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AD ASTRA : Rencontre avec le réalisateur James Gray

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James Gray. Figure mythique du cinéma d’auteur américain. Fils spirituel de Francis Ford Coppola. Le cinéaste débarque dans nos salles avec son nouveau film Ad Astra, une odyssée spatiale de toute beauté (notre critique ici). Voici, le récit de 45 minutes de conversation avec le quinquagénaire le plus cool d’Hollywood, capable de s’attrister car il trouve sa « veste super cool, mais n’arrive pas à la boutonner« , capable de faire comprendre sa haine pour la fameuse scène de la plantation française dans Apocalypse Now (dont il ne parlera pas qu’une fois), ou encore capable d’imiter plein d’accents différents. James Gray, prise 1, action.

 

A propos de l’influence d’Apocalypse Now : « C’est à la fois la même histoire qu’Apocalypse Now et en même temps non. Si vous regardez le film avec le livre de Joseph Campbell, Le Héro aux mille visages, vous remarquerez que l’empreinte de Campbell sur le film est énorme. En d’autres termes, il y a une structure de base, que j’ai reprise pour pouvoir raconter une odyssée. C’est normal que je me sois inspiré d’Apocalypse Now. Nous sommes tous inspirés par les gens et les œuvres que nous aimons. Donc d’un côté, c’est bien Apocalypse Now, mais de l’autre non, car le protagoniste part à la recherche de son père. Ce qui émotionnellement implique des schémas très différents. »

A propos de la genèse du film : « Je me suis basé sur deux articles différents, que j’ai lus en 2011 pour faire le film. L’un était basé sur une mission martienne qui sera entreprise en 2033. Ce sera le moment où Mars sera le plus proche possible de la Terre. Quatre personnes vont être enfermés dans un espace bien plus petit que cette salle où nous sommes aujourd’hui, pendant 1 an et demi. Ils vont devoir trouver des astronautes qui seront psychologiquement très fort, et d’une certaine manière se rapprochant du syndrome d’Asperger, c’est-à-dire beaucoup moins émotifs que la plupart des gens. J’ai trouvé cela intéressant que les gens qui seront recherchés demain sont ceux que l’on a du mal à tolérer aujourd’hui, car ce sont ceux qui ont le plus de mal de parler de cette expérience d’une façon spirituelle. C’est comme lorsque l’on voit Neil Armstrong : il s’exprimait uniquement en tant qu’ingénieur et non en tant que narrateur. S’il a sans aucun doute accompli le plus grand exploit de l’histoire de l’humanité, il n’était pas capable de parler d’un point de vue émotionnel, mais seulement de raconter son aventure d’un point de vue technique. À ce moment-là, j’ai lu un autre article concernant les premières expériences d’explosions nucléaires menées au Mexique. J’ai lu qu’il y avait 90% de chance que le sud-ouest entier des États-Unis ne soit pas détruit. Je me suis dit « Waow, il restait 10% de probabilité que le sud-ouest soit rasé et ils l’ont fait quand même ! Mais qu’est-ce qui se serait passé si le mec dans l’espace avait pensé à le faire ? » Et les deux idées sont rentrées en collision. Et c’est ce qu’est devenu le film.« 

À propos de 2001, L’Odyssée de l’espace : « C’est très frustrant parce qu’il n’y a rien que Kubrick n’ait pas fait. Je l’ai réalisé lorsqu’est venue la question de la musique. Impossible de mettre de la musique classique parce qu’on se dit tout de suite « Oh mon dieu, 2001 ! » Pareil avec de la musique électronique, parce qu’Orange Mécanique, ou le travail de Vangelis sur Blade Runner. Je n’ai pas pu mettre une musique traditionnelle, j’ai dû trouver autre chose. La première version de la bande-son fonctionnait parfaitement, mais je n’aurais jamais pu la mettre car on aurait pensé directement à Kubrick. Tout le monde à une dette envers Kubrick, car il a apporté le premier film de science-fiction qui paraissait scientifiquement crédible, en plus d’avoir une compréhension incroyable de la condition humaine. C’est marrant que l’on mentionne 2001, il y a tellement d’éléments qui sont absolument incroyables. Mais ce que je préfère dans ce film, c’est la scène où les astronautes marchent sur la lune pour aller voir le monolithe. Il y a cette musique extrêmement sérieuse. Et là, la première chose qu’ils font, c’est de prendre des photos ! Cela montre à quel point Kubrick a compris le fonctionnement de l’homme. Ils font face à une sorte de Dieu, et la première chose à laquelle ils pensent c’est de prendre une photo. C’est là que l’on comprend que ce qu’il y a le plus important dans ce film ce ne sont pas les effets spéciaux, mais sur ce que cela dit sur l’humanité. J’ai donc essayé de faire le contraire, car le film de Kubrick a tracé le chemin, mais celui-ci dit qu’il y a des aliens. On ne les voit pas vraiment, on ne sait pas s’ils sont bons ou mauvais : ce sont juste des aliens. Pour moi, cela présente un problème philosophique, si je peux me permettre de paraître prétentieux un instant. Même s’il s’agit de bon ou de mauvais aliens, ils sont une forme de représentation divine, et je n’y crois pas. C’est une façon de croire en une forme de vie capable de résoudre nos problèmes à notre place. Cela ne me convient pas : nous sommes sur terre, c’est la planète que nous avons et où nous vivons. C’est ici que nous sommes tous ensemble. J’ai donc essayé de faire le premier film où l’on réalise qu’il n’y a rien d’autre dans l’espace à part nous-même… Je parle beaucoup trop.« 

À propos des autres films spatiaux : « Je déteste les films spatiaux ! Non je plaisante ! J’adore par exemple E.T., mais je ne pense pas que Spielberg l’ait conçu comme un véritable film de science-fiction. C’est une fable sur l’enfance. C’est à propos de la solitude d’un enfant. À propos d’un divorce. C’est une métaphore. C’est magnifique. C’est comme Star Wars, c’est une fantaisie, ce n’est pas vraiment de la science-fiction. Je trouve que L’Empire Contre-Attaque est un film magnifique. Mais je n’étais pas fan de Star Wars, enfant. Je préférais Les Dents de la Mer : un film sur un requin en colère bouffant tout le monde sur son passage. Puis je suis passé directement à ma phase Apocalypse Now. Ce que j’ai essayé de faire, c’est de dire que sauver la terre est important, que l’espèce humaine est importante. Nous ne sommes pas capables de supporter la solitude. Les études en psychologie montre que la pire punition pour l’être humain est de se retrouver confiné seul, sans pouvoir parler à qui que ce soit. Au bout d’un moment on finit par entendre des voix, on se retrouve au bord de la folie. Je me suis dit que même si c’est dur, si le héros finit par retrouver les autres, alors il ne se retrouve plus seul. Ce qui est positif. […] Je déteste les films avec des objets qui font BIP BIP BIP, c’est instantanément ringard. Je ne voulais pas que les gens soient distraits par les gadgets dans mon film. Le chef costumier, Albert Wolsky, a été très déçu car il pensait pouvoir aller très loin avec un film spatial. Je lui ai dit que je ne voulais pas qu’il gagne un seul Oscar pour les costumes. Ce doit être le film ayant les vêtements les plus conventionnels possible, même si c’est un film qui se passe dans l’espace. Nous avons regardé l’évolution de la mode pendant les 60 dernières années. Les vêtements n’ont pas tant changé que çà. J’ai essayé de faire en sorte à ce que ne soit pas important dans le film.« 

À propos de Brad Pitt : « Quand vous essayez de faire un film sur les stéréotypes de la masculinité et dire que ce sont des conneries, vous devez commencez par la base pour les détruire. Et vous ne pouvez pas trouver qui que ce soit représentant mieux l’idée du mythe du mâle américain. Avec Brad Pitt, vous avez une forme d’archétype.« 

À propos de la figure du père : « Votre père est la première personne que vous rencontrez dans votre vie, avec votre mère. Le père fait partie de votre inconscient. Les parents pour les enfants sont comme Dieu. Ce qu’ils nous enseignent et l’inverse sont essentiels. J’essaye de revenir à la relation la plus élémentaire qui soit : père/fils, mère/fils, père/fille, mère/fille. D’essayer de comprendre ce que ça veut dire de devenir quelqu’un. […] Le plus célèbre des films sur les relations père/fils de l’histoire est Le Parrain. Pourtant, il n’y a qu’une seule scène dialoguée entre Brando et Pacino pendant trois heures ! Vous ne pouvez que supposer comment fonctionnent leurs relations. Et pourtant, on arrive à la comprendre, car nous apportons notre propre bagage dans la compréhension du film. J’ai essayé de traiter de ce sentiment d’abandon et de perte que l’on peut avoir lorsque l’on perd de vue son père pendant 20 ans.« 

Sur son travail en profondeur : « J’adore quand les gens comprennent mieux votre travail que vous-même. J’ai essayé de communiquer une idée avec vous, de faire quelque chose de très simple. Je ne réfléchis pas à la manipulation du temps et de l’espace par le cinéma. Je pense que j’ai besoin de sortir de temps en temps de ce merdier, car ça me prendrait trop de temps, et ma femme finirait par me hurler dessus tout le temps. J’ai une approche bien plus pratique de cela. J’essaye juste de raconter une histoire de manière la plus simple et claire possible. Sauf que dans ces cas-là, l’histoire devient tellement claire qu’une véritable ambiguïté peut se développer. Mais vous savez, ça me demanderait un tel niveau d’analyse de tout comprendre que je serais bon à enfermer dans un institut. »

