Nom : Les Filles d’Olfa Mère : Kaouther Ben Hania Date de naissance : 2022 Majorité : 05 juillet 2023 Type : sortie en salles Nationalité : Tunisie Taille : 1h50 / Poids : NC Genre : Documentaire, Drame
Synopsis : La vie d’Olfa, Tunisienne et mère de 4 filles, oscille entre ombre et lumière. Un jour, ses deux filles aînées disparaissent. Pour combler leur absence, la réalisatrice Kaouther Ben Hania convoque des actrices professionnelles et met en place un dispositif de cinéma hors du commun afin de lever le voile sur l’histoire d’Olfa et ses filles. Un voyage intime fait d’espoir, de rébellion, de violence, de transmission et de sororité qui va questionner le fondement même de nos sociétés.
UN CHEF-D’OEUVRE
NOTRE AVIS SUR LES FILLES D’OLFA
Rien que le nom de Kaouther Ben Hania suffisait à faire des Filles d’Olfa l’un des films les plus alléchants de la dernière compétition cannoise. La Belle et la Meute en 2017 puis L’homme qui a vendu sa peau en 2021, deux récents coups d’éclat qui ont suffi pour imposer le nom de leur auteur comme l’une des cinéastes les passionnantes du moment. Deux coups d’éclat suivis d’un troisième aujourd’hui. Injustement reparti bredouille de la Croisette, Les Filles d’Olfa était pourtant l’un des grands crus de la sélection, un objet cinématographique hybride prouvant que l’esprit de création est encore vif chez certains. Olfa Hamrouni est une mère célibataire tunisienne de quatre filles. Les deux dernières sont encore à ses côtés. Les deux plus grandes sont malheureusement parties… en Lybie faire le Djihad. Durant des années, Olfa s’est battue pour les récupérer. Son histoire a d’ailleurs été fortement médiatisée depuis 2015. De celle-ci, Kaouther Ben Hania a tiré un film-concept à cheval entre le documentaire et la fiction. Le postulat n’est pas simple à poser sur papier et pourtant, on l’appréhende très vite et très facilement à l’écran une fois lancé. Pour (essayer de) faire simple, Les Filles d’Olfa est comme le making of d’un film imaginaire en cours de préparation sur l’histoire d’Olfa. La véritable Olfa et ses deux cadettes y tiennent leurs propres rôles et des comédiennes prêtent leurs traits aux filles disparues et à Olfa pour les besoin du « faux-film ». « Documentaire » quand le film regarde côté coulisses entre entretiens ou discussions entre les protagonistes, les comédiennes qui vont jouer dans le futur film ou la réalisatrice et son équipe. « Fiction » quand sont recréées certaines scènes clés de l’histoire d’Olfa. Et le spectateur d’être invité dans ce processus créatif complet.
Les Filles d’Olfa est tragique, déchirant, passionnant… et drôle. Cela peut paraître étonnant vu le sujet très difficile et lourd mais Kaouther Ben Hania filme avant tout un personnage haut en couleurs, cette Olfa joviale, grande gueule, résistante, meurtrie. Tout au long de son histoire relatée, Ben Hania ne manque pas de montrer que les coups et les blessures n’ont jamais détruit son courage, sa force résiliente, sa bonhommie. Quand elle se raconte ou quand elle échange avec ses filles, on ne manque de rire ou sourire, surtout quand le décalage générationnel s’invite au milieu de tout ça pour dresser de pertinents portraits de femmes d’aujourd’hui. Néanmoins, et c’est bien là la puissance du film, on peut passer de l’hilarité totale au déchirement bouleversant en un battement de cil. Car au fond derrière l’amusement ludique autour de ce faux tournage pourvoyeur de scènes drôlement amusantes, il y a le véritable drame qui sert de socle. Celui d’une mère qui a perdu deux de ses filles. Celui de jeunes filles qui ont perdu deu de leurs sœurs. Dans une démarche indéniablement cathartique, toutes se livrent avec une profonde sincérité, extirpant de leurs tripes la douleur qui les ronge. Finalement, les échappées humoristiques fonctionnent comme de petits moments de vie aérant un drame terrible sur un trauma familial encore vif.
A travers l’histoire d’Olfa et de ses filles, Kaouther Ben Hania dresse aussi un formidable portrait de la Tunisie d’hier et d’aujourd’hui. Les années Ben Ali, la révolution, l’influence puis la montée en puissance de l’Etat Islamique, la place de la femme et son évolution. Le film est un mille-feuilles composé de très nombreuses couches. Car on y retrouve aussi un discours sur la violence des hommes, le patriarcat, la femme tunisienne ou plutôt les femmes tunisiennes, une étude sur le processus de création cinématographique, une réflexion sur la place de la religion et la liberté de chacun vis-à-vis d’elle, un portrait de la jeunesse tunisienne, un coup d’œil sur le rapport entre traditionalisme et progressisme… Dense, Les Filles d’Olfa l’est au point de devenir un vertige. Un vertige incroyablement maitrisé par Kaouther Ben Hania, qui parvient à lier toutes les directions empruntées par son film pour formuler une œuvre riche, cohérente, fluide, subtile et intelligente. Une oeuvre qui ne se perd jamais dans son dédale puisque grâce à une narration parfaitement pensée et un dispositif de mise en scène aussi singulier que remarquablement tenu, l’histoire intime confiée aux caméras se mêle avec le portrait politique et social d’un pays tout entier, pour au final ne faire plus qu’un. Rien n’est en trop, rien n’est oublié. Reste à l’arrivée que le choc d’un film magistral dont certains ont critiqué la prédominance du postulat théorique. Mais c’est justement ce postulat qui rend le film aussi créatif, aussi épais, aussi substantiel, et qui permet au passage de sublimer une sacrée galerie de comédiens… ou de non-comédiens.