JOEL KINNAMAN ET JOSÉ PADILHA
Joel, le dossier de production dit que vous avez dû être nu dans votre armure. C’est vrai ? Est-ce que cette sensation a eu une influence dans votre façon de jouer ?
Joel Kinnaman : Qui a écrit ce kit presse ! (rires). Je n’étais pas complètement nu, en fait. J’avais une combinaison très fine mais c’était comme si je me sentais nu en réalité… Quand j’essayais d’imaginer ce qu’on doit ressentir d’être amputé à partir du cou mais que vous avez toujours vos capacités cognitives, le sentiment qui me venait à l’esprit était d’être dans un dénuement extrême, de se sentir totalement exposé et vulnérable. La combinaison me donnait un peu ce sentiment étrange. C’est devenu un moyen de saisir la vulnérabilité d’Alex Murphy et pour moi, c’était un sentiment intéressant à jouer parce qu’il y avait ce contraste entre ce corps invincible et ce sentiment d’être vulnérable.
Pensez-vous que c’est une vie au fond, la vie d’Alex Muphy/Robocop ?
J.Kinnaman : Je ne sais pas. Sa première réaction est de vouloir mourir. Puis il se met à réaliser l’amour qu’il a pour sa famille. Une bonne partie du film est axé sur comment il va vivre désormais, comment il peut continuer à servir sa famille et la société.
Joel, c’est un grand changement pour vous depuis The Killing. Déjà il pleut pas tout le temps dans Robocop…
J.Kinnaman : (rires) C’est vrai !
Avez-vous ressenti une certaine pression à jouer une légende comme Robocop, d’autant que votre personnage est plus humain que celui joué par Peter Weller à l’époque, ce qui est plus difficile à jouer j’imagine…
J.Kinnaman : Non, pas vraiment. La pression, c’était plutôt de jouer face à Michael Keaton ou Gary Oldman. Je devais montrer le meilleur de moi-même. Jouer un rôle qui a déjà été joué auparavant, je l’ai fait au théâtre plusieurs fois. Et si vous pensez sans arrêt à ce que les autres ont fait avant vous, vous êtes déjà perdu et vous allez échouer. José Padilha a vraiment créé un univers très différent. Les personnages ont le même nom mais ce qu’ils traversent est très différent, donc je n’ai pas pensé du tout à tout ça.
Question pour José Padilha. Comment sont apparues les différences entre votre film et l’original ? Quelles ont été vos décisions ?
José Padilha : Je les y ai mises ! (rires) Le personnage de Robocop a deux dimensions. Même dans l’original. On a voulu préserver ça dans le film. La première dimension est celle politique en rapport avec la violence et le fascisme. L’autre dimension, est ce qui nous différencie des machines. C’est une question philosophique classique. C’est tout le débat en ce moment avec le recours aux machines ou non ? C’est cette question que l’on pose avec ce personnage. C’est pour ça que dans notre film, quand Alex se réveille, son cerveau est pleinement opérationnel, il peut penser par lui-même, il a ses souvenirs, ses émotions, et quelqu’un lui dit « Hey, tu es un robot maintenant ». D’abord, il nie cela. Puis il réalise ce qu’il reste de lui et il veut mourir car il pense qu’il a perdu son humanité en voyant ce qu’il ne peut plus faire avec son corps. Mais il se met à penser à sa famille, ce qui le ramène à nouveau à son humanité. Donc il se dit « remettez-moi là dedans ». Et puis ils lui prennent son libre-arbitre. Le libre-arbitre est ce qui définit l’être humain, même s’il y a des philosophes qui contestent le concept du libre-arbitre. Peu de philosophes croient en lui, en fait. Beaucoup pensent que ce que nous faisons obéit à la physique et à la chimie de notre corps. Comme si le libre-arbitre était une illusion. Le Dr Norton explique cette opposition philosophique dans une scène où il dit qu’ils ont piégé le cerveau d’Alex avec des produits chimiques inhibitifs faisant de lui juste un passager. Puis ils lui prennent ses émotions… Cette trajectoire de se réveiller comme un homme normal subissant un avortement, est le cœur, l’idée, la raison d’être de ce film. C’est ce qui fait la différence avec l’original. Ça, et le fait de parler d’utiliser des robots à la guerre et comment le fascisme moderne arrive.
Un tableau de Francis Bacon trône au-dessus du bureau du personnage de Michael Keaton, pourquoi ?
J.Padilha : Tout ça est une distorsion. Francis Bacon peignait des hommes isolés, des images distordues. Distordre une figure, c’est représenter l’idée que les gens sont distordus par la société. Et c’est ce qui arrive à Robocop quand cette société fait de cet homme une machine. Il est psychologiquement distordu. J’ai mis trois peintures derrière le bureau de Michael Keaton. J’ai donné des consignes au production designer pour que tout soit pensé selon Francis Bacon. Pour représenter tout ce merdier !
Joel, comment vous êtes-vous préparé pour ce film ? Parce que vous devez courir, sauter, vous vous battez contre Michael Keaton… qui a été Batman avant !
J.Kinnaman : La première fois que j’ai essayé le costume, il a fallu 1h45 pour l’enfiler. Elle était lourde, c’était dur de bouger. Et je savais que j’allais être là-dedans 14 heures par jours, 6 jours sur 7 pendant six mois. Je savais que je devais être prêt physiquement. Je me suis entraîné dur. Quand on a discuté de comment Robocop allait bouger, se battre, on s’est dit qu’il fallait suivre la robotique, qui a changé depuis les années 80. Aujourd’hui on a déjà des robots avec des mouvement plus fluides. Remis en place avec les technologies militaires à venir (le film se passe en 2029), ça fait plus super-humain. Pour le comportement au combat, je me suis entraîné avec les forces spéciales suédoises pendant trois semaines et avec le SWAT de Los Angeles.
José, votre version est très différente de l’original sur plusieurs points. Mais vous avez gardé une chose, c’est le fond politique avec des thèmes comme le sur-protectionisme, une violente critique des médias, le concept de manipulation. C’était important pour vous de faire un film de SF intelligent et avec du fond ?
J.Padilha : Oui… enfin, je préfère faire un film intelligent qu’un film stupide quand même ! (rires) Le premier Robocop était radicalement politique. Et moi-même, je suis à la base un réalisateur de documentaire. Les réalisateurs de documentaire font traditionnellement des œuvres politiques sur les maux de la société. Mes deux premiers films au Brésil (Tropa de Elite 1 et 2 ndlr) étaient très politisés et la raison pour laquelle j’ai voulu faire Robocop, c’était parce que c’était un film politique sur l’avenir, quand les soldats seront remplacés par des drones, quand la technologie fera qu’on n’utilisera plus les humains. Et ça, ça ouvre la porte au fascisme. Si vous prenez l’Irak par exemple. Pourquoi les américains sont partis d’Irak. Parce que les soldats y mourraient. Enlevez les soldats et mettez des robots à la place et qu’est ce qui va se passer ensuite ? Autre chose, pensez à Full Metal Jacket ? Des êtres humains sont déshumanisés, entrainés pour qu’ils perdent leur humanité et fonctionnent comme des machines. Chaque fois que vous avez recours à la violence pour aller vers l’extrême, vous avez besoin d’une déshumanisation du processus. Et si vous déshumanisez le processus, C’est comme mettre des humains dans des machines ! Robocop devait être politique. Je m’en serai voulu si je n’avais pas fait un film politique. C’eut été ridicule. Pour les médias, il y a une partie des médias américains, comme au Brésil et surement chez vous en France, qui sont aveugles d’un œil, fous, fascistes, super-nationalistes. Il y a ça aux USA, on a les mêmes au Brésil, et je voulais les tacler car ils auraient dû réfléchir sur le fait d’aller en Irak ou autre. Et je voulais me moquer d’eux. Mais c’était difficile car ils sont déjà une blague ! Et c’est difficile de faire une blague sur une blague.
Avez-vous peur de la réaction des médias face au film car ils les attaquent violemment ?
J’attaque une partie des médias, pas tous les médias. Je ne vais pas dire que l’Amérique n’est pas un pays de droit. (Ironiquement) Les États-Unis, le plus grand pays de la terre… (rires)
Avant, vous avez fait des films au Brésil, quelles ont été les différences entre le travail au Brésil et à Hollywood ?
J.Padilha : Au Brésil, j’écris, je réalise, je produis et je distribue le film. Je n’ai pas cette liberté à Hollywood. J’aimerai avoir l’argent pour cela mais c’est totalement différent. Vous devez naviguer dans un système, celui des studios. Et ce système existe depuis longtemps, c’est une organisation et vous devez apprendre à faire avec. Heureusement pour moi, des tas de réalisateurs avant moi se sont battus contre les studios, ont défendu leurs films et ils ont créé toute une organisation, avec des institutions, des managers, des agents, des producteurs, qui sont une interface entre le réalisateur et le studio et Hollywood a su utiliser ces interfaces pour adoucir les choses. Puis ils ont créé le système des projections-test. Le réalisateur fait ses coupes et vous présentez le film a un panel qui dit s’ils ont aimé le film ou pas et pourquoi. Et quand on a présenté le film la première fois, c’était ma version du montage. Et les gens ont aimé. Et ils ont dit qu’ils ont aimé parce que c’était politisé. Et ils l’ont eu !