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AS BESTAS de Rodrigo Sorogoyen : la critique du film

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Nom : As Bestas
Père : Rodrigo Sorogoyen
Date de naissance : 2021
Majorité : 20 juillet 2022
Type : sortie en salles
Nationalité : Espagne, France
Taille : 1h32 / Poids : NC
Genre : Drame, Thriller

Livret de Famille : Marina FoïsDenis MénochetLuis Zahera, Diego Anido…

Signes particuliers : Entre le drame social et le thriller suffocant, un nouveau coup de génie pour Rodrigo Sorogoyen.

Synopsis : Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils ont une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique mais un grave conflit avec leurs voisins fait monter la tension jusqu’à l’irréparable…

GUERRE DE VOISINNAGE

NOTRE AVIS SUR AS BESTAS

S’il y a bien un cinéaste en Europe que l’on suit avec une attention passionnée, c’est Rodrigo Sorogoyen. En l’espace de quelques films, le metteur en scène espagnol s’est forgé une filmographie d’excellence avec pour ainsi dire, quasiment aucune fausse note à ce jour. Du plus modeste Stockholm en 2013 au brillant Madre en 2019 en passant par le policier Que Dios Nos Perdone ou le thriller politique El Reino, Rodrigo Sorogoyen enchaîne les œuvres magistrales, avec le thriller comme spécialité affirmée. Dans cet exercice, Sorogoyen a toujours impressionné par sa capacité à faire jaillir une tension viscérale forgée dans le drame. Que ce soit à travers la descente aux enfers d’un politicien piégé dans un engrenage inextricable (El Reino), dans le portrait d’une mère endeuillée (Madre) ou dans les querelles de voisinage dans un petit village montagnard de Galice (As Bestas), Sorogoyen réussit toujours à imposer une tension tétanisante. Un trait qu’il affine de film en film depuis son Que Dios nos perdone, son polar qui l’a fait connaître internationalement en 2016. As Bestas ne déroge pas à la règle. Comme Madre, le nouveau film de l’ibérique est un pur drame. Mais comme Madre, il se charge d’une pulsion « thriller-isante » pour formuler un long-métrage au cheminement passant de l’inquiétude à l’angoisse puis à l’étouffement.
En filmeur de talent qu’il a toujours été, Sorogoyen élabore une cathédrale dramatique cimentée à la force d’un suspense sans échappatoire. Au fil des minutes, au fur et à mesure que les tensions se cristallisent dans ce micro village pauvre et paumé entre un couple français venus s’y installer plein d’idéaux et les locaux en guerre contre ces « bourgeois pas d’ici » refusant de signer pour l’implantation d’un lucratif projet d’éoliennes, l’atmosphère devient irrespirable, le drame devient anxiogène et le thriller étend sa toile. Les petites blagues cèdent place à des piques plus ou moins clairs puis à des saillies menaçantes, avant que ne viennent les sales coups fourrés. Et ce n’est que le début d’un cauchemar en gestation qui va soumettre tant ses personnages que le spectateur à une terreur latente avec l’angoisse de savoir jusqu’où la dérive harcelante peut-elle aller.
Avec As Bestas, Sorogoyen étudie la complexité des relations humaines et les rapports de violence qui peuvent naître de la relativité de la justice quand des points de vue divergents s’affrontent sans être à égalité sociale, intellectuelle ou économique. Des thématiques fortes accompagnent le récit tendu du film. Sorogoyen interroge sur le droit du sol, sur l’humanité de chacun, sur l’ostracisme, sur la xénophobie, sur les visions du monde opposées, sur les conflits insolubles ou encore sur les rapports entre économie et écologie ou la dureté du monde rural. Tout le cœur du film, d’une grande sensibilité constamment nourrie, tient là. D’un côté des miséreux nés dans la boue et qui rêvent de briser leur condition endémique, de l’autre des idéalistes qui ont choisi cette contrée reculée pour ce qu’elle représente à leurs yeux. L’opposition ne pouvait qu’être inéluctable, l’affrontement ne pouvait qu’être âpre tant la rancœur sociale est forte. A la manière des Chiens de Pailles mais avec un supplément de drame social qui coule dans ses veines, As Bestas dissèque l’état d’une société espagnole agonisante plombée par une triste réalité économique qui pousse au pire.

 

Toute l’intelligence du film est de parvenir à brillamment densifier ses enjeux et les parties en opposition sans tomber ni dans la facilité dans un manichéisme crasse. Que ce soit les « gentils français » victimes de la xénophobie des locaux, où ces mêmes locaux dont Sorogoyen n’excuse pas les actions mais essaie de comprendre leur point de vue d’enfermés dans une condition sociale désespérée, le film donne à chacun leur part du film sans jamais se montrer réducteur.

A la fois monstrueux et bouleversant, de la même manière qu’il est à la fois un pur drame social intimiste et un thriller coupe-souffle, As Bestas est un coup de génie. Un film fort et puissant dont la profondeur réflexive est immense et coexiste parfaitement avec un récit au suspense haletant. La mise en scène intelligente et millimétrée de Sorogoyen (qui compose des plans d’une perfection sidérante) sublime une œuvre fascinante, de surcroît portée par des comédiens au sommet. Immense comme toujours, Denis Ménochet impressionne avec son imposante stature mutique dissimulant un doux érudit cherchant l’issue la plus intelligente pour sortir du conflit. Marina Foïs, le visage creusé par le labeur, prouve une nouvelle fois de plus l’étendue de son talent dans un rôle complexe marqué par des scènes parmi les plus fortes de sa carrière (la dispute avec sa fille pour ne citer qu’elle). Et les antagonismes poussés à la vile violence par la dureté de leur monde (Luis Zahera, Diego Anido) bouffent l’écran dans la peur comme dans le malheur qu’ils inspirent. As Bestas est une partition parfaite ou presque, qui marquera dans la carrière d’un Rodrigo Sorogoyen décidément plus passionnant que jamais.

Par Nicolas Rieux

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