Son rapport avec la religion : « Je ne suis pas vraiment religieux, je suis plutôt athée. Je ne me dis pas que je vais raconter une histoire juive. Mais c’est quelque chose qui fait partie de qui je suis. Pour l’anecdote, mon grand-père avait une vieille voiture qui ne fonctionnait pas. Il la gardait dans son garage et ne la sortait jamais. Mes grands-parents ne parlaient pas anglais. Et mon père avait traduit une question que j’avais posée à mon grand-père à savoir « Pourquoi gardait-il cette voiture qu’il n’utilisait pas ? » Ce à quoi il avait répondu « Parce que tu ne sais jamais quand ils viendront te chercher. » Je me suis dit « Mais c’est horrible, j’ai juste 9 ans, de quoi est-ce que tu me parles ? » Mais maintenant que je me souviens de cette histoire, je pense qu’en tant qu’enfant, cela m’a permis de mieux comprendre ce qu’est une tragédie, et je pense que cela se ressent dans le film. Quand j’étais en train de faire Two Lovers, je cherchais avant tout à faire une véritable comédie. Quand j’ai montré le film à mon père, nous le trouvions tous les deux vraiment très drôle. Puis en montrant le premier montage à un groupe d’amis, j’ai été surpris. Ils ont eu une réaction inattendue. Ils m’ont dit que c’était l’un des films les plus tristes qu’ils aient jamais vu ! Je ne suis définitivement pas doué pour faire de la comédie. Et je pense que ça peut être dû à ce sentiment qu’il y avait chez moi… Je ne pense pas que c’est lié au fait que je sois juif, mais plutôt russe.« 

À propos de la figure du héros : « Nous n’avons uniquement que des héros héroïques. On le voit dans n’importe quel film de super-héros : ils n’ont aucune faiblesse, aucune peur, ils sont quasiment parfaits. J’ai vu le dernier Avengers avec mon fils, c’était très divertissant. Mais, tous les films sont comme ça. J’ai voulu faire quelque chose de différent. J’ai lu un fantastique mémoire écrit par un certain Paul Fussel : Doing Battle making of a sceptic. C’était vraiment bien. Il parle de cette période juste après le Débarquement. Paul était avec un ami. Celui-ci avait un besoin pressant. Il est donc allé aux toilettes. Quelques minutes passent. Il s’est levé et il a vu 3 soldats en train de fumer une cigarette. Il les a salués. Et ils l’ont regardé comme s’il était un idiot. C’est là qu’il a vu qu’ils avaient un casque allemand. Il les a tous tués. Eux avaient tué son ami. Et il a obtenu une médaille de guerre pour ça, alors que c’était tout à fait par hasard. Tout cela pour dire que dans notre imaginaire, un héros est quelqu’un de parfait. Alors que parfois, nous faisons des erreurs énormes, des choses mauvaises ! Et parfois, nos actions ont des terribles conséquences. Pour moi, cela ressemble à la vie. Les super-héros sont cool, mais ce n’est pas comment je perçois le monde. Peut-être que j’ai tort, mais si tout le monde réussit tout dans un film, personne ne va s’y identifier. Nous faisons tous des erreurs, tout le temps. »

A propos de son prochain projet : « Mon prochain projet est la création au théâtre des Champs-Élysées de l’opéra : Le Mariage de Figaro. C’est la première fois que je fais cela, ce qui est plutôt terrifiant. Tout ceci à cause du directeur de ce théâtre, Michel Franck. Il m’a dit « Laisse-moi t’inviter à diner et je vais te convaincre de faire un opéra !» Je lui ai dit que je ne savais pas lequel faire, il m’a répondu « »Le Mariage de Figaro ». J’ai répondu que ce n’était pas mon préféré de Mozart, que je préférais Don Giovanni ». Il m’a dit « Bien ». J’ai enchaîné en disant que je n’avais jamais rien fait au théâtre. Il m’a répondu « Bien ». J’ai continué en disant que je n’avais jamais fait d’opéra… » Il m’a répondu « Bien ». J’ai terminé en disant que je n’avais pas envie de le faire ! » Il m’a répondu… « Oui, très bien, tu vas le faire ! » J’ai donc dit non, je suis rentré à la maison, et ma femme m’a encouragé à le faire car elle voulait vivre à Paris. C’était il y a 5 ans, je pensais que je serai probablement déjà mort. Le rêve de ma femme de vivre à Paris n’a pas pu se faire, car elle a dû rester à Los Angeles avec les enfants. J’ai parlé à plusieurs réalisateurs qui ont mis en scène des opéras comme William Friedkin. Il m’a beaucoup aidé, Sofia Coppola aussi, qui m’a dit qu’il n’y avait aucune différence entre un tournage, alors qu’il n’y a aucune caméra ! Mais j’ai essayé de faire quelque chose de spécial, de différend et d’unique.« 

Par Hugo Turlan

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