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LA ZONE D’INTERET de Jonathan Glazer : la critique du film

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Nom : The Zone of Interest
PèreJonathan Glazer
Date de naissance : 31 janvier 2024
Type : sortie en salles
Nationalité : Angleterre
Taille : 1h45 / Poids : NC
Genre : Drame, Guerre, Biopic

Livret de Famille : Christian FriedelSandra HüllerJohann Karthaus

Signes particuliers : Grand Prix du Festival de Cannes.

Synopsis : Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

LA BANALISATION DU MAL

NOTRE AVIS SUR LA ZONE D’INTERET

Si l’on doit énumérer en fin d’année les films qui auront le plus divisé en profondeur, fort à parier que The Zone of Interest tiendra une place de choix au panthéon du clivant. Dans la droite lignée de sa présentation à Cannes où il fut promis à la Palme par les uns et pas très reçu par les autres. Quoi de plus logique, il faut avouer que le nouveau long-métrage de Jonathan Glazer (les particuliers Birth et Under the Skin) est très singulier. Singulier et surtout très radical. Adaptation d’un roman de Martin Amis, La Zone d’Intérêt filme la Shoah sans montrer la Shoah, il raconte l’enfer des camps de concentration sans jamais s’aventurer à l’intérieur des camps de concentration, il se passe à Auschwitz sans mettre un pied dans Auschwitz. Mitoyen du camps de l’horreur, le commandant SS Rodolphe Hoss s’est construit une vie de rêve avec sa famille. Une belle maison, un immense jardin, une piscine, une serre avec un potager, des fleurs partout, des enfants qui jouent… La demeure parfaite… accolée au camps d’Auschwitz où la machine de mort nazie fonctionne à plein régime sous la direction de ce commandant particulièrement zélé et impliqué dans son « travail ».

Radical disait-on. Jamais la caméra de Glazer ne pénétrera dans le camp pour filmer l’abominant. Tout passera par quelques dialogues, sera suggéré par l’image de la fumée qui s’échappe des hautes cheminées ou par le son en fond. Une nappe sonore extraordinairement travaillée à base de cris, de coups de feu ou de bruits d’usine à extermination. Le pari est radical et la démarche cinématographique singulière (comme a pu l’être celle du Fils de Saul il y a quelques années). Il n’empêche que cette « autre approche » de l’horreur est tout aussi glaçante, sinon plus. Car elle témoigne d’un principe humain qui dépasse l’entendement, cette capacité de vivre une vie tranquille et heureuse au contact de la mort horrifiante, cette capacité à se détacher complètement des atrocités commises par des hommes dénués du moindre sentiment ou ressentiment. Cette capacité de vivre en toute décontraction comme si « le monde d’à côté » n’existait pas. Etrange sensation.

On avait peur d’une chose, l’effet « concept ». Passé le postulat déstabilisant pendant une demi-heure, Jonathan Glazer allait-il avoir d’autres idées pour prolonger un travail qui ne pouvait décemment se réduire à une simple idée conceptuelle « artistique », toute aussi singulière soit-elle. La réponse ne trouve pas de réponse définitive. Oui, Glazer réussit à tenir le pouvoir de fascination malaisante qu’opère son film par quelques relances de scénario et une mise en scène qui scrute admirablement l’effroi humain. L’impressionnante puissance des interprétations de ses comédiens (Sandra Hüller en tête) n’y est pas étrangère. Il faut bien dire que la comédienne tient là un rôle passionnant dans le côté presque surréaliste qui habite son personnage. Hedwig Hoss est totalement désintéressée par l’inconfort qui entoure son confort. Sa piscine, ses fleurs, son potager, les aménagements réalisés dans sa jolie maison, c’est tout ce qui l’intéresse, tout ce qu’elle voit, tout ce qui la concerne. Le reste, le campus, le bruit de la mort, elle l’occulte avec un naturel presque fascinant d’inhumanité. Tout cela n’existe pas pour elle, son seul rapport à cette machine à exterminer se résumant aux vêtements ou bijoux qu’elle récupère sans aucune émotion particulière. Se montrer aussi impliquée dans un rôle fermement dénué d’émotions est une sacrée composition pour une comédienne et Sandra Hüller est clairement à la fois l’héroïne, l’épicentre et la force de cette Zone d’intérêt.

Néanmoins, si le film fascine par son impact glaçant et son regard sur ce couple ardemment désireux de préserver leur microcosme épanoui au milieu des cendres juives, il finit par tourner un peu en rond sur lui-même alors que Glazer se regarde parfois filmer quand il s’adonne à certains élans expérimentaux (les scènes en négatif) n’apportant au final pas grand-chose à son dispositif écrasant. D’autant que s’il y a bien une chose que le cinéaste ne réussit pas, c’est sa sortie. La Zone d’intérêt s’achève sans se finir, sur une idée théorique comme si Glazer, prisonnier de son concept, ne savait pas comment terminer son film. Il en reste une frustration de ne pas être aller au bout (surtout qu’il y avait des choses passionnantes à raconter derrière sur la destinée et la fin de ce couple horrifiant de normalité), frustration toutefois teintée d’un sentiment de malaise vertigineux devant l’implacable expérience cinématographique et sensorielle provoquée par cette réflexion sur la banalité du mal à travers le portrait d’une famille dont l’écœurante sérénité est pourchassée par un cynisme terrifiant.

Virtuose mais redondant et plus pénétrant que réellement profond, La Zone d’intérêt est difficile à cerner, coup de génie évocateur ou faux chef-d’œuvre chic-choc plus formaliste qu’éminemment intelligent, les deux points de vue s’entendent et se respectent, car le film est un peu tout cela à la fois.

 

 

Par Nicolas Rieux

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