REALITY de Tina Satter : la critique du film

Curieux film -presque conceptuel- que ce Reality, premier long-métrage pour le cinéma de la metteur en scène de théâtre Tina Satter. L’auteur y adapte une pièce qu’elle avait justement montée à Broadway et conserve d’ailleurs son approche très théâtrale du sujet. Un lieu, peu de personnages, une discussion quassi en temps réel. Le sujet, c’est une histoire vraie, celle de Reality Winner, une jeune linguiste américaine employée par une société sous-traitante pour la NSA. Un beau matin, le FBI débarque en force à son domicile avec un mandat de perquisition. La jeune femme a l’air calme, innocente mais presque peu étonnée par cette démonstration d’autorité. On l’accuse d’être à l’origine de la fuite de documents Top Secret tombant sous le coup de l’Espionage Act, une loi fédérale relative aux actes d’espionnage qui aura été invoquée dans des affaires hyper médiatisées telles que celles de Julian Assange ou Edward Snowden.

A moins d’être au fait de l’histoire de Reality Winner, le film de Tina Satter est une porte ouverte sur un inconnu perturbant. Reality démarre et l’on ne sait pas vraiment ce qu’il se passe, de quoi il en retourne, qui est cette jeune femme, qui sont et que veulent ces agents du FBI, de quoi parle t-on, quel est le problème, quel est le fin de mot de l’histoire. La seule chose qui se dégage clairement de la situation est une sensation d’étrangeté permanente. D’un bout à l’autre alors que le film est raconté quasi en temps réel (avec seulement quelques ellipses pour lui donner une durée cinématographiquement acceptable), Reality cultive cet art du mystère, générant à son tour du suspens et surtout une atmosphère de malaise et de bizarre. Le plus étonnant, c’est que Tina Satter n’invente rien. Son film, comme sa pièce avant lui, est entièrement basée sur la retranscription des échanges consignés entre Reality Winner et ces agents venus l’interpeller. C’est au gré de cette conversation très singulière que l’on comprend progressivement qui est-elle, sa personnalité, son parcours, les charges qui pèsent contre elle, son innocence ou sa culpabilité. Thriller angoissant dont le potentiel troublant est renforcé par le huis clos à son domicile, Reality est surtout un film redoutablement captivant tant le spectateur est tenu en haleine par l’envie de percer le mystère de cette jeune femme aussi étrange que les échanges (parfois un brin suréalistes) qu’elle peut avoir avec ces agents. Il n’y a aucun artifice, juste une illustration épurée de la réalité des évènements captée avec génie par Satter et sublimée par la performance de Sydney Sweeney. Avec en sous-texte, une puissant propos politique pas déguisé une seule seconde.