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AMERICAN FICTION de Cord Jefferson : la critique du film [Prime Video]

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Nom : American Fiction
PèreCord Jefferson
Date de naissance : 08 mars 2024
Type : Disponible sur Amazon Prime Video
Nationalité : USA
Taille : 1h57/ Poids : NC
Genre : Comédie dramatique

Livret de Famille : Jeffrey WrightTracee Ellis RossJohn Ortiz, Issa Rae, Sterling K. Brown, Erika Alexander…

Signes particuliers : Un pur bijou qui aurait mérité bien plus de visibilité !

Synopsis : Thelonious « Monk » Ellison, professeur d’anglais, écrit un roman satirique sous un pseudonyme, dans le but de dénoncer les hypocrisies de l’industrie de l’édition.

NOTRE OSCAR DU MEILLEUR FILM

NOTRE AVIS SUR AMERICAN FICTION

Il aurait mérité tellement mieux que son seul Oscar du Meilleur Scénario. Et il aurait mérité tellement plus de visibilité que sa petite sortie confidentielle chez nous. Disponible sur la plateforme Amazon Prime Vidéo (qui ne communique pas beaucoup dessus), American Fiction était l’un des outsiders de la dernière cérémonie des Oscars. Premier long-métrage de Cord Jefferson, un scénariste qui a roulé sa bosse à la télé américaine et sur de nombreuses séries (comme Succession, Watchmen ou The Good Place), American Fiction fait d’ores et déjà partie des meilleurs films de l’année 2024. Porté par l’exceptionnel (et sous-estimé) Jeffrey Wright, Fiction à l’américaine comme il a été titré chez nous, est une satire s’amusant des stéréotypes qui entourent la vision des blancs sur la communauté noire, contaminant parfois les bonnes intentions ou l’engagement idéologique, politique, social ou culturel.
Thelonious Monk est un auteur reconnu dont les livres plutôt intello-sophistiqués ne se vendent guère. Dépité et remonté par « ce qui marche » et le cynisme des productions culturelles sur la communauté noire répondant trop souvent aux clichés voulus par les consommateurs blancs, il se lance volontairement dans l’écriture cynique et moqueuse d’un bouquin putassier répondant à cette vision clichesque. Juste pour la bague à la base… Sauf qu’à sa grande surprise et non sans une extrême ironie, son bouquin « merdique » bardé des clichés grossiers va devenir un énorme succès, soi-disant parce qu’il transpire le vrai et qu’on sent qu’il a été écrit avec les tripes. Cynique, disait-on ?
Qu’est-ce que c’est brillant ! Et tellement drôle ! Et si intelligent ! Et même profondément émouvant aussi… Dire que Cord Jefferson signe un film quasi parfait ne serait que très peu éloigné de la réalité -certes pleine d’emphase- dans laquelle on se retrouve une fois terminée sa comédie satirique qui articule le rire tordant, la charge corrosive, le drame familial universel, la romance attendrissante et la critique clairvoyante d’un système de récupération idéologique qui s’est construit sur un cynisme masqué, presque invisible parfois, mais en tout cas bel et bien existant. Dès l’entame, une scène hilarante donne le ton et le sens du film, quand notre héros écrivain-conférencier noir donc, se fait charger en plein cours par une élève scandalisée de le voir utiliser le mot « nègre » pour les besoins de sa démonstration d’étude. Ubuesque, symbolique d’un monde à l’envers où certains s’arrogent les causes d’autres sans même les maîtriser et en pensant mieux les comprendre qu’eux. Évocateur aussi à l’heure du sur-wokisme inclusif où l’on a parfois l’impression de plus entendre le brouhaha de bobos blancs pseudo-engagés que les voix des principaux concernés. Un exemple, cette tendance blanche a utiliser le mot « black » au lieu de « noir » comme si c’était moins péjoratif alors que c’est un non-sens absolu (Jean-Pascal Zadi en parlait dans son Tout Simplement Noir). Et cette scène d’introduction drôlissime de n’être que le début d’un festival d’ironie oscillant entre le désopilant burlesque et la diatribe railleuse follement maligne et toujours au service d’un propos analysant intelligemment des mécanismes de pensée mal-établis et fruits de maladresses, d’ignorance ou de cynisme.
Entre autres choses, American Fiction est une dénonciation de ce que l’on appelle communément la « culture noire », expression créée par des blancs pour y enfermer les grosses lignes d’une culture comme si elle se limitait à des codes réducteurs définis. Non, la culture noire ce n’est pas que le langage de la rue, les tragédies urbaines, les violences policières, le gospel, le sport ou le hip hop. Comme chez les blancs, il y a 1001 sortes de personnes, repris de justice ou bourgeois éduqués, ouvriers ou avocats, amateurs de R’NB ou de musique classique, scientifiques ou littéraires, gens heureux ou malheureux, enthousiastes ou aigris. Tout un monde qui échappe aux diktats des codes baliseurs. Oui, les noirs c’est plus que ce que l’on veut en montrer à grands coups de clichés installés. Partant de là, pourquoi toute œuvre ayant attrait à la communauté noire doit-elle forcément faire dans le trauma porn à base de misère, d’injustices, d’histoires de ghetto ou de violence. Peut-être parce que c’est ça que les consommateurs blancs veulent voir ou lire, pour flatter leur besoin d’indignation sur le quotidien actuel de la communauté noire tel qu’ils le perçoivent. Et pourquoi les auteurs noirs participent -parfois sans le vouloir- à cette complaisance biaisée ? Autant de questions que posent un film s’imposant comme une fine analyse sociologique.

Mais la grande force d’American Fiction est d’évoquer et débattre de notions sociétales complexes… avec une simplicité extrêmement intelligente. Et surtout sans jamais sombrer dans la thèse pompeuse et sur-intellectualisée. Avant toute chose, le film de Cord Jefferson est une comédie dramatique divertissante, à la fois très amusante et très émouvante. Le propos élaboré par Cord Jefferson est direct, clair, simplement argumenté, mais sans jamais que cette simplification intelligible ne sacrifie la pertinence et l’intelligence du discours. En cela, American Fiction est terriblement malin. Pour ne pas dire brillant dans sa démonstration étudiant avec clairvoyance son sujet approfondi et que le cinéaste orchestre dans une narration efficace et universelle. Car s’il parle d’un sujet spécifique, American Fiction à cette double-intelligence de ne pas s’enfermer sur son seul sujet. Cord Jefferson y fait preuve d’une universalité magnifique qui ne fait que soutenir le propos : on est tous pareil et on partage tous les mêmes choses. Comme les galères de boulot, le besoin de reconnaissance, la vie familiale parfois mouvementée, les joies et les peines, l’amour ou les épreuves, les liens filiaux avec des parents que l’on voit partir.

Sublime quand il donne dans la chronique familiale, hilarant quand il brandit son ironie pour mieux décortiquer son propos, American Fiction est un bijou, un très grand film accessible et pourtant profond, une œuvre actuelle et lucide, un long-métrage habile capable d’être douloureux, comique, bouleversant, introspectif, existentiel, interrogateur. En résumé, ludique et brillant. On s’y amuse autant que l’on comprend certaines choses trop bien ancrées dans nos sociétés.

 

 

Par Nicolas Rieux

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