Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Escape from Tomorrow
Père : Randy Moore
Livret de famille : Roy Abramsohn (Jim), Elena Schuber (Emily), Katelynn Rodriguez (Sara), Danielle Safady (Sophie), Jack Dalton (Elliot), Annet Mahendru (Isabelle), Lee Armstrong (homme en moto)…
Date de naissance : 2013
Majorité au : indéterminée
Nationalité : USA
Taille : 1h30
Poids : 1 million $
Signes particuliers (+) : Escape from Tomorrow vaut surtout pour la rocambolesque histoire de sa conception, un « coup » doublé d’un tour de force technique qui lui ont offert sa notoriété médiatique. Sur la forme, l’effort de Randy Moore essaie d’être le plus soigné possible malgré ses contraintes et le résultat ne démérite de singularité pour devenir un véritable OFNI plein d’étrangeté.
Signes particuliers (-) : Passé l’excitation de découvrir ce petit film ultra-malin qui fait le buzz, force est de constater qu’Escape from Tomorrow déçoit. Si le boulot accompli est étonnant, le film trouve l’essentiel de son intérêt dans un visionnage associé à sa petite histoire, chaque scène se remettant en perspective dans le contexte. En dehors cela et sur un plan purement qualitatif, on sent rapidement les limites d’une mise en scène contrainte et non pensée et d’un scénario au final assez pauvre et redondant, partant dans des « délires » étonnants qui en font une curiosité un brin ennuyeuse. Entre le cheap foireux, la roublardise intéressante et la prétention mal-aisée, le coeur balance…
UNE JOURNÉE « DE DINGUE » À DISNEYLAND !
Résumé : Un homme apprend qu’il est licencié le matin même où commence quelques jours de vacances en famille à Disneyland. N’osant pas le dire à ses proches, il garde cette angoisse pour lui. Mais au fur et à mesure que la journée avance, le parc devient de plus en plus étrange et très vite, la virée familiale tourne au cauchemar alors qu’il se met à voir des choses et sombre dans la folie et la paranoïa…
Escape from Tomorrow où la palme d’or du projet le plus étonnant voire le plus incroyable de l’année 2013. Rappel des faits. Cet été, la nouvelle d’un film d’horreur tourné clandestinement en plein Disneyland Resort avait affolé la toile. Au moins autant qu’il n’avait fait grincer des dents du côté des studios aux grandes oreilles. Pour résumer l’affaire, un réalisateur néophyte répondant au nom de Randy Moore avait hérité d’une fortune familiale. Le cinéaste a injecté son capital dans le tournage d’un film de genre psychologique tourné sans la moindre autorisation au beau milieu du parc avec une équipe de 200 personnes s’étant faite passer pendant une dizaine de jours, pour de simples touristes en vacance. Roublard. Car sur le fond, Moore savait pertinemment que jamais il n’obtiendrait les autorisations nécessaires pour tourner un film d’horreur dans ce royaume de l’enfance qu’est Disneyland. Maligne, l’équipe a réussi à emballer son long-métrage en faisant preuve d’une haute dose d’habileté. Des appareils photos grand public en guise de caméra pour ne pas être confondue, une esthétique en noir et blanc afin de limiter les effets d’une absence d’éclairage pro, des acteurs jouant à merveille la petite famille en vacance, des plans tournés dans la discrétion la plus absolue en mode « ni vu ni connu, je t’embrouille », un scénario écrit à minima et laissant une grande latitude de mise en scène, des téléphones portables bien chargés pour communiquer… Incroyable mais vrai. Escape from Tomorrow est né d’un véritable débordement d’ingéniosité. Le buzz autour de sa prouesse aura été immédiat et le film se retrouvera présenté au réputé festival de Sundance.
Escape from Tomorrow raconte la journée cauchemardesque d’un homme qui bascule dans la folie et la paranoïa après avoir appris son licenciement un matin par téléphone, alors qu’il se trouve sur le balcon de la chambre d’hôtel qu’il vient d’investir avec sa petite famille venue passer quelques jours à Disneyland. Préférant garder le secret pour profiter de cette journée censée être idyllique, le malheureux va progressivement vriller. Le comédien Roy Abramsohn (vu dans Glee ou Private Practice) incarne Jim, pauvre homme confronté à un simple et triste coup de fil aux conséquences fatales puisque ce sera tout l’équilibre d’esprit d’un homme qui va se rompre, l’amenant lentement vers une folie obsédante qui lui fera voir des choses étranges, comme si tout dans ce parc à thème était devenu source d’agression.
La grande question à laquelle on était impatient de répondre était de savoir si, outre le buzz artistique né de sa prouesse atypique, Escape from Tomorrow était bon, au-delà de ses minces moyens et de sa facture artisanale. On ne savait pas vraiment à quoi s’attendre et une chose est sûre et certaines, le film est un OFNI total. Comprenez, un objet filmique non identifié, un film que l’on aurait du mal à qualifier autrement que de bizarrerie déroutante, parfois fascinante, souvent étrange et généralement absconse et inconfortable.
Techniquement, les premières images entrevues laissaient augurer un beau mélange de débrouillardise et de talent artistique certain pour compenser le bricolage opéré sur le « plateau grandeur nature » qu’était Disneyland. On sentait que Randy Moore avait essayé de lécher son affaire avec les moyens du bord, même si certains cadrages trahissaient dans le même temps un film tourné à l’arrachée, en mode « sauve qui peut ». La réalité est au final nettement moins surprenante et emballante que prévue, même si Escape from Tomorrow demeure sacrément audacieux et supérieur à ce qu’il aurait pu censé être en plus d’afficher des ambitions élevées. Le néo-cinéaste fait son maximum pour soigner son premier long-métrage, pour y conférer une véritable dimension esthétique, jouant notamment avec beaucoup de malice sur les possibilités de montage qui lui était offertes pour rattraper les coups mis en échec. Son noir et blanc est magnifique, son projet et ses intentions courageux, reste que trop de détails évidents ou discrets, affaiblissent son ingéniosité apparente. A commencer par nombre de séquences trop complexes à filmer directement sur place et en réalité tournés sur fond vert et intégrées sur des images à vide du parc. Des effets qu’il faut admettre ratés et qui donnent un cachet rétro à un film qui pourtant s’applique à ne jamais tomber dans le bis cheap, bien au contraire, Moore ayant eu la bonne idée de préférer s’amarrer au thriller horrifico-psychologique plutôt qu’à l’horreur graphique. En cela, Escape from Tomorrow tire davantage vers le drame d’auteur que le film d’horreur pur, cherchant le fun. De même, on sent fréquemment que le metteur en scène filme comme il peut et non comme il veut, assurant en premier lieu la discrétion au lieu du qualitatif de la composition, la mise en scène étant souvent dictée par les impératifs du moment plus que par une véritable réflexion artistique. Toutefois, si techniquement il y aurait beaucoup à redire, reste que remis en place dans son contexte, Escape from Tomorrow est un tour de force étonnant.
Mais quid du contenu ? Escape from Tomorrow est une sorte d’anti-conte complètement frappé, aussi fou que son projet, à l’image de son dernier acte qui part en vrille dans un délire SF totalement barré convoquant à la fois des références comme Mondwest ou Brazil. Pour le reste, on sent une vague inspiration Polanski époque thriller psychologique voire même un esprit très Nouvelle Vague française. Si l’on demeure en permanence amusé par la débrouillardise et la folie de l’entreprise, concrètement le film n’est pas la si bonne pépite espérée. Ses qualités intrinsèques de drama usant de l’éternelle ficelle de l’instabilité mentale provoquée par une goutte d’eau faisant déborder le vase de la folie contenue, sont assez moyennes, Randy Moore s’efforçant de compenser son manque d’inventivité et d’enjeux narratifs par un amoncellement d’effets rhétoriques tournant rapidement en rond voire à vide. On retiendra par contre l’acidité d’un final plein d’ironie envers le système Disney, et qui a du faire bondir des hordes d’avocats qui n’attendaient qu’une chose : tomber sur le film à grands coups de textes de loi en invoquant les nombreuses violations dont il s’est rendu coupable !
Pour ceux qui attendaient un petit film d’horreur bien distrayant en trépignant d’impatience, on préfère vous prévenir, Escape from Tomorrow n’est pas vraiment de ce ressort là. Randy Moore signe un drame psychologique déconcertant virant au film d’auteur (parfois pompeux) teinté de surréalisme fantastico-SF et qui va tout au bout de sa démarche s’immergeant au plus profond d’un cerveau qui a complètement dérivé de la réalité pour pénétrer de plein pied dans le monde de l’irrationnel. Un film « spécial » à bien des égards et qui risque d’en rebuter plus d’un par sa singularité très poussée, épousant les frontières du « grand n’importe quoi » en apparence toutefois très maîtrisé. Une déception du coup ? Pas vraiment. Juste une œuvre atypique éloignée du coup marketing qu’on a bien voulu lui accolé de « film d’horreur tourné sous le manteau dans Disneyland » mais qui objectivement, vaut davantage pour sa tentative de contrepied et son histoire derrière l’histoire, que pour ses réelles qualités formelles et narratives.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux