Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Cake
Père : Daniel Barnz
Date de naissance : 2014
Majorité : 08 avril 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 1h42 / Poids : 7 M$
Genre : Drame
Livret de famille : Jennifer Aniston (Claire), Adriana Barraza (Silvana), Anna Kendrick (Nina), Sam Worthington (Roy), Felicity Huffman (Annette), William H. Macy (Leonard), Mamie Gummer (Bonnie), Chris Messina (Jason)…
Signes particuliers : On la connaissait mignonne et rigolote, on la connaissait pleine d’énergie et désespéramment célibataire, on la connaissait pour ses coupes de cheveux déclencheuses de modes, pour ses comédies, pour son idylle lointaine avec Brad Pitt, pour Friends… Bref, oubliez la « girl next door » d’avant et faites place à la nouvelle Jennifer Aniston, actrice avec très grand « A ».
LE RÔLE DE SA VIE
LA CRITIQUE
Résumé : Claire Bennett (Jennifer Aniston) va mal. Il n’y a qu’à voir ses cicatrices et ses grimaces de douleur dès qu’elle fait un geste pour comprendre qu’elle souffre physiquement. Elle ne parvient guère mieux à dissimuler son mal-être affectif. Cassante et parfois même insultante, Claire cède à l’agressivité et à la colère avec tous ceux qui l’approchent. Son mari et ses amis ont pris leurs distances avec elle, et même son groupe de soutien l’a rejetée. Profondément seule, Claire ne peut plus compter que sur la présence de sa femme de ménage Silvana (Adriana Barraza, citée à l’Oscar), qui supporte difficilement de voir sa patronne accro à l’alcool et aux tranquillisants. Mais le suicide de Nina (Anna Kendrick, également citée à l’Oscar), qui faisait partie de son groupe de soutien, déclenche chez Claire une nouvelle fixation. Tout en s’intéressant à la disparition de cette femme qu’elle connaissait à peine, Claire en vient à s’interroger sur la frontière ténue entre vie et mort, abandon et souffrance, danger et salut. Tandis qu’elle se rapproche du mari de Nina (Sam Worthington) et de leur fils, Claire trouvera peut-être un peu de réconfort…L’INTRO :
Cake, ce film dont on a beaucoup parlé mais que paradoxalement, le public américain n’a pas vu… Encore une étrangeté qui montre à quel point les spectateurs yankees n’aiment pas voir leurs traditions bouleversées. En effet, avec ce quatrième long-métrage du réalisateur Daniel Barnz (Phoebe in Wonderland), Jennifer Aniston, la fiancée de l’Amérique « jolie et rigolote » a décidé de tenter un pari. Celui de casser son image en relevant un challenge, en s’abandonnant totalement à ce drame lourd et poignant où l’ex-star de Friends apparaît sans maquillage ni coiffure radieuse, sans beaux vêtements, sans embellissements, dans un naturel vidé du strass et des paillettes. L’effet fut immédiat. Sa prestation acclamée, poussera le film sous le feu des projecteurs après plusieurs nominations, aux Golden Globes ou aux Screen Actors Guild Award. Mais le public américain n’aura visiblement pas été sensible ni demandeur de ce virage à 180° et Cake fut un échec à sa sortie en salles. Dommage, ce défi méritait sans doute meilleur sort…
L’AVIS :
La douleur de la perte d’un enfant, cette sensation abasourdissante d’effondrement des repères, des réalités, du monde environnant… Plus rien n’a de sens, de goût, de tangibilité, plus rien n’existe ou ne subsiste, mis à part la peine dans laquelle on s’enferme, on s’étouffe, conscient qu’elle nous détruit sans pouvoir pour autant lui tourner le dos car elle est le lien qui nous relie encore au drame, à l’être cher, à son existence… Il fallait l’avoir vécu pour atteindre un tel niveau de justesse dans le portrait abrupt et douloureux que dresse Cake, celui d’une mère en deuil, qui souffre physiquement, psychologiquement, qui se renferme en étreignant son chagrin insondable soulagé aux médicaments puissants abrutissants. Pourtant, sans même avoir connu ce malheur atroce et indescriptible, le cinéaste Daniel Barnz trouve les mots. Ou plutôt les images. L’authenticité du drame qu’il met en scène est bouleversant de véracité, cernant avec une incroyable exactitude, l’état psychologique de chaos dans lequel se trouve une mère orpheline de l’enfant qu’elle a porté, nourri, aimé, élevé. Se relever, vivre, continuer… C’est toute la lumière d’un combat contre soi-même qu’essaie de montrer du doigt Cake. Mais cette lumière paraît si loin, si inatteignable dans l’immédiateté de la détresse déchirante, alors que l’on est prisonnier de souvenirs que l’on se refuse à laisser filer pour recommencer à vivre.
