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TÁR de Todd Field : la critique du film

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Nom : Tár
Père : Todd Field
Date de naissance : 2022
Majorité : 25 janvier 2023
Type : sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h38 / Poids : NC
Genre : Drame

Livret de Famille : Cate BlanchettNina HossNoémie Merlant

Signes particuliers : Fascinant. 

Synopsis : Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société.

UN FILM HORS NORMES

NOTRE AVIS SUR TAR

Révélé avec le formidable In The Bedroom en 2001 (5 nominations aux Oscars), l’américain Todd Field avait disparu des écrans au lendemain de l’échec de Little Children, son second film sorti en 2006. Il aura fallu attendre plus de 15 ans pour le voir ressurgir avec une nouvelle œuvre. Pendant toutes ces années, le cinéaste travaillait sur Tár (dix ans qu’il planche dessus), un drame dressant le portrait d’une cheffe d’orchestre très influente dont la vie va se désagréger en l’espace de quelques semaines sur fond de scandales. Todd Field a écrit le film spécialement pour Cate Blanchett et confie volontiers qu’il ne l’aurait pas fait sans elle. Fort heureusement, la comédienne a accueilli le rôle à bras ouverts. Plus que cela, elle s’y est investie comme rarement, apprenant l’allemand et le piano. Sa performance absolument saisissante, a été saluée dans le monde entier et la positionne déjà comme l’immense favorite pour le prochain Oscar de la Meilleure Actrice

Tár est un déraillement. Le déraillement d’un personnage, le déraillement d’une machine à créer. A l’écran, le film de Todd Field observe la désagrégation d’une vie très établie. Celle de Lydia Tar, une influente cheffe d’orchestre reconnue dans le monde entier et à la tête du prestigieux orchestre symphonique de Berlin. En coulisses, Tár interpelle et secoue tous les codes de l’industrie hollywoodienne actuelle. Dès le générique de début, qui est en réalité un générique de fin, Todd Field envoie un signal. Tár sera un film différent, un film hors norme, hors sentier, un pied de nez.

Plus le film progresse, plus il se révèle comme une création extrêmement précise, puissante et singulière. A l’image de son montage qui commence par de longues séquences très lentes et verbeuses, et qui progressivement se veut plus raccourci, plus nerveux. Comme s’il passait du drame au thriller psychologique. Et à mesure qu’il progresse, c’est surtout son impertinence qui jaillit. Mais non pas par envie d’être spécialement impertinent par position, juste parce qu’il entend s’inscrire loin dès rhétoriques formatées. A l’heure où Hollywood donne dans un wokisme inclusif sur-lissé voire fossoyeur de toute saillie idéologique et authenticité, Tár est une anomalie. Sa Lydia Tár est un personnage à la fois fascinant, vampirisant, effrayant. C’est une femme de pouvoir dont le cœur semble profondément enfoui sous une image entre charisme qu’elle impose et crainte qu’elle inspire. C’est une femme. Une femme homosexuelle. Une femme homosexuelle que son pouvoir semble enivrer. Todd Field dresserait-il un portrait sombre et misogyne d’un type de personnage que traditionnellement Hollywood emploierait positivement pour promouvoir sa pseudo-modernité progressiste ? C’est ce qu’a pu clamer avec véhémence la cheffe d’orchestre Marin Aslop, qui a peut-être partiellement inspirée le film au passage. Pour elle, le film véhicule des stéréotypes arriérés et machistes selon lesquels une femme est incapable d’assumer avec lucidité un statut de pouvoir. Non. Non Todd Field ne joue pas sur ce terrain là. Son film compte (trop ?) sur l’intelligence de son auditoire pour décrypter ce qu’il explique en sous-texte. Todd Field se sert de son personnage uniquement pour casser les conventions cyniques que le système hollywoodien installe depuis les mouvements féministes récents.

C’est tout le paradoxe d’une œuvre anormalement démente et épaisse. Alors qu’il tord le cou à toutes ces pseudo-conventions actuelles exploitant l’inclusivité uniquement pour se donner bonne conscience, Tár répond pourtant comme peu d’autres aux valeurs du fameux test de Bechdel. C’est le portrait d’une femme qui existe par et pour elle. Et tout en étant féministe à sa manière, il fait exploser les codes du cinéma féministe lissé en faisant de son héroïne (femme), un ogre que le pouvoir va déstabiliser et faire briller autant que vriller. En somme, un personnage femme qui n’a rien de positif. Parce qu’au fond, la réelle inclusivité serait celle-ci, ne pas sortir les femmes de cases pour mieux les enfermer dans de nouvelles. Sa Lydia Tar échappe à tous les schémas stéréotypés homme/femme passés ou présents. Elle est un personnage qui ne se définit pas par son sexe. Et le film de justement questionner ces schémas en creux derrière tout un tas de choses, de projeter au centre de l’œuvre un maelström de réflexions sans jamais chercher à imposer une quelconque vérité définitive. Il est question des dangers du pouvoir, de cancel culture, de wokisme, de féminisme, du rapport entre l’homme vs l’artiste. Autant de questions souvent débattues ces temps-ci, autant de sujets épineux que le cinéma hollywoodien actuel peine à toucher avec profondeur, justesse et prise de risque ; et que Tár travaille avec une intelligence rare dans une œuvre grandiose et aspirante. Car oui, on se fait aspirer par le très long-métrage de Todd Field.

2h40. L’imposante durée de Tár fait peur au départ. D’autant plus qu’il commence comme une thèse de musicologie classique donnant pas mal dans l’exposé pointu. On se dit que le temps va être long. Il le sera. Sauf que lentement mais avec assurance, le spectateur est happé dans une spirale passionnante. Happé par cette plongée dans les arcanes de la musique classique, dans les coulisses du monde de la culture élitiste, happé par ce portrait d’une icône à la personnalité dévoreuse, happé par sa dérive. Porté par la composition magistrale de Cate Blanchett, Tár est un film à la richesse hypnotisante, une œuvre d’auteur très exigeante certes,  mais littéralement habitée par ses thématiques, par sa maîtrise, par sa densité, par l’examen profond, lucide et réfléchi qu’il dresse des mécanismes du pouvoir dans nos sociétés contemporaines.

Par Nicolas Rieux

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