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LE GRAND SOIR (critique)

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Carte d’identité :
Nom : Le Grand Soir
Parents : Gustave Kervern et Benoît Délépine
Livret de famille : Benoît Poelvoorde (Not), Albert Dupontel (Jean-Pierre Bonzini), Brigitte Fontaine (la mère), Areski Belkacem (le père), Bouli Lanners (le vigile), Serge Larivière, Stéphanie Pillonca, Gérard Depardieu, Yolande Moreau…
Date de naissance : 2012
Nationalité : France
Taille/Poids : 1h32 – 2,5 millions €

Signes particuliers (+) : Une douce folie cachant parfois du tragique derrière son comique de façade. Deux excellents comédiens.

Signes particuliers (-) : Un peu confus, pas très bien canalisé et maîtrisé, ce qui lui donne à la longue un côté fatigant et un peu vain.

 

SI CHE GUEVARA AVAIT ÉTÉ PUNK…

Résumé : Not est un punk à chien, le plus vieux d’Europe selon lui, vivant dans la rue et tenant plus que tout à sa liberté. Son frère, Jean-Pierre, est vendeur dans un magasin de literie d’où il est sur le grill, à la limite du licenciement faute de faire assez de chiffre. Ces deux là n’ont pas grand-chose en commun et pourtant, leur destinée va devoir se rencontrer frontalement avec la révolution comme mot d’ordre…

Rarement une catégorie de prix n’a aussi bien porté son nom que la sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes où a été présenté Le Grand Soir du tandem Gustave Kervern et Benoît Délépine, venus de l’émission trash-décalé de Canal+, Groland. Car en effet, depuis leur premier film en 2004 Aaltra, le duo de cinéastes atypiques propose un « certain » cinéma, loin des canons traditionnels, particulier et très personnel. Le Grand Soir est leur cinquième film et s’inscrit toujours autant dans leur veine mi-humoristique, mi-tragico-mélancolique. Même si l’on retrouve dans des seconds rôles plus ou moins longs les acteurs avec lesquels ils ont l’habitude de tourner comme Yolande Moreau, Gérard Depardieu ou Bouli Lanners, c’est à un duo de stars jamais réunies ensemble dans le même film que les deux amis confient les clés du camion avec Albert Dupontel (déjà présent dans deux de leurs précédents films) et le fantasque belge Benoît Poelvoorde.

Le Grand Soir est du pur Kervern/Délépine, fidèles à leur style habituel inclassable. Comédie douce-amère à l’humour noir, drame tragico-pathétique, film social engagé, loufoquerie délurée et déjantée, difficile, comme d’habitude, de ranger ce dernier né dans une catégorie précise. Tout ça à la fois, Le Grand Soir s’amuse de choses finalement pas drôles et parvient à tirer une critique de société féroce à partir de petits faits tristes. Les deux compères prennent pour point de départ la société capitaliste mais surtout consumériste, la crise, la façon dont les gens sont broyés, réduits à être des moutons dans une plaisanterie de société civilisée où la liberté n’est plus tant elle ne peut affronter dans un combat presque déloyal, le carcan des normes en vigueur à respecter pour y rester valable et considéré. L’homme devient ainsi un produit à l’image de ceux qu’il achète frénétiquement et en participant à cette mascarade humaine, il en oublie les fondements de la vie, de la liberté. Vivre en marge est difficile, ce que l’on comprend via le personnage de Benoît qui, pour marquer sa différence et sa non-appartenance à ce monde fait de règles, de normes, s’est auto-surnommé Not. Not vit dehors par choix, par envie de rester libre, de ne pas participer à ce jeu hypocrite de la consommation à tout prix et à cette société dont les termes « liberté, égalité et fraternité » ne sont que purement façade ironique. Son opposé, c’est son frère, Jean-Pierre. Un boulot, une maison, des pantalons, des chaussures, une voiture, une télé, un iphone et surtout cet esprit voyant le monde comme devant être régi par des règles, par des normes, par des codes, par la consommation. Sauf que ce monde fonctionne sur le rythme du marche ou crève et ça, Jean-Pierre va vite le comprendre lorsqu’il sera licencié. C’est la crise. Certains la traverse et y survivent, d’autres ne sont pas taillés pour la combattre. Les forts subsistent. Les faibles sont évacués. Telle est la triste réalité présentée avec un certain pessimisme combattu à chaque instant par Not, bientôt rejoint.

Dans cette farce un brin nonsensique, totalement irrévérencieuse et amoureusement anarchiste malgré la naïveté affichée (et probablement revendiquée), Kervern et Délépine tire à boulets rouges sur les enseignes commerciales, sur ces nouveaux lieux de sociabilité ultime pourtant déshumanisés et froids. Avec leur humour, les deux originaux revendiquent leur différence par un cinéma qui l’est tout autant, à refuser de se laisser ranger, classer, à refuser de respecter des normes. Souvent loufoque et lunaire, Le Grand Soir a cette sincérité de chaque instant qui le rend attachant et replace une triste réalité vue avec acidité dans un délire barré flirtant avec le délicieusement grotesque et le gentiment doux-dingue à l’image de ses personnages. Des personnages campés par deux excellents comédiens qui se donnent la réplique dans des dialogues et des situations ubuesques délectables. D’un côté un Poelvoorde touchant, qui montre qu’il peut être autre chose que le pitre de service. De l’autre, un Dupontel tantôt hystérique, tantôt clown triste en pleine déchéance, rattrapé de justesse par le décalage de son frère qui vole à son secours. Ces deux antihéros dans une œuvre fourre-tout bordélique proche du western social moderne, sont les plus beaux portraits de marginaux vus dans le cinéma français ces temps-ci.

Le coup aurait presque pu être total si l’énergie déployée à alimenter cette excentricité ne devenait pas finalement un peu épuisante à la longue. On ne doute pas de la sincérité des deux cinéastes mais ils n’ont pas la poésie du décalage d’un Kaurismaki même s’ils s’en approchent et leur critique sociale finit par tourner un peu en rond et à vide à force d’agiter la pellicule dans tous les sens sous la sacro-sainte hymne punk du « contre permanent » en clamant joyeusement qu’il faut tout renverser. Le Grand Soir, comme son récit, se résume à une posture contre les règles, contre la norme, dans un discours un peu vain et naïf duquel ressortent quelques vérités factuelles et bons mots mais qui font sourire un temps avant de lasser. La lucidité du constat fait plus tenir le film que la finalité qui se cogne contre les limites des idées proposées par l’esprit punko-anarchiste.

Bande-annonce :


LE GRAND SOIR : BANDE-ANNONCE Full HD Avec… par baryla

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