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THE OLD OAK de Ken Loach : la critique du film [Cannes 2023]

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Nom : The Old Oak
Père : Ken Loach
Date de naissance : 25 octobre 2023
Type : sortie en salles
Nationalité : Angleterre
Taille : 1h53 / Poids : NC
Genre : Drame

Livret de Famille : Leslie Odom Jr.Ellen BurstynAnn Dowd

Signes particuliers : Tellement beau, tellement intelligent.

Synopsis : TJ Ballantyne est le propriétaire du « Old Oak », un pub situé dans une petite bourgade du nord de l’Angleterre. Il y sert quotidiennement les mêmes habitués désœuvrés pour qui l’endroit est devenu le dernier lieu où se retrouver. L’arrivée de réfugiés syriens va créer des tensions dans le village. TJ va cependant se lier d’amitié avec Yara, une jeune migrante passionnée par la photographie. Ensemble, ils vont tenter de redonner vie à la communauté locale en développant une cantine pour les plus démunis, quelles que soient leurs origines.

 

UN GRAND KEN LOACH

NOTRE AVIS SUR THE OLD OAK

Décidément, la dernière édition du festival de Cannes aura été sublimée par les vétérans. Marco Bellocchio a brillé avec L’Enlèvement, Wim Wenders a bouleversé avec son Perfect Days et Ken Loach a été à la hauteur de lui-même avec The Old Oak, son nouveau long-métrage quatre ans après Sorry We Missed You. Ken Loach a 87 ans. 87 ans et toujours cette acuité qui caractérise son cinéma depuis plus de cinquante ans maintenant. Cette acuité mais aussi ce regard intelligent, cette capacité à émouvoir et à indigner dans son sillage alors qu’il s’attaque à de nobles causes humanistes. Avec The Old Oak, le cinéaste britannique doublement palmé a une nouvelle fois posé ses caméras là où un propos social les appelait à corps et à cri. Dans le nord-est du Royaume-Uni, les mines de charbons ont fermé depuis longtemps, laissant soudainement des villes et villages confrontés à l’abandon. Dans ces contrées désormais désoeuvrées, vivent des fantômes. Des hommes, des femmes, des enfants y occupent les lieux plus qu’ils ne les font vivre. