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MADE IN FRANCE de Nicolas Boukhrief : la critique du film

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note 3.5 -5
Carte d’identité :
Nom : Made in France
Père : Nicolas Boukhrief
Date de naissance : 2015
Majorité : 05 avril 2016
Type : Sortie vidéo
(Editeur : TF1 Vidéo)
Nationalité : France
Taille : 1h34 / Poids : 25 M$
Genre : Thriller

Livret de famille : Malik Zidi (Sam), Dimitri Storoge (Hassan), François Civil (Christophe), Nassim Si Ahmed (Driss), Ahmed Dramé (Sidi), Franck Gastambide (Dubreuil), Judith Davis (Laure), Nailia Harzoune (Zora)…

Signes particuliers : Victime des tragiques évènements du 13 novembre à Paris, « Made in France » sort aujourd’hui en Blu-ray et DVD. L’occasion de rattraper un film important au vu de l’actualité.

PLONGÉE DANS UNE CELLULE DJIHADISTE

LA CRITIQUE

Résumé : Sam, journaliste indépendant, profite de sa culture musulmane pour infiltrer les milieux intégristes de la banlieue parisienne. Il se rapproche d’un groupe de quatre jeunes qui ont reçu pour mission de créer une cellule djihadiste et semer le chaos au cœur de Paris.made_in_france_filmL’INTRO :

Nicolas Boukhrief fait partie de ces quelques réalisateurs français qui ont pour eux, de tenter des choses, d’oser, de prendre des risques. De cette audace bouillonnante, sortent parfois des films moyens ou médiocres malgré leurs ambitions (Gardiens de l’ordre, Cortex) mais aussi des réussites indéniables comme Le Convoyeur avec Albert Dupontel, peut-être son meilleur film à ce jour. En 1995, le cinéaste tombe à la télévision sur la cavale du terroriste Khaled Kelkal, derrière la vague d’attentats estivale qui vient tout juste d’ensanglanter Paris. L’homme est tué par la police près de Lyon. Boukhrief se posera alors la question de savoir qui était ce jeune homme ? Comment en est-il arrivé là ? A quel moment l’échec de son intégration dans la société française a vrillé ? Mais Boukhrief préfèrera attendre, plus de 15 ans, pour avoir le recul et la maturité cinématographique nécessaire à une telle entreprise périlleuse. Car le danger assourdissant d’attentats en France semble être un tabou que le cinéma évite, peut-être par respect pour les victimes de ces tragédies, peut-être parce que le sujet est trop grave, peut-être parce qu’il est trop sensible. Contrairement au cinéma américain qui aime exorciser la chose avec quantité de fictions engagées ou « de divertissement », l’industrie française fait profil bas et rares sont les œuvres ayant approché le sujet, la meilleure restant le puissant L’Union Sacrée d’Arcady, en 1989. Malheureusement, Made in France n’aura pas eu sa chance en salles. Programmé pour une distribution en novembre dernier, sa sortie aura été précédé par les tragiques attentats parisiens du 13 novembre. Repoussé puis annulé au profit de la VOD, Made in France sort aujourd’hui en Blu-ray et DVD. Et au vu des évènements passés et récents (on pense à Bruxelles), son importance et sa pertinence n’en sont que décuplées.  made_in_france_photosL’AVIS :

