Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Maps to the Stars
Père : David Cronenberg
Livret de famille : Julianne Moore (Havana), Robert Pattinson (Jerome), Mia Wasikowska (Agatha), John Cusack (Stafford), Sara Gadon (Clarice), Carrie Fisher (elle-même), Olivia Williams (Christina), Evan Bird (Benjie), Niamh Wilson (Sam)…
Date de naissance : 2013
Majorité : 21 mai 2014 (en salles)
Nationalité : Canada, USA, France, Allemagne
Taille : 1h51
Poids : Budget 15 M$
Signes particuliers (+) : Une virée cinglante et virulente désacralisant avec verve et férocité le mythe américain du grand Hollywood. Cronenberg signe une oeuvre aussi troublante qu’elle n’est intéressante, un film qui se réfléchit, se mûrit, et livre toute sa richesse dans la sous-lecture de ses métaphores. Du cinéma d’auteur jouant la mise en abîme avec pugnacité, avec le concours de comédiens exceptionnels, Julianne Moore en tête.
Signes particuliers (-) : Cronenberg s’enroule dans l’abscons déconcertant au point de s’y laisser aspirer, incapable de soutenir son fond par une forme séduisante et bien maîtrisée. Il finit par verser dans l’objet sur-théorisé à la lassitude guettante, alors que son récit file vers l’exagération parfois grotesque. Comme Hollywood dira t-on, cela dit…
HOLLYWOOD POUSSÉ HORS DE SON PIÉDESTAL
LA CRITIQUE
Résumé : A Hollywood, la ville des rêves, se télescopent les étoiles : Benjie, 13 ans et déjà star; son père, Sanford Weiss, auteur à succès et coach des célébrités; sa cliente, la belle Havana Segrand, qu’il aide à se réaliser en tant que femme et actrice. La capitale du Cinéma promet aussi le bonheur sur pellicule et papier glacé à ceux qui tentent de rejoindre les étoiles: Agatha, une jeune fille devenue, à peine débarquée, l’assistante d’Havana et le séduisant chauffeur de limousine avec lequel elle se lie, Jerome Fontana, qui aspire à la célébrité. Mais alors, pourquoi dit-on qu’Hollywood est la ville des vices et des névroses, des incestes et des jalousies ? La ville des rêves fait revivre les fantômes et promet surtout le déchainement des pulsions et l’odeur du sang. L’INTRO :
Le cinéma de David Cronenberg a toujours été particulier, unique, portant la patte reconnaissable entre mille, de son auteur iconoclaste. Jusqu’en 2002 du moins, et le très intéressant Spider. Depuis, difficile de dégager une évidente cohérence formelle dans la continuité de la carrière du canadien. Si certaines thématiques et questionnements restent présents, l’excellent A History of Violence a révélé un nouveau Cronenberg. Les Promesses de l’Ombre confirmait une nouvelle voie séduisante avant que n’arrive le loupé A Dangerous Method, peut-être son pire film à ce jour. Puis, 2012, et Cosmopolis. Un virage déroutant s’enfonçant dans un cinéma d’auteur « perché » mais surtout prétentieux. Aujourd’hui, Cronenberg revient avec un projet qu’il traînait depuis une dizaine d’années. Avec Maps to the Stars, sorte de pseudo-film choral réunissant un beau casting hétéroclite allant de sa nouvelle muse Robert Pattinson à la fabuleuse Julianne Moore en passant par les étoiles montantes Mia Wasikowska ou Sara Gadon, le bourreau de travail John Cusack, la vétéran Carrie Fisher ou encore Olivia Williams, Cronenberg s’immisce dans la sombre intimité du microcosme hollywoodien. Une chose est au moins assurée, avec lui, la Mecque du cinéma n’aura rien d’un joyeux conte de fée. Et c’est le moins que l’on puisse dire…
L’AVIS :
Maps ou the Stars ou la désacralisation totale du mythe voire des mythes. Hollywood, son cynisme gerbant, son strass, ses paillettes, sa superficialité, ses vedettes ramenées à de pauvres et pathétiques personnages névrosés, le cinéaste dresse un portrait horrifiant et féroce de la galaxie hollywoodienne. Rien ne l’arrête dans son jeu de tombé de masques, allant jusqu’à filmer Julianne Moore (incarnant une star du cinéma) aux toilettes et atteint d’une sacrée belle diarrhée bruyante. Trash ? Oui et non. Maps to the Stars va loin dans ce qu’il montre et raconte. Outre le sexe et la violence physique ou morale, outre certains plans chocs qui ne laisseront pas indemnes, le film va jusqu’à placer la thématiques de l’inceste au centre de son histoire. Mais sans aucune gratuité puisqu’elle fonctionne comme une parabole de l’univers égratigné sous la caméra de l’auteur, peignant un Hollywood comme un monde consanguin et totalement replié sur lui-même malgré « sa diffusion mondiale » comme le metteur en scène se plaît à en souligner le paradoxe.
Mais le problème de Maps to the Stars n’est pas sans évoquer le cas Cosmopolis, dont ce nouvel effort est plus proche que ce que l’on pourrait communément appeler les « anciens » Cronenberg. Métaphorique, existentiel, parabolique, riche en lectures sous-jacentes, Maps to the Stars est un film déroutant, une œuvre par moments insaisissable, et qui requiert autant d’exigence dans l’immédiateté de sa vision qu’elle n’appelle à un travail de réflexion postérieur pour en saisir l’essence et le sens. En résulte une impression de « décontenancement » total face à un semi-OFNI qui laisse coi.
Clairement, Maps to the Stars ne joue pas dans la même cour qu’un Panique à Hollywood par exemple. Le cinéaste ne s’amuse pas du petit milieu hollywoodien étriqué. Cronenberg ne joue pas, ne rigole pas. Si certains passages peuvent prêter à sourire par leurs situations jouissivement caricaturales ou clichées soutenant la virulente portée moqueuse dessinée par le film, si la présence de guests est ludique ou si certaines références en forme de piques bien balancées amuse, le fond lui, reste grave, sérieux, terrifiant, à la fois très premier degré et terriblement déviant dans la charge en règle à laquelle il se prête dans un incroyable jeu de pistolet dézinguant à outrance les célèbres collines du cinéma et le monde qui les habite entre stars méprisantes, vedettes cyniques, têtes à claque à l’égo surdimensionné, comédiens ratés, rêveurs naïfs, fans ridicules contemplant de loin, dépressifs, fous, lunatiques, névrotiques, addicts, camés, etc. Un monde où seuls ceux qui n’y entrent pas peuvent espérer sauver leur peau. Dur…
Inconfortable et d’une noirceur poussant au malaise, Maps to the Stars déploie une forme de génie imperceptible derrière son étrangeté d’aspect. Car c’est peut-être là ses limites aussi. Cronenberg va loin, parfois trop loin, au point de perdre en route un public qui ne demandait qu’à être séduit par ce massacre jubilatoire. Mais à trop rechercher l’iconoclaste, à trop vouloir s’inscrire en marge du milieu qu’il vise, sans fantaisie et avec un récit pas toujours bien ficelé et s’enfonçant dans son outrance narrative, le cinéaste signe une nouvelle œuvre tordue, cherchant un ton qu’elle a du mal à saisir. Protéiforme, entre le drame, la tragédie grecque, la satire, le film de genre, la peinture à la Freaks voire la comédie noire glaçante, Maps to the Stars laisse une étrange impression de théoriquement vain là où il est pourtant tout l’inverse. Cronenberg finit par s’enfermer dans son objet troublant et vertigineux et malgré les idées, la richesse de son brûlot et les performances incroyables (énorme Julianne Moore, excellent Cusack), la virée fracassante qu’il propose déçoit un peu par ses excès divers évoluant aux frontières d’une forme de lassitude et par sa façon de s’aliéner la simplicité pour lorgner vers une sorte de Mulholland Drive rencontrant The Player, en plus acerbe et satirique mais moins maîtrisé aussi. On aime ou on déteste ; mais on ne peut lui ôter qu’il y a quelque-chose de passionnant derrière cette débauche de génie perturbant qui décontenance sur l’instant d’un film paraissant confus, peignant une monstruosité pourrissante mais en s’enroulant peut-être de trop dans l’abscons, la métaphore, la mise en abîme et les effets de rhétoriques visant le mystérieux désarmant et l’objet sur-théorisé. Le fond est passionnant, la forme un peu moins.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux