Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Le Bonheur
Père : Marcel L’Herbier
Livret de famille : Charles Boyer (Lutcher), Gaby Morlay (Clara Stuart), Michel Simon (Malpiaz), Paulette Dubost (Louise), Jaque Catelain (Geoffrey)…
Date de naissance : 1934
Majorité : 26 mars 2014 (ressortie vidéo restaurée)
Nationalité : France
Taille : 1h38
Poids : Budget N.C.
Signes particuliers (+) : Marcel L’Herbier abandonne, le temps d’un film, le cinéma très théâtral et poussiéreux qui a fait l’essentiel de sa renommée, pour adapter Henri Bernstein avec un mélodrame acide passant au vitriol le milieu du spectacle et le fossé qui le sépare du monde. Son brûlot est toutefois atténué par une véritable tendresse envers son sujet et ses personnages et le résultat ne manque pas de grâce épisodique et d’inventivité.
Signes particuliers (-) : Inégal, Le Bonheur souffre néanmoins du passage du temps et ne s’impose pas comme l’un des classiques à avoir le mieux vieilli. Récit confus et parfois même étrangement lapidaire, surjeu (exception faite d’un délicueux Michel Simon), tentation des sirènes du mélo pleurnichard… Une œuvre ancrée dans son époque mais témoignant de quelques fulgurances qui embellissent son cachet.
UNE CRITIQUE TENDRE DU MONDE DU SPECTACLE
LA CRITIQUE
Résumé : Fervent anarchiste, Philippe Lutcher méprise la société, gangrénée par des simulacres d’idoles dont l’enrichissement et la gloire ne tiennent qu’à l’amour aveugle du public. Clara Stuart, grande star de cinéma capricieuse et égoïste, représente cette mascarade que Lutcher cherche à éliminer. Alors qu’il s’apprête à commettre l’irréparable, il se laisse pourtant troubler par l’aura de sa victime, et ne parvient pas à la tuer. Lors de son procès, Lutcher, ardemment défendu par l’amour inattendu que lui porte la jeune femme va rapidement retrouver la liberté et vivre une idylle aussi passionnelle qu’ambigüe avec celle qu’il méprisait.
L’INTRO :
Avec Le Bonheur, curieux mélodrame tourné en 1934, le cinéaste Marcel L’Herbier (L’Argent) adapte une pièce de théâtre éponyme d’Henri Bernstein, qu’il porte à l’écran avec une immense fidélité, allant jusqu’à réemployer certains des comédiens qui en ont fait le succès sur les planches du théâtre du gymnase l’année précédente. Charles Boyer et Michel Simon reprennent ainsi respectivement leurs rôles de Philippe Lutcher, caricaturiste de journal manquant une tentative d’assassinat sur une star de cinéma dont il tombe sous le charme et réciproquement, et de Malpiaz, manager de la dite célébrité campée quant à elle par l’illustre Gaby Morlay.
L’AVIS :
Le Bonheur est de ces classiques avec lesquels on ne sait plus trop sur quel pied danser aujourd’hui, tiraillé entre la sensation d’un sublime chef d’œuvre méconnu de l’histoire du cinéma et la pellicule vieillotte appartenant à un cinéma désuet dont les défauts compliquent la redécouverte. Si sur bien des points, cet effort fascinant et singulier de L’Herbier a tout du grand film courageux pour son époque aux fulgurances évidentes, il n’empêche que le plaisir cinéphilique est entravé par un amoncellement de petits détails gênants l’ébranlant sur son piédestal.
Plutôt que s’adonner à une forme de théâtre filmé empreint d’un classicisme poussiéreux menant vers l’un de ces innombrables mélodrames naïfs emblématiques de l’époque, Marcel L’Herbier prend à bras le corps la pièce originelle et sans jamais la dénaturer de son sens profond, parvient à la détourner en un féroce mélodrame satirique à la fois archétypal de son temps et pourtant d’une marginalité bluffante. Le cinéaste, qui fait preuve d’une d’intégrité artistique qu’on lui connaissait guère, hisse son film au rang de grand ouvrage hautement cinématographique, capable même d’une inventivité que ne renierait pas la future nouvelle vague et que l’on retrouvait déjà dans un certain cinéma hollywoodien de l’époque, King Vidor en tête. L’Herbier utilise au mieux les artifices du septième art pour rendre vivante une histoire qui aurait pu être statique et rend un vibrant hommage au cinéma tout en conservant l’acidité de la pièce de Bernstein à son égard et envers le lien qui le lie à la société. Car c’est de cela qu’il s’agissait au fond, d’un drame aux oripeaux de caricature acerbe du monde du spectacle, avec ses stars capricieuses et tragédiennes flattées dans leur superficialité par les masses fascinées les érigeant en symboles vivants, avec ses agents intrigants et cyniques et son public de petites gens vibrant à l’excès dans une forme de pathétique presque cruel.
Avec beaucoup de génie et de sincérité, L’Herbier conserve une partie de cette acidité passant ce monde au vitriol par le prisme de la caricature dans un effet miroir renvoyant au métier de son héros Lutcher, officiant au dessin grotesque et grossissant sous le pseudonyme de Chakal. Le metteur en scène oppose ce monde galvaudé du spectacle et le petit peuple au misérabilisme exploité qui en est le spectateur lointain (représenté par l’émouvante Paulette Dubost) avec au centre, cet anarchiste contemplant avec un regard empreint de cynisme lucide cette agitation écœurante. Pourtant, peut-être parce que L’Herbier lui-même appartient à ce monde, il teinte ce qui aurait pu être un brûlot virulent pour lui injecter une certaine tendresse rendant ces stars plus adorables et vulnérables que foncièrement méchantes et vénéneuses, rendant ces agents de stars personnifiés par un épatant Michel Simon, plus agitateurs comiques amusément ridicules qu’êtres réellement cyniques et agaçants, et enfin apposant un regard touchant et sans condescendance sur le petit peuple à la folie fanatique démesurée dès lors qu’il est en présence de personnalité excessivement adulées.
Sur le fond, Le Bonheur est magistral. Magistral et audacieux également. Car il fallait oser au milieu de ces années 30, prendre comme héros un tel personnage d’anarchiste limite antisocial, il faillait oser peindre un tel portrait critique du monde du cinéma, autant qu’il fallait oser pointer du doigt le fanatisme du public parfois ridicule ou esquisser l’image d’un agent de star précieux et maniéré, que l’on devinerait presque ouvertement gay à tendance « folle » via une douce caricature portée par le génie d’un Michel Simon qui éclaire le film en lui apportant une tonalité comique jubilatoire. L’Herbier ose et ose encore, narrativement mais aussi stylistiquement, avec une mise en scène sporadiquement moderne pour ne pas dire en avance sur son temps, quand elle le veut et quand elle ne s’empêtre pas dans le classicisme et la paresse du cinéma que l’on a souvent connu chez ce metteur en scène spécialiste du théâtre bourgeois qui ressort par à-coups.
Car c’est là l’autre visage d’un film inégal, qui se laisse de temps à autres aspirer par les sirènes du mélo pleurnichard, par un montage indolent, par un surjeu du duo Morlay-Boyer, mais surtout par une écriture brumeuse voire parfois incompréhensible. L’évolution des protagonistes, de leur psychologie, de l’histoire, des ressorts et enjeux dramatiques, souffre d’une forme de chaos étrange, comme s’il manquait des bobines à la pellicule ou les pages du scénario censées lisser et lier les brusques changements d’actes de l’histoire. Plus clairement, difficile de comprendre de premier abord les motivations qui font se mouvoir les personnages et c’est au fond de se charger de traduire et d’expliquer leurs actions, la forme elle, nous laissant dans une confusion scénaristique qui rend ce mélodrame bien déconstruit et obscur, abandonné à une évolution aussi étonnante que surréaliste de brutalité narrative.
Bande-annonce indisponible
Par Nicolas Rieux
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