Nom : Les Cinq Diables
Mère : Léa Mysius
Date de naissance : 2021
Majorité : 31 août 2022
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h35 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de Famille : Adèle Exarchopoulos, Sally Drame, Swala Emati…
Signes particuliers : Cinq ans après Ava, Léa Mysius réussit son « film d’après ».
Synopsis : Vicky, petite fille étrange et solitaire, a un don : elle peut sentir et reproduire toutes les odeurs de son choix qu’elle collectionne dans des bocaux étiquetés avec soin. Elle a extrait en secret l’odeur de sa mère, Joanne, à qui elle voue un amour fou et exclusif, presque maladif. Un jour Julia, la sœur de son père, fait irruption dans leur vie. Vicky se lance dans l’élaboration de son odeur. Elle est alors transportée dans des souvenirs obscurs et magiques où elle découvrira les secrets de son village, de sa famille et de sa propre existence.
LEA MYSIUS CONFIRME
NOTRE AVIS SUR LES CINQ DIABLES
La pandémie a étiré le temps d’une étrange manière. Ce qui semblait hier finit par dater de longtemps. Et ce qui a été entamé il y a belle lurette en vient à s’achever tardivement. Un bon exemple, Léa Mysius. En 2017, la jeune cinéaste faisait une entrée remarquée dans le petit monde du cinéma français avec Ava, premier long-métrage pour elle, premier long-métrage pour la jeune Noée Abita. Cinq ans plus tard et alors qu’Abita est devenue un visage familier du cinéma hexagonal, Léa Mysius clôt enfin l’aventure de son second film : Les Cinq Diables. Cinq longues années qui ont abouti à une présentation à Cannes où le film porté par Adèle Exarchopoulos, concourait à la Quinzaine des Réalisateurs, avant une sortie à la fin de l’été en salles.
Et quel film ! On dit souvent que « le film d’après est toujours périlleux ». Comprenez par là que quand vous avez su marquer les esprits avec votre premier long-métrage, le second est souvent très compliqué tant vous êtes attendu au tournant. Visiblement, cela n’a posé aucun problème à la jeune Léa Mysius qui fait un retour sidérant avec un deuxième film impressionnant à tous les niveaux. Impressionnant d’intelligence, impressionnant de maîtrise. Et pourtant, l’angle choisi n’avait rien d’une simple partie de cartes. Avec Les Cinq Diables, Léa Mysius tire des ficelles et ramène à elle plusieurs genres, plusieurs registres avec lesquels il n’est jamais facile de composer. Mélange de drame existentiel, de récit initiatique, de romance torturée et de fantastique symbolique, Les Cinq Diables oscille constamment entre l’œuvre ludique et l’ofni très singulier. Il finit par emprunter aux deux ce qu’ils ont de meilleur à offrir pour confectionner une fresque intimiste alliant tragédie déchirante et magie fascinante.
Dans un petit patelin paumé dans les profondeurs de la région Rhône-Alpes, Joanne (Adèle Exarchopoulos) élève sa fille Vicky avec son mari Jimmy. Seule enfant noire dans ce bled typique aux allures de prison à ciel ouvert, Vicky souffre d’harcèlement scolaire et s’évade dans son monde de senteurs. La petite fille a un don, elle est capable de distinguer les odeurs et de les recréer. Et en les respirant, elle voyage dans les souvenirs. L’arrivée inopinée de sa tante qu’elle n’a jamais connu, va la conduire à « voyager » dans la mémoire de son village et de sa famille. Durant son parcours, Vicky va appréhender des notions complexes, le racisme, l’homophobie, la parentalité, les visages de l’amour.
Observer Les Cinq Diables, c’est comme scruter de près un diamant brut. Facettes et perspectives donnent différents reflets, tonalités, aspérités. Le nouveau film de Léa Mysius brille de cette manière. Tour à tour, il captive, il interroge, il déroute, il subjugue, il bouleverse, il émerveille, il étourdit, il échappe, il donne, il reprend, il soumet. Si le talent de Léa Mysius était encore à ranger dans la catégorie « prometteur – à confirmer », autant dire que la jeune cinéaste (33 ans à peine) a confirmé. Et même plutôt deux fois qu’une. Les Cinq Diables est une splendeur formelle autant qu’une pépite d’intelligence dont on sonde encore la profondeur longtemps après la projection.
Il y a d’abord cette intelligence de l’écriture (à nouveau à quatre mains avec Paul Guilhaume) qui parvient à allier avec une grâce poétique, le ludique d’un drame fantastique et la mise en exergue de questionnements politiques sur les ravages de l’ostracisme. Un ostracisme responsable du gâchis de toutes ces vies que l’on croise tout au long du film et dont on se connecte aux lourds passés via les voyages de la petite Vicky, elle-même aux prises avec le rejet social qu’elle subit au quotidien. Léa Mysius construit avec maîtrise et adresse son histoire explorant le passé pour mieux expliquer le présent, analysant ce passé pour mieux combattre ce présent. Une histoire qui, de minute en minute, paraît toujours plus vivante que jamais alors qu’elle narre ironiquement le destin de personnages que l’on sent tous à l’agonie. Des personnages qui existent. C’est l’une des innombrables qualités d’écriture du film, réussir à les faire tous exister, réussir à leur donner à tous de la consistance, qu’ils soient importants ou secondaires.
Il y a ensuite la forme qui vient illustrer cette histoire très sensible et empreinte d’immobilisme, de traumatismes et de mysticisme. On avait déjà cerné chez Léa Mysius une incroyable capacité à sublimer l’intimisme. La cinéaste affine encore davantage son art. Les Cinq Diables a beau être un film d’auteur, sa composition erre entre deux antagonismes, un naturalisme intimiste d’un côté et une magistrale composition esthétique de l’autre. Témoin, cette première scène (qui a donné l’affiche) où sur fond de flammes, Adèle Exarchopoulos pleure en laissant échapper sa détresse et sa rage. On ne sait encore rien si ce n’est que l’on vient de mettre les pieds dans une œuvre soulevée par une folle et indescriptible énergie cinématographique.
Il y a enfin la direction d’acteur et l’interprétation. Un film à ce point basé sur des personnages ne peut se passer d’excellents comédiens. Léa Mysius le sait, elle qui a su dénicher et sublimer le talent de Noée Abita à ses débuts. Sur Les Cinq Diables, tous impressionnent, tous parviennent à faire filtrer en quelques instants à l’écran, les malaises enfouis qui les rongent. La petite Sally Drame dans la peau de la troublante Vicky, Moustapha Mbenge en paternel étrangement résigné, Swala Emati en tante énigmatique et bien sûr, Adèle Exarchopoulos, dont le magnétisme organique agrippe l’œil de la caméra pour mieux la laisser filmer une beauté que l’on sent abimée par les fêlures.
D’une intensité viscérale à l’image de la puissance des émotions dégagées par ses protagonistes, Les Cinq Diables est un grand film singulier aux ambitions aussi vastes que la palette des ressentis qu’il a à proposer. Sa complexité n’est jamais un frein à son appréhension car tout aussi déstabilisant soit-il, Léa Mysius est constamment dans un savant dosage qui sublime tout et tout le temps. Comme cette imbrication du fantastique où le mysticisme ambiant en appelle d’une certaine manière au film de sorcière, idée qui reviendra brillamment à travers ce personnage de l’étrange tante, elle-même chassée comme une paria digne de Salem. Et si le fantastique n’était pas là où il s’incarne ? Comme si tout le film n’était finalement qu’un jeu de faux-semblants dont il va falloir décrypter les mystères pour mieux les briser afin que la vie reprenne vraiment ses droits.
Par Nicolas Rieux