S’il n’a pas chômé depuis (clips, B.O de film, série télé) Kim Chapiron n’avait plus signé de long-métrage de cinéma depuis
La Crème de la Crème en 2014. Près de dix ans après, le réalisateur de
Sheitan et
Dog Pound revient enfin avec
Le Jeune Imam, un drame plongeant sans peur et sans reproche dans un sujet d’une grande complexité : les coulisses de la religion islamique. Envoyé au « bled » par sa mère pour l’éloigner du mauvais chemin qu’il semblait emprunter, Ali revient en France dix ans plus tard. Il n’est plus cet adolescent risquant de mal tourner mais un jeune adulte qui a tout à faire. Le hasard va l’amener à devenir Imam dans sa communauté. Mais un Imam 2.0, boosté par le désir de modernité cher à son jeune âge. Engagement, prêches vigoureux, réseaux sociaux, course au succès, Ali va devenir une sorte de rock star dans son milieu.
A l’heure où la religion islamique se retrouve trop souvent (et parfois bien malgré elle) exposée au centre des critiques, polémiques, débats, à l’heure où elle est trop souvent associée à une négativité sociétale, à l’heure où trop d’amalgames sont fait, Le Jeune Imam est un film important, presque majeur. Kim Chapiron dresse le portrait d’un Islam moderne, un Islam positif, un Islam loin de toutes ces représentations anxiogènes que les médias aime véhiculer en flattant un certain idéal de protectionnisme nationaliste. Surtout, et fort intelligemment, Chapiron ne dévie pas de son sujet. Il n’est pas question pour lui de parler de traditionalisme rétrograde, d’endoctrinement ou de terrorisme, il est là pour montrer que derrière les raccourcis médiatiques, il existe un autre Islam, simple, modéré, cohérent, humain. Et il est appréciable de voir la religion islamique sortie des simplifications récurrentes qui lui sont trop souvent associées.
Mais l’autre force du film et sa plus grande intelligence, c’est de se refuser à l’extrême simplification dans l’autre sens. Chapiron n’est pas là non plus pour tout enjoliver, pour promouvoir bêtement quoique ce soit, pour céder aux sirènes du positivisme en réaction. En cela, Ali, son « jeune Imam », est à de nombreux égards passionnant. Parce qu’il n’est pas ni tout noir ni tout blanc. Parce qu’il n’est pas tout gentil ou tout méchant. Parce qu’il est un jeune homme, avec ses qualités et ses défauts, ses réussites et ses échecs, ses désirs et ses devoirs, ses idéaux et ses faiblesses. Fort pertinnement, Kim Chapiron en fait un protagoniste nuancé, un personnage vrai. Est-il un vrai religieux convaincu ? Un opportuniste attiré par la célébrité et ses avantages ? Un homme qui veut faire le Bien pour sa communauté ? Un semi-égoïste caché qui pense avant tout à lui ? Chapiron n’impose rien et certainement pas forcément de réponses toutes faites, offrant une réelle crédibilité à un film déjà précédé de la mention justificatrice « inspiré d’une histoire vraie » (les arnaques au pélerinage à la Mecque).
Co-écrit par Chapiron avec le concours de son ami Ladj Ly (Les Misérables), Le Jeune Imam est une fiction profondément émouvante, amère aussi, mais qui a bien du mérite. A commencer par celui de questionner la religion de manière universelle en montrant une minorité silencieuse, celle qui pratique un Islam du quotidien sans faire de bruit. Le respect de ses codes, ses possibilités d’évolution avec la société (et non pas contre) mais aussi les risques et les dangers du statut de leader spirituel dans un monde actuel où le pouvoir de la communication est devenu plus que grand. Kim Chapiron évoluait sur un fil, il n’en tombe presque jamais. On pourra toujours doucement tempêter devant le côté un peu démonstratif de l’histoire ou à l’encontre d’une réthorique qui se disperse parfois, mais reste que Le Jeune Imam est un exercice courageux et audacieux, porté par un « héros » sublimé par son ambivalence. Le concernant, le jeune Abdulah Sissoko qui l’incarne, est formidable, comme toute la distribution autour de lui (Issaka Sawadogo, Moussa Cissé, Hady Berthe).