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EMMANUELLE d’Audrey Diwan : la critique du film

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Nom : Emmanuelle
Mère : Audrey Diwan
Date de naissance : 25 septembre 2024
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h45 / Poids : NC
Genre : Drame

Livret de Famille : Noémie Merlant, Will Sharpe, Naomi Watts

Signes particuliers : Audrey Diwan rend « Emmanuelle » intelligent, profond et chic.

Synopsis : Emmanuelle est en quête d’un plaisir perdu. Elle s’envole seule à Hong Kong, pour un voyage professionnel. Dans cette ville-monde sensuelle, elle multiplie les expériences et fait la rencontre de Kei, un homme qui ne cesse de lui échapper.

 

UNE ICÔNE REPENSÉE

NOTRE AVIS SUR EMMANUELLE

Emmanuelle est de retour, mais pas comme on l’a connu. Parce que l’époque est différente, parce que les auteurs sont différents, parce que l’intention n’a jamais été de reproduire le film culte de Just Jaeckin sorti en 1974 mais de repenser le roman originel. Fini le soft érotisme chic pour mâles aguichés et désireux de se repaître des courbes affolantes de Sylvia Kristel. Emmanuelle 2024 est d’abord un film de femmes, un film notamment pour les femmes, un film féminin et féministe. Réalisé par la sur-talentueuse Audrey Diwan (L’événement) sur un scénario que la cinéaste a coécrit avec sa consœur Rebecca Zlotowski (Planetarium, Les Enfants des Autres), Emmanuelle est désormais incarnée par la tout aussi talentueuse Noémie Merlant. L’action est délocalisée de Bangkok à Hong Kong, l’histoire est différente, tout comme les thématiques abordées. Surtout, on passe d’un mauvais cinéma mercantile à un vrai de long-métrage de cinéma plus consistant sous tous les aspects, du scénario à la mise en scène.

Contrôleuse qualité pour une chaîne d’hôtels de luxe, Emmanuelle s’envole pour Hong Kong afin d’examiner un complexe du groupe. Sur place, entre deux réunions, elle va aller de rencontre en rencontre, sexuelles ou sensuelles, en quête d’un plaisir perdu depuis longtemps et évanoui dans l’ennui de son existence sans saveur.

Quelle transformation ! Il est assez saisissant de voir comment Audrey Diwan et Rebecca Zlotowski ont pu s’emparer du même roman originel d’Emmanuelle Arsan (alias Marayat Bibidh) pour en tirer un film radicalement différent de celui de Jaeckin il y a 50 ans. Probablement parce que leur travail est le fruit d’une réflexion de femmes sur un personnage féminin complexe et non le regard d’un homme ayant répondu à la consigne simpliste d’exploiter le pouvoir érotique à des fins sensationnalistes. Diwan et Zlotowski ont rendu sa dignité de femme à Emmanuelle et signent un film fascinant de profondeur psychologique.

Cette nouvelle vision (plutôt que version car il ne s’agit pas d’un « remake ») explore les tréfonds du désir, de la frustration, de la quête de plaisir inassouvi, en infiltrant des interstices rarement recherchés au cinéma. Que se passe t-il quand on a le sentiment d’avoir fait le tour, d’avoir épuisé tout son propre plaisir et ce qu’il peut procurer ? Etude des mécanismes complexes du désir et du plaisir, Emmanuelle élabore le portrait sophistiqué d’une femme qui cherche à retrouver des sensations perdues, à assouvir un besoin de ressentir. Parce qu’elle s’est peut-être lassée de certaines normes devenues monotones, l’héroïne d’Audrey Diwan n’a plus le frisson de l’intensité. Aujourd’hui, elle consomme plus par besoin que par envie ardente. La rencontre avec un homme aussi mystérieux qu’insaisissable va peut-être la (re)mettre sur le chemin de réponses qu’elle ne cherchait même plus.

Loin de l’objet de fantasme masculin du film de 1974, cette Emmanuelle née dans l’ère post-Me Too est la maîtresse d’elle-même et de ses propres envies. Ou comment renverser une icône de l’érotisme pour hommes pour en faire une icône de la femme libérée et guidée par ses choix et désirs.

Lent et lancinant, Emmanuelle entend aspirer le spectateur dans une expérience rendue sensorielle et déstabilisante par la mise en scène la,ngoureuse, sensuelle, poétique et éthérée d’Audrey Diwan. Un peu comme un manège à sensations fortes, le film est à double-tranchant. Si vous êtes dedans, c’est le grand frisson. Si vous êtes dehors, vous serez condamné à l’ennui de voir d’autres profiter du plaisir. Le spectateur qui n’entrera pas dans le film, qui n’accrochera ni au personnage ni à l’univers tissé et à la manière dont il est tissé, trouvera le temps fort long tant Emmanuelle est un film d’atmosphère, de subtiles émotions épidermiques. Pour les autres en revanche, quel régal, quelle beauté. Emmanuelle est élégant, sensuel, envoûtant, comme une échappée dans un monde au tact et à la délicatesse fiévreuse. Le choix de Hong Kong couplé aux notions de désir et à l’élégance, difficile de ne pas y voir l’inspiration de In The Mood For Love, auquel un hommage amoureux est rendu dans une dernière partie très évocatrice.

Relecture brillante du roman d’Emmanuelle Arsan, Emmanuelle est une réflexion psychologique moderne aux allures de voyage initiatique, qui donne l’impression de résacraliser le concept du désir féminin et la sensation vertigineuse d’en entrevoir toute la complexité. Passionnant ou profondément ennuyeux, c’est selon si vous serez monté à bord ou non de cette réinterprétation fascinante, proposant un voyage sensoriel sur lequel est projeté une étude d’une grande intelligence du désir féminin.

 

 

Par Nicolas Rieux

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