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RENCONTRE AVEC JAMEL DEBBOUZE À L’OCCASION DE LA SORTIE DE « POURQUOI J’AI PAS MANGÉ MON PÈRE »

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pourquoi-jai-pas-mange-mon-pere-afficheA l’occasion de la sortie en salles le 08 avril prochain, du film-évènement Pourquoi J’ai pas Mangé mon Père de Jamel Debbouze, nous avons rencontré le comédien-réalisateur.

Le pitch : L’histoire trépidante d’Édouard, fils aîné du roi des simiens, qui, considéré à sa naissance comme trop malingre, est rejeté par sa tribu. Il grandit loin d’eux, auprès de son ami Ian, et, incroyablement ingénieux, il découvre le feu, la chasse, l’habitat moderne, l’amour et même… l’espoir. Généreux, il veut tout partager, révolutionne l’ordre établi, et mène son peuple avec éclat et humour vers la véritable humanité… IMG_2345

A quel moment vous avez voulu faire un film d’animation ?

Jamel : C’est un accident. Comme toute ma carrière. Ça faisait plus de dix ans que Pathé bossait dessus, j’étais pas pressenti. Quand ils ont commencé à être en instance de divorce avec ce projet, ils ont pensé à moi. J’étais surpris. Ils m’ont demandé de faire une voix. Puis de changer des dialogues, j’ai commencé à toucher à la structure. Je me suis amusé au fur et à mesure. Ils ont aimé le scénario. Et la motion capture m’a fait basculer. Un plateau de 1000 m2, 80 caméras à 360°…

Même si c’est un film pour enfant, il y a une certaine profondeur à travers des thématiques d’actualité. On pense parfois aux évènements de janvier dernier (Charlie hebdo) ou par exemple le totalitarisme religieux avec la sorcière…

Jamel : Chacun voit ce qu’il veut dans cette sorcière.

Vous y voyez quoi ?

Jamel : Marine Le Pen. Parce qu’elle est coiffée pareil. Vous vous y voyez le totalitarisme, d’autres l’obscurantisme religieux, moi le chômage… Chacun voit ce qu’il veut. On a écrit le scénario y a sept ans. Et déjà, c’était d’actualité à l’époque. Et y’a 15 ans, y’a 100 ans, y’a 300 ans, c’est pareil. Je n’ai fait qu’écrire une histoire. D’abord, l’histoire m’a été imposée. Enfin, imposée… Il bossait dessus depuis dix ans, j’allais pas venir et dire « Je veux faire Star Wars« . C’était une contrainte pour moi. Je ne serai peut-être pas allé sur la préhistoire, par exemple. Je ne sais pas. Mais la motion capture a dicté le scénario. Personnellement, j’ai aimé Avatar, et j’ai pas aimé Tintin. Je ne voyais pas l’intérêt de faire qu’un homme fasse un homme. Y’a pas de décalage. C’est presque un « mauvais homme ». Avatar, il y avait un décalage, c’était des extraterrestres. Pareil pour La Planète des Singes. Donc faire des singes, c’était intéressant. Et pour nous comédiens, c’était une opportunité. Après, quand on a commencé, quand on a accepté la motion capture, ça a dicté le scénario. Par exemple, je ne bouge pas le bras. Fallait le justifier. Donc on a eu l’idée de toute cette histoire de singe qui tombe d’un arbre, se casse le bras et invente la bipédie car j’étais contraint. Le scénario est parti sur une histoire assez universelle avec des choses assez simples. Après, on a essayé d’y mettre des petites choses comme l’exclusion, la différence sociale… Puis, on a mis notre univers et on a fait ce qu’on a pu pour que ce soit génial.IMG_2397

Y’a Spielberg qui chiale parce que tu n’as pas aimé Tintin.

Jamel : Dis-lui que j’ai aimé E.T.

L’un des premiers films auquel tu aies participé, c’était Dinosaures et tu jouais déjà un singe (un lémurien). Est-ce que rapidement, tu avais cette envie de faire un film d’animation sur ça ?

Jamel : Jamais de la vie. Je marchais dans la rue et un mec m’a dit : « Hey, tu veux faire un film d’animation ? » Non, en vrai, je suis rentré dans une pièce, on m’a demandé si je voulais doubler cette voix et puis au fur et à mesure, quand on a vu que ça m’amusait vraiment, on a eu cette idée de motion capture. Parce que mon corps était reconnaissable, il paraît. Je ne sais pas ce qu’ils voulaient dire mais j’ai décidé d’être flatté. (rires)

La fin est assez ouverte. En cas de succès, tu voudrais faire une suite ?

Jamel : Aujourd’hui, c’est impossible. Sept ans, mais c’est trop long ! Y’a rien qui mérite sept ans de travail. L’agrég et encore… C’est un septennat ! J’ai fait beaucoup de sacrifices pour ce film. Je ne m’y attendais pas. J’ai un peu délaissé les miens. Parce qu’entre temps, il fallait aussi tenir la promesse du Jamel Comedy Club, du festival du rire de Marrakech… Ca s’est additionné. J’ai fait tout ça, et deux enfants aussi, je crois… Parfois, j’étais submergé. Et là, la boucle est bouclée. Le processus fait que tu passes ton temps à attendre. Tu deviens une barre d’attente. C’est insupportable. Surtout pour un mec comme moi. Il fallait attendre que les indiens (le film a été fait dans les studios indiens où a été tourné L’Odyssée de Pi) mettent les poils sur les singes. Ils les mettaient un par un, ces enfoirés. Je vous jure. Ils prenaient une souris et hop, quinze jours. Et ils recommençaient, parce que le singe, il bouge. J’étais dans une salle d’attente permanente, j’étais en jachère, et j’ai pu réfléchir sur moi, du coup.

Il y a un super hommage à Louis de Funès…

Jamel : Merci. Je transmettrais… (rires)

Pourquoi cet hommage ?

Jamel : C’est un des premiers mecs qui m’a fait rire avec Chaplin. Je vais vous raconter une anecdote sur Chaplin, qui n’a rien à voir. La première fois qu’on a eu une télé couleur à la maison, c’était en 1983. On était comme des dingues, la famille, les amis, des gens venus du Maroc… (rires). On l’a allumé et y’avait un film de Chaplin. C’était en noir et blanc. On était dégouté. Bref. De Funès, il nous a fait rire en famille. J’ai un père qui n’était pas très expansif à l’époque. Il bossait la nuit et dormait la journée. On se croisait. Entre 20h et 20h30. Et dans ces croisements, parfois, on se retrouvait en famille et on regardait des De Funès. Et rire en famille, ça a été une sensation incroyable. Ce sont des souvenirs indélébiles. Il m’a donné inconsciemment l’envie de faire ce métier. Pour tout ce qu’il nous a offert, on a voulu lui rendre cet hommage.IMG_2372

Il y a plein de choses dans le film, des clins d’œil etc… Est-ce que tout le monde a apporté ses petites idées ou il y a eu une tête pensante ?

Jamel : Sachez que j’étais la seule tête pensante de cette histoire ! Non, j’ai improvisé comme au théâtre. Il y avait une partition et on a improvisé. Par exemple, à un moment, on était prêt à tourner. Tout était prêt, les chips, les tomates-cerises, les caméras… Et au dernier moment, je ne le sentais pas. Les personnages secondaires n’étaient pas assez écrits. Je n’avais pas les références. On a tout posé, on est parti avec les comédiens. Et on a bossé pendant plusieurs semaines. Tous se sont accaparés leur rôle en proposant des choses.

C’est un détail mais pourquoi votre personnage est le seul à avoir un pagne ?

Jamel : Parce que sinon, son bras traînait parterre. Tout simplement. Pour le confort.

Êtes-vous intervenu sur la direction artistique ? Non, parce que c’était assez beau.

Super, merci… (rires) Oui, je suis intervenu. On m’a engagé pour ça. J’ai coécrit le scénario, on a orchestré les répétitions, on était ouvert aux propositions. Le plus dur a été de composer avec la technique. L’être humain est comme ça. Plus tu lui donnes de place, plus il en prend. Au cinéma, on joue à 3, 4 ou 5 en motion capture. Quand on m’a dit « tu peux tourner à 10 ou 15« … J’ai fait comme en soirée « on est 20, s’il te plaît, allez… regarde, sa mère elle tape son père et tout… » (rires). J’ai essayé de pousser le truc à chaque fois. Parfois, je poussais tellement que la machine, elle en pouvait plus. C’était contraignant artistiquement. Ça et on pouvait pas se toucher. Il y a des choses qu’on peut pas faire en motion capture. Et aussi, marcher à quatre pattes et balancer des répliques en même temps. C’est hyper dur (il le mime). La plupart des comédiens n’y arrivaient pas. Beaucoup de comédiens n’ont pas cette technique de « l’addition ». Cumuler le corps et la parole. Christian Hecq, qui vient de la comédie française, a dû bosser. On est allé chercher des danseurs, des acrobates… Quelle tannée la direction artistique.IMG_2398

C’est quelque-chose d’être devant la caméra mais c’est autre chose d’être derrière. Le découpage est très bon, très punchy. Comment tu as appris le langage cinématographique ?

Jamel : Au feeling. Quoiqu’on fasse dans la vie, on apprend. J’ai passé tellement de temps avec certaines personnes du métier, Bouchareb, Jeunet, Chabat. Je passais mon temps à poser des questions. Comme un enfant. Je me saoulais. On attend beaucoup sur un tournage alors je vais toucher à tout. On me dit souvent « Touche pas« . « Trop tard… » J’ai regardé beaucoup de films pas en spectateur mais pour voir comment les autres faisaient, j’ai passé beaucoup de temps avec mes potes en montage. Et comme y’a des gens qui maîtrisaient la technique, moi, je fais en fonction du résultat, plus haut, plus bas, je garde, je garde pas. Je vais vous faire une confidence. J’aime ce film. On avait une telle matière que j’ai dû faire le deuil de beaucoup de choses. On me disait parfois « non, mais ça ralentit le rythme« . Mais j’en avais rien à foutre du rythme. Cette dictature du rythme… Mais bon, on m’a fait comprendre que c’est ça être metteur en scène.

Comme ça se passe de travailler avec sa femme (Mélissa Theuriau joue dans le film) ?

Jamel : Hum… (rires) C’était un accident à la base. Je cherchais ma Lucy du film partout. Et elle était dans mon salon. J’écrivais, elle lisait en cachette. Et dès qu’on se fâchait sur un truc qui n’avait rien à voir, elle me balançait des trucs du genre « Ouais bah tu sais quoi, ta scène 17, elle est nulle !« . J’étais là « Heu, reviens ici, toi« . Tout le temps à critiquer. Et souvent, elle avait raison. Mais je lui disais trois mois après. Et à force d’échanges… Elle est journaliste. Et être journaliste, c’est un peu être acteur. Tu composes avec l’interviewé. Elle m’avait aidé à répéter une scène à la maison et voilà, c’est venu comme ça…

Quelle est l’étape de production que tu as préféré, là où tu t’es dit, mon film prend vie ?

Jamel : En Inde, quand je suis arrivé dans les studios de Mumbai. J’ai vu les studios où ont été tourné L’Odyssée de Pi. J’ai vu le tigre. En fait, c’est un petit coussin bleu. J’ai vu le décor. Un grand drap bleu. J’ai vu la barque. En fait, une planche. Pourtant, tu vois le résultat des effets spéciaux, t’es en confiance. J’ai vu John Lasseter. Je me suis dit « je suis au bon endroit« . Quand j’ai vu les images pour la première fois… je me suis que là… Bon, la lumière ne me convenait pas mais quand même. On a dû retravailler la colorimétrie. Mais l’équipe a été fantastique. On avait ces casques pour la motion capture qui pesaient dix kilos. Premier test, je n’arrivais même pas à me lever. Ils ont bossé sans rien me dire. Premier jour de tournage, je ne savais pas, on m’avait rien dit, mais les casques faisaient 400 grammes ! Rien que pour ces talents, ces gens, je voudrais que ce film fonctionne. En France, on a des talents extraordinaires. J’ai vécu des succès. Je suis repu. Mais pour eux… j’ai vu des gens s’acharner, travailler jour et nuit.IMG_2395

Comment on passe de 7 kilos à 400 grammes ?

Jean-Paul Dasilva (concepteur de la headcam utilisée) : On a planché un an dessus. Ils jouaient à quatre pattes. On ne pouvait pas leur imposer un casque de sept kilos. Pendant qu’ils s’entraînaient à jouer ainsi, on a bossé, on a regardé ce qui se faisait sur le marché et on a essayé de repenser les fondements du produit. On a travaillé sur les matériaux, sur l’électronique etc…

Vous avez beaucoup utilisé beaucoup de storyboard ? Et quand avez-vous décidé de le faire en 3D ?

Jamel : La 3D, c’était tout de suite. Dès qu’on a opté par la motion capture.

Techniquement, le temps de rendu devait être énorme, non ?

Jean-Paul Dasilva : Le film au total fait 3.000 téras. Les temps de calcul étaient très longs. Il y avait 250 personnes qui bossaient dessus, avec plusieurs milliers de processeurs…

Dans un Edouard, il y a combien de pourcents de Jamel ?

Jamel : Autant que la motion capture peut le permettre, autant que le scénario peut le permettre, autant que le film peut le permettre. Le film, c’est un peu ma vie. La meilleure histoire à raconter, c’était la mienne. Car personne ne peut me contredire. L’exclusion, la différence, ça m’est arrivé. Rencontrer une femme incroyable, ça m’est arrivé. Avoir un ami, lui-aussi exclu, qui me protège, ça m’est arrivé. Et qu’ensemble, on comprenne qu’on était plus fort, ça m’est arrivé. Voilà.

Merci à Jamel Debbouze, Jean-Paul Dasilva et Pathé.

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