes particuliers (+) : Un magnifique drame intimiste social américain mettant en relief la dureté de la vie dans les coins reculés de l’Amérique à travers un récit initiatique bouleversant révélant la jeune mais impressionnante Jennifer Lawrence.

Signes particuliers (-) : Quelques éléments empruntés à l’héritage du style « indé » à l’américaine.

 

LA RECETTE DU PÈRE PERDU

Résumé : Dans les monts Ozark du Missouri, Ree Dolly vit seule avec sa mère invalide, son petit frère et sa petite sœur, dont elle s’occupe au quotidien. Lorsqu’un agent du service des cautions se présente pour lui apprendre que son père, qu’ils ne voient jamais, a disparu sans se présenter au tribunal pour son procès, Ree se lance à sa recherche sous peine de perdre la maison familiale qu’il a utilisé comme caution. Pour sauver sa famille risquant de se retrouver sans toit si la demeure est saisie, la jeune fille de 17 printemps va devoir affronter le silence et les dangers des réseaux criminels que côtoyait son paternel…

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Avec Winter’s Bone, la cinéaste Debra Granik atteint la consécration de sa longue et pourtant courte carrière cinématographique entamée en 1997 avec un premier court-métrage très remarqué (Snake Feed) puis poursuivie par un premier long, sept plus tard, Down To The Bone, drame lui ayant valu plusieurs prix au réputé festival de Sundance. Résolument tourné vers un cinéma « de femme » Debra Granik s’attache à nouveau à un personnage féminin fort, pour ce nouveau drame approfondissant les thématiques qui semblent jalonner ses débuts cinématographiques, où le combat acharné d’héroïnes contre des contraintes de vies dures et des obstacles insurmontables qui vont devoir être combattus avec courage et rage du désespoir. Après Vera Farmiga dans sa première œuvre, c’est à la jeune Jennifer Laurence que Granik confie le rôle principal de se second film, un rôle fort qui va d’ailleurs la faire remarquer et lancer la jeune carrière de cette actrice quasi encore infantile au pur talent à l’état brut, rayonnante et au jeu d’une profondeur rare de maturité. Primé dans le monde entier dans les festivals indépendants, de Sundance à nouveau en passant par Berlin, Stockholm ou sur le sol américain, Winter’s Bone va être l’un des temps forts au cinéma de cette année 2010 consacrant définitivement une auteur et révélant une jeune comédienne dont on aura pas fini de parler.

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Il était difficile pourtant pour Winter’s Bone, drame douloureux aux accents initiatiques sur fond de toile sociale sur l’Amérique profonde souvent oubliée et où les conditions de vie y sont très difficiles voire même parfois primitives, de s’extraire de son statut de film indépendant américain. Car le film de Debra Granik a le tort, à sa décharge, de s’inscrire dans une période, dans un style, dans un mouvement déjà pas mal balisé ces dernières années. A la vision du film, difficile par exemple de ne pas penser au Frozen River de Courtney Hunt, autre film de « femmes » à l’esthétique sensiblement similaire, d’autant que les deux films partagent en commun des lieux à la fois différents mais néanmoins très proches, le Missouri pour l’un, la frontière avec le Canada pour l’autre, mais dans les deux cas, des endroits reculés, enneigés où les conditions de vie y sont dures et où la pauvreté y est importante. Des endroits en tout cas sociologiquement très lointains de l’Amérique riche, moderne et industrialisée. Plus victime de son époque et du mouvement dans lequel il s’inscrit où les drames aux accents sociaux se multiplient avec souvent des thématiques similaires ou équivalentes, Winter’s Bones est cependant une œuvre forte.

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Développant une atmosphère mélancolique dans la peinture d’une Amérique rurale, débrouillarde et oubliée vivant presque repliée sur elle-même (le film prenant pour cadre la région des Monts Ozark, sorte de vaste zone étalée sur plusieurs États, au mode de vie particulier et au folklore propre à l’endroit) Winter’s Bone est un récit de survie tragique oscillant entre drame social et polar âpre. L’histoire cruelle de cette jeune fille se lançant dans une quête portée par la rage du désespoir et par l’inconscience de la volonté de survivre, de surmonter les coups durs imposés qui s’accumulent sur ses jeunes épaules, nous place en face d’une glaçante vérité, celle d’une autre Amérique abandonnée, sans pitié, ne faisant aucun cadeau et ne laissant aucun répit à des êtres meurtris devant endosser des responsabilités dantesques sans souci d’humanité. La trajectoire de la jeune Ree est indissociable de la cruauté d’une existence qui aujourd’hui pousse une certaine jeunesse à devoir grandir plus vite qu’elle ne le devrait. Encore adolescente, Ree est obligée, contrainte de devenir adulte, de se battre pour sauver sa famille d’un futur dramatique avec sans cesse une épée de Damoclès pesant au-dessus de sa tête en cas d’échec. Muée et portée par les obligations qu’elle se voit obligée d’endosser, Ree se lance dans une aventure désespérée traduisant la puissance de la combativité quand les siens sont en danger, une combativité donnant la force de soulever des montagnes, de franchir les obstacles les plus grands. Le contexte apportant une atmosphère anxiogène et oppressante en plus d’une galerie de personnages effrayants pour cette jeune fille aux illusions d’enfance perdues depuis longtemps, transforment les errances de Ree à la recherche de son père (non pas par amour mais par pure nécessité tragique) en un parcours du combattant terrifiant de dureté et de lourdeur symbolique. Un parcours implacable mais traverser à la force de la dignité et du courage nécessaire.

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Récit cru, poignant et réaliste, Winter’s Bone n’a rien d’un conte cruel. Il s’inscrit au contraire dans une réalité fataliste et tétanisante entre désolation écoeurante et abstraction sobre de toute fictionnalisation mièvre. Du haut de ses seuls 20 ans, Jennifer Lawrence brille de mille éclats et livre une prestation extraordinaire, portant à elle seule, tout un film sur ses épaules à l’image de son personnage portant les derniers espoirs de sa famille. Et même si Winter’s Bone participe d’un cinéma différent indépendant ayant tendance souvent à s’emprunter des éléments au gré de ses productions, il ne marque pas encore l’overdose d’un genre et de toute façon, parvient à s’en sortir haut la main par sa qualité et sa puissance tragique et crépusculaire qui s’en dégage.

Bande-annonce :

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