Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : La tête haute
Père : Emmanuelle Bercot
Date de naissance : 2014
Majorité : 13 mai 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 2h00 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de famille : Catherine Deneuve (la juge), Rod Paradot (Malony), Benoît Magimel (Yann), Sara Forestier (Séverine – la mère), Diane Rouxel (Tess), Elizabeth Mazev (Claudine)…
Signes particuliers : Emmanuelle Bercot s’offre l’ouverture du Festival de Cannes avec un drame sur l’évolution d’un délinquant juvénile en rupture d’avec le système. Un drame social voulu fort et frontal.
LA SOIF DE VIVRE
LA CRITIQUE
Résumé : Le parcours éducatif de Malony, de six à dix-huit ans, qu’une juge des enfants et un éducateur tentent inlassablement de sauver. L’INTRO :
En 2001, elle mettait les pieds dans le grand bain cannois avec Clément, présenté dans la section « Un Certain Regard ». En 2015, elle fait carrément l’ouverture de la célèbre manifestation cinématographique avec La Tête Haute, drame poignant sublimant quatre générations de grands comédiens du cinéma français, la matriarche Catherine Deneuve, l’expérimenté Benoît Magimel, la jeunesse confirmée Sara Forestier et le nouveau venu Rod Paradot, dont on reparlera sans doute très vite, dès que la moisson des prix d’interprétation et de révélation de l’année, commencera. Fresque dramatique suivant le chemin d’un délinquant juvénile cabossé, qu’une juge des enfants s’acharne à ne pas lâcher avec l’espoir de le remettre sur le chemin de la réhabilitation, La Tête Haute vient batailler sur l’un des terrains favoris du cinéma d’auteur coup de poing, celui de la jeunesse paumée et violente qui a déraillé des voies du système.L’AVIS :
Portrait d’un adolescent à problèmes inscrit dans le drame social à la fois poignant et engagé, La Tête Haute est une succession de moments de vie emblématiques, illustrant le parcours chaotique d’un écorché vif en difficulté, de son milieu aux allures de foyer originel ayant favorisé ses fêlures, sa souffrance et sa dérive incontrôlable, jusqu’à sa perte de repères menant lentement vers une sortie de route hors du carcan de la société. Des étapes de vie qui forment un tout, expliquant sans excuser, montrant sans juger, se faisant l’écho du cheminement de ces « devenus asociaux » rangés dans la marge. Documentée sur son sujet, la cinéaste souhaitait mettre en lumière ces déracinés erratiques qui se baladent de foyers en centres de détention pour mineurs, avec la prison comme sombre horizon dans une immense majorité des cas. Entre espoir et découragement, entre lumière salutaire et impossibilité tragique, Emmanuelle Bercot dresse le tableau d’un cercle vicieux, d’une société à la peine pour trouver des solutions, malgré les efforts de certains, et surtout d’un personnage fort, qui ne connaît que la violence des rapports, qu’ils soient intimes, familiaux, sociaux. Mais si son brûlot est sombre, radical, parfois même tétanisant, il ne manque pas viser la lumière, de considérer les alternatives et d’embrasser le combat des justes qui viennent en aide avec optimisme, à ces meurtris torturés (et ni vu ni connu, La Tête Haute de se ranger dans le sillage de ces films rendant hommage aux professions nobles façon Polisse ou Hippocrate).Tourbillon cruel nous plongeant à vif dans une trajectoire entre déchirement émotionnel et sauvagerie sociale, La Tête Haute s’efforce de parfaire son discours avec pertinence et recherche d’une application édifiante. Le récit narré par la réalisatrice se veut rude, percutant, frontal, parsemé de moments graves, seulement éclairé par une petite lumière vacillante apportant de l’espoir dans ce sombre abandon visant l’uppercut et le K.O. sur place. Sans aucun doute, Emmanuelle Bercot signe un film fort, moins lourd et ampoulé que son précédent Elle s’en va. Éprise de davantage de courage et de conviction dans son saisissement de l’authenticité, la cinéaste livre une œuvre énergique et bouleversante, présentant enfin des aspérités plus tranchantes. Et la claque était à deux doigts de frapper avec élan la joue du spectateur mortifié devant cette vision fleurant bon la véracité la plus poignante. A deux doigts seulement car malheureusement, la metteur en scène ne s’est pas encore complètement débarrassée de certaines maladresses qui caractérisent son cinéma.
En première ligne de front, cette incapacité à se séparer des clichés qui viennent contrarier ses nobles intentions de réalisme foudroyant, clichés qu’elle tente ici de masquer derrière une fausse finesse cautionnée par la radicalité de son entreprise qui, de fait, perd de sa superbe. Parfois discrètes ou plus grotesques, ces micro-lourdeurs viennent fissurer un édifice dont les fondations reposaient sur son entière véracité coup de poing supposée, voire proche du documentaire, et sur son sens de l’épure à la recherche du purement charnel. Le choix des musiques, par exemple, ôtant quelques grammes de subtilité à l’ensemble par la lourdeur de son imagerie. Les personnages, ensuite. Malgré une belle galerie et une interprétation de haut-vol de l’ensemble de la distribution, on ne pourra, encore une fois, que s’agacer de ces maladresses versant dans le forçage du trait. Le meilleur exemple restant la caricature dressée autour du personnage de jeune mère irresponsable incarnée par Sara Forestier, affublée d’une dentition rappelant la « Zézette Epouse X » du Père Noël est une Ordure. On ne doutera pas une seule seconde de l’existence de ce genre de personnages tristement désespérants, mais sa représentation brossée dans La Tête Haute vient s’ajouter à un festival de gaucheries, quelles soit illustratives ou disséminées dans les ressorts scénaristiques. D’autant plus dommage que, quand elle le veut, Bercot est capable de naviguer entre les lignes pour discourir avec intelligence, à l’image de cette même mère « indigne » qui par à-coups, est transcendée par une merveilleuse justesse symbolisant beaucoup de choses dans des petits riens, de petites phrases ou moments étayant sa personnalité complexe et aussi larguée que sa progéniture, qu’elle a contaminée sans doute inconsciemment, par naïve stupidité. La finesse est l’arme fatale de ce genre de cinéma et Bercot ne la touche que par intermittence. La Tête Haute est un énième portrait de la délinquance juvénile inadaptée à laquelle on voudrait venir en aide malgré la difficulté de l’entreprise, ses sujets se traînant un bagage tellement handicapant, qu’il est un frein à l’espoir. Et si le film d’Emmanuel Bercot ne manque pas de qualités évidentes, son traitement n’est pas toujours adroit, souvent bicéphale, entre pertinence et exagération lassante d’effets d’écriture, alors que la progression de son personnage phare est aussi significativement initiatique qu’elle ne peut parfois manquer de subtilité, errant entre redondance et ellipses dommageables, l’étirant entre longueur et pertinence. C’est avec une toute autre puissance que Xavier Dolan avait su cerner certains points communs dans Mommy, l’an passé. Avec au passage une toute autre cruauté radicale, là où le cinéma français semble incapable de s’aventurer vers le jusqu’au-boutisme, lui préférant un ton inlassablement plus positif et moralisateur, tueur d’originalité. A ce titre, on pourra citer le cinéma anglais, et se pencher sur le culte Made in Britain avec Robert Carlyle par exemple, dans un registre plus similaire.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux