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LE PLONGEON / THE SWIMMER (critique – drame)

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swimmerMondo-mètre :
note 8.5
Carte d’identité :
Nom : The Swimmer
Père : Frank Perry (et Sidney Pollack)
Livret de famille : Burt Lancaster (Ned Merrill), Janet Landgard (Julie Ann), Janice Rule (Shirley), Tony Bickley (Donald), Marge Champion (Peggy), Kim Hunter (Betty), Joan Rivers (Joan)…
Date de naissance : 1966 / Nationalité : États-Unis
Taille/Poids : 1h34 – Budget NC

Signes particuliers (+) : Une métaphore magistrale de la vie d’un homme au-delà de l’apparence qu’il renvoie et par extension de la société américaine d’une époque, basée sur une histoire amusement décalée. Intelligent et brillant dans sa construction à la fois simple et complexe, The Swimmer est un des plus rôles de Lancaster et un chef d’oeuvre méconnu, puissant, cruel, troublant et déchirant.

Signes particuliers (-) : Sa production compliquée est parfois subrepticement visible à l’écran.

 

LE GRAND PLONGEON DANS LA VIE D’UN HOMME

Résumé : Dans un quartier résidentiel aisé, Ned Merrill passe dire bonjour à des voisins. Il fait beau, il est seulement vêtu de son maillot de bain. Ned a une idée : rentrer chez lui à la nage et passant par toutes les piscines de son voisinage…

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The Swimmer n’est pas le film le plus célèbre de la carrière de l’homme au sourire le plus généreux d’Hollywood, Burt Lancaster. Dans l’ombre des Vera Cruz, Règlements de Comptes à OK Corral, Tant qu’il y aura des Hommes et autres Le Jugement de Nuremberg ou Le Guépard, il y a ce film obscur réalisé en 1966 par le méconnu Frank Perry (qui pourtant a connu une nomination à l’Oscar du meilleur réalisateur pour David et Lisa en 1962) mais sorti seulement en 1968 après un tournage et une post-production chaotique. Adapté d’une nouvelle de John Cheever, The Swimmer raconte la vie troublée d’un homme par la métaphore de sa journée où il décide de rentrer chez lui en passant par toutes les piscines de ses voisins. Un pitch assez étrange limite ubuesque, mais qui donne lieu à un film magnifique où les fêlures d’un homme se dessinent progressivement au gré de ses rencontres et des épisodes de sa journée fantasque.

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Frank Perry signait là son troisième film et bénéficiait de la présence de la star Lancaster en vedette, 53 ans et en parfaite condition physique, ce qui allait aider vu le sujet. Mais suite à des divergences artistiques, il finira par être débarqué du plateau par la production qui fera appel au pied levé à Sidney Pollack (auteur de trois film jusqu’alors dont Les Chasseurs de Scalps sorti la même année) pour terminer le travail. Sous la direction de Pollack, le film connaîtra quelques reshoot dont certains majeurs comme toute une séquence vers la fin du voyage de Ned Merill, le héros, voyant la comédienne Barbara Loden évincée et ses scènes coupées pour être retournées avec l’actrice Janice Rule. Pollack jugeait Loden (la femme d’Elia Kazan) trop magnétique à l’écran face à Lancaster et pris une actrice avec moins de charisme. Au final, Barbara Loden ne sera pas créditée, pas plus que Sidney Pollack cela dit.

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S’il n’est pas un film majeur de l’histoire du cinéma et resté dans les annales, The Swimmer n’en est pas moins pour autant un film à voir d’urgence pour tous les cinéphiles, notamment les amateurs du cinéma américain des années 60 comme Le Lauréat, Qui a peur de Virginia Wolf ?, 5 Pièces Faciles ou les films de Richard Brooks. Tourné comme un vrai road movie dans l’âme, The Swimmer est surtout un superbe drame psychologique magistral façonnant son univers pas à pas, au fur et à mesure du voyage physique d’homme qui se transforme progressivement, pour le spectateur, en un brillant voyage sur lui-même, son histoire, sa personnalité. Partant d’un ton proche de la comédie joyeuse, sorte de feel good movie de l’époque, The Swimmer évolue durant la balade journalière amusante qu’il nous raconte. Petit à petit, le film glisse au rythme des découvertes du spectateur sur la personnalité de Ned Merrill. Tour à tour réjouissant, troublant, dramatique, pathétique, mélancolique, le film de Frank Perry est une superbe plongée dans la vie d’un homme dont les apparences cachent bien des choses sous-jacentes. Et c’est par le biais des nombreuses piscines qu’il visite comme autant de gens qu’il rencontre, que sa personnalité va se révéler, chaque terrain aquatique levant un voile de plus sur les facettes de ce personnage plus complexe qu’il n’y paraît derrière son apparente vigueur à toute épreuve.

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The Swimmer est un film traversé par une audace impressionnante, aussi bien narrative qu’esthétique. Il était déjà courageux dans son postulat de départ de raconter la journée d’un homme décidant de rentrer chez lui à la nage en passant par toutes les piscines de son voisinage. Il l’est également dans le contenu, le personnage de Ned Merrill se révélant lentement être un homme bien plus complexe que le simple charmeur enjoué que l’on découvre au début. Il va l’être aussi dans sa façon de surprendre le spectateur durant ses 94 minutes qui filent à la vitesse de la lumière. Enfin, il va l’être dans son esthétisme à mi-chemin entre onirisme et naturalisme.

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Construit comme un puzzle qui se mettrait en place dans un ordre anachronique, The Swimmer est d’une intelligence rare dans sa structure et sa mise en scène. Le film fonctionne comme une parabole à tous les niveaux. Vaillant, fier comme un roc au départ, le personnage de Ned Merrill va avancer dans son pari fou, traverser des propriétés, rencontrer des gens, et lentement mais progressivement, sa vaillance va être ébranlée. Ses certitudes sont lentement mis à mal, sa jovialité se fissure face à quelques obstacles, certaines rencontres mettent son image en souffrance, il se blesse légèrement, se met à boitiller, s’arqueboute, peine, et plus le temps passe, plus le voyage lui est pénible, dur, plus sa carapace d’homme fort est déstabilisée, vacillante. Ce chemin physique n’est là que pour soutenir le chemin qui mène le spectateur à la connaissance de son passé, de sa situation présente. Et le film de devenir cette remarquable parabole évoquée d’un homme qui joue des apparences pour masquer ce qui mine son fort intérieur, de passer de la comédie au drame. La ferveur du début laisse place à l’ébranlement psychologique, la motivation au doute, l’enthousiasme à un combat aussi absurde que pathétique, l’invincibilité aux fêlures, tout cela au gré des rencontres avec des amis fêtards, avec une voisine rancunière, un couple de nudistes, avec une ex-baby-sitter envoûtante, avec une ex-maîtresse fragile et cinglante, avec l’amitié puis la méchanceté…

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The Swimmer est en quelque sorte la chute imagée d’un homme à qui tout réussissait dans l’Amérique glorieuse des années 50-60 qui commence à décliner. Le monde d’avant est en train de changer et Ned Merrill avec lui. Frank Perry double son récit multi-voyageur d’une satire de la société consumériste américaine. L’époque de la truculence, de l’aisance et de la réussite touche à sa fin et Ned Merrill avec elle. Les voisins mangent du caviar à la cuillère, fanfaronnent avec leurs piscines dernier cri, mais la réalité de cette société des excès qui précipite sa chute va être incarnée par un Lancaster dans l’un de ses meilleurs rôles. Derrière les apparences factices, c’est un monde plus sombre et tragique qui va se révéler et alors que la silhouette de Ned se désagrège, ce sont les convictions d’un homme et le reflet d’une culture qui déclinent avec lui.

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Si le film de Perry n’est pas parfait, il n’en est pas moins une découverte singulière que l’on encourage à voir de toute urgence. Les menus défauts sont visibles à l’image, les retakes opérées par Pollack aussi mais tout s’éclipse derrière la force de cette cruelle et déchirante satire tour à tout charmeuse puis déchirante. The Swimmer est le basculement d’une figure surpuissante, iconique de l’Amérique. Histoire d’un homme qui se brise sous nos yeux par une narration rétrospective brillamment construite et contée, d’un homme qui nage dans la vie et métaphoriquement contre elle, c’est un chef d’œuvre de l’ombre méconnu qui gagnerait à entrer dans la lumière. Le cinéma n’a pas fini de nous épater grâce à ces classiques en apparence insignifiant qui se révèlent d’authentiques perles puissantes et ravageuses. Magnifique.

Bande-annonce :

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