Avec Made in France, Nicolas Boukhrief s’attache à l’histoire d’un journaliste qui infiltre une cellule djihadiste souhaitant opérer en France. L’occasion pour le cinéaste, non pas de fomenter un acte anti-musulman, anti-Islam ou anti-quoique ce soit d’ailleurs, mais de s’intéresser aux différents visages du djihadisme, ou plutôt de ces hommes qui s’y adonnent, en essayant de comprendre leurs parcours, leurs motivations, leur état d’esprit, tout ce qui a pu les amener à sombrer dans cette voie de l’échec qu’est la radicalisation. Le sujet est toujours aussi brûlant, probablement plus périlleux que jamais même, après les exactions parisiennes et bruxelloises. Mais refusant l’attaque virulente, la propagande, la provocation ou la complaisance, pas plus qu’il n’entend asséner des vérités définitives, Made in France s’impose juste comme une œuvre pertinente, d’actualité, une œuvre choc à la fois passionnante, réfléchie et mature. La maturité, exactement ce qu’attendait Boukhrief pour toucher du doigt, ce sujet si épineux qui lui tenait à cœur depuis si longtemps, lui l’homme aux deux visages et aux deux cultures, né d’un père algérien et d’une mère française.made-in-france-photo-555b6376b30daEn s’appliquant à décrypter les mécanismes du djihadisme, c’est avant tout sur ses acteurs que le cinéaste se focalise. Le fanatique aveuglé par « sa cause », le faible qui au fond n’aspire qu’à appartenir à quelque-chose sans vraiment comprendre les enjeux, le timide effacé tombé sous la coupe d’un manipulateur charismatique, celui qui a juste envie d’action et qui choisit mal la cible de sa colère intérieure… L’intelligence et le courage de Nicolas Boukhrief est sans aucun doute de ne pas se contenter d’un acte manichéen enragé mais de s’efforcer de comprendre, d’étudier, d’analyser, dans une démarche à la fois pleine de recul et de profondeur. Une démarche surtout placée sous un refus du jugement facile, ce qui permet d’en décupler l’impact, l’intelligence et l’importance dans le contexte suffocant que l’on connaît actuellement. Made in France n’est pas un thriller m’as-tu-vu jouant avec son sujet selon des intentions nauséabondes mais bel et bien un drame suivant consciencieusement sa portée glaçante de véracité et sans cesse tenue par une démarche brillante, aussi bien dans ses aspirations que dans sa retranscription méthodique et informée. Tout en s’enveloppant dans le polar percutant, Boukhrief descend tout en bas de l’échelle et quitte les sentiers trop faciles de la peinture d’une cellule ultra-organisée. L’occasion pour le metteur en scène, de mieux s’immerger dans son véritable sujet, d’ouvrir une fenêtre sur ces paumés qui gravitent en bas de la pyramide, devenus les victimes d’un endoctrinement redoutablement bien rodé, qu’ils soient des jeunes de banlieues en difficultés ou des bretons fils à papa.129304.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxSoutenu par une tension sourde à la limite de l’irrespirable, Made in France est peut-être le film dont on avait besoin en cet instant précis. Un film qui ne milite pour rien d’autre que la paix et le respect, un film qui n’invective pas, qui n’incite pas à la rage ou à la colère, qui ne caresse pas les idéologies extrêmes faciles. Un film seulement nourri par sa logique de constat sur un système terrifiant, où de jeunes proies en mal de repères, se font tragiquement récupérer par méconnaissance, par instrumentalisation, par aveuglement. Boukhrief aurait pu aller encore plus loin dans la noirceur. Bien que Made in France ait été tourné avant les récents attentats qui ont endeuillé la France (et écrit entre 2011 et 2013), le film est peut-être, par moments, un peu freiné par sa peur d’aller trop loin dans l’impact. Mais malgré quelques micro-facilités ou petits illogismes qui ne gêneront que les plus perfectionnistes, Made in France peint un portrait horrifiant avec force, poigne et sagacité, mettant son histoire en perspective avec brio. Un uppercut nerveux et frontal qui tisse sa toile avec discernement. Un film qu’il serait aussi impossible de faire aujourd’hui.made_in_france_blu-ray

LE BLU-RAY DU FILM

Tant de choses à dire autour de ce Made in France… Tant de choses non-dites d’ailleurs dans cette édition Blu-ray quelque-part un peu frustrante même si l’on pourra comprendre. Les suppléments proposés en complètement du film de Nicolas Boukhrief sont au nombre de deux. D’un côté, quelques scènes coupées au montage, sans doute la partie la plus anecdotique à posteriori, et de l’autre, un entretien avec le réalisateur d’environ 18 minutes, entretien tourné avant les évènements de novembre 2015 à Paris, et c’est peut-être là que l’on pourra émettre quelques regrets. Peut-être eut-il été intéressant de le voir intervenir à nouveau post-13 novembre, de le voir évoquer la portée tragiquement prophétique de son film ou du moins, s’exprimer sur celui-ci à la lumière des évènements qui ont contrarié sa sortie en salles et qui lui ont conféré soudainement un visage bien différent. Néanmoins, il n’est pas impossible de percevoir dans cette « absence » une volonté de ne pas « en rajouter ». Toujours est-il que ces 18 minutes passées en compagnie de Boukhrief sont passionnantes à bien des égards. Le metteur en scène s’étend sur plusieurs aspects de son long-métrage, son choix de l’orienter vers le thriller, la phase de casting, l’extrême difficulté à monter financièrement le projet, ainsi que les difficultés à le tourner aussi (notamment les nombreuses portes restées closes en raison du sujet épineux). Mais là où l’interview prend une dimension terrifiante, c’est quand Boukhrief se met à évoquer l’actualité. « Plus on tournait, plus je voyais l’actualité qui nous rattrapait en allumant la télé le matin« . En prononçant ces paroles à l’époque, Boukhrief ne se doutait pas d’à quel point cela allait s’avérer vrai malgré le passif de Charlie Hebdo. Évoquant justement ces attentats de janvier 2015, Boukhrief d’expliquer à quel point tout le tournage a pu se faire dans un sentiment de malaise. « On n’a pas fait ce film joyeusement […] Plus on tournait, plus on avait le sentiment que l’époque allait être pire que le film que l’on était en train de faire » avoue t-il. A la lumière des évènements futurs, il n’est finalement pas très étonnant de ne pas voir Boukhrief s’exprimer post-13 novembre dans les suppléments de cette édition vidéo. On ne peut qu’imaginer à quel point le cinéaste a dû être touché par ce qu’il s’est passé après l’expérience Made in France.

BANDE-ANNONCE :

Par Nicolas Rieux

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