Ce portrait du pire des deuils vécus par ce personnage maternel qui se coupe de tout pour s’isoler dans son désarroi, vient se confondre et trouver un écho dans la souffrance d’un homme dont la femme vient de se suicider, le laissant seul dans l’enfer de son nouveau quotidien avec son jeune garçon. Et là encore, Barnz fait mouche et réussit à étreindre cette même justesse indescriptible. Le choc, l’incompréhension, le sentiment de colère et de ressentiment, l’impossible résignation car l’on n’a pas le droit de flancher et de consciemment faire subir aux autres ce que l’on est en train de subir soi-même. Cet acte de lâche abandon dévastateur.
Bouleversante illustration d’un double deuil croisé, Cake est puissant dans le fond de ses intentions. Peut-être un peu moins dans la forme, où le cinéaste accumule quelques maladresses qui ternissent la dynamique de son film. Des répétitions qui finissent par impacter le rythme, quelques laisser-aller vers une attitude un peu poseuse, et une facture générale qui en appelle à un cinéma indépendant américain que l’on commence à connaître que trop bien à force d’employer le même langage et la même rhétorique de film en film. Peu original dans l’aspect, Cake puise sa force dans le tourbillon dramatique qu’il raconte, où l’on tourne, encore et encore, avec l’espoir d’attraper un rondin de bois pour pouvoir s’extraire d’un cauchemar qui semble sans fin. C’est d’ailleurs sur ce point que Barnz réussit probablement son plus beau coup d’éclat. Parvenir à saisir toute la lenteur du processus d’évolution de ses personnages, aussi lent et imperceptible qu’il ne peut l’être dans la vie. Du temps. Il faut du temps. Et par petites étapes, quasi invisibles à l’œil nu, on avance, on pose un pied, puis l’autre, on fait un pas, puis deux… Mais cet épouvantable périple humain personnel est long. Peut-être trop long justement, pour être idéalement cinégique au final. Car le revers de la médaille, c’est que Cake souffre de ses intentions de justesse dans la peinture de cette trajectoire émotionnelle, ambitions qui rendent le film si longuet, qu’il perd en émotion pure ce qu’il gagne en vérité et en sincérité.
Mais au-delà de son sujet particulièrement difficile, c’est surtout l’interprétation de Jennifer Aniston que l’on retiendra de Cake. L’actrice gagne ses galons de « comédienne » et trouve probablement le plus grand rôle de sa carrière, des années après The Good Girl de Miguel Arteta où sa prestation avait déjà fait l’objet de quelques louanges. Transformée, enlaidie, scarifiée, mise à nu, elle s’immerge totalement dans son rôle exigeant, porte la douleur sur ses épaules, comme les cicatrices habitent son corps et son visage, et signe une prestation d’une sobriété absolue, entre anéantissement tragique, méchanceté cynique reflétant sa colère intérieure envers l’injustice de la vie, et luminosité d’un espoir à porté de main mais inatteignable alors que le poids de la désolation tire vers le sol. Une interprétation épurée et intense, tout en fragilité et en affliction, à l’image de celle d’un Sam Worthington subtil et touchant, à des kilomètres de ses rôles virils habituels.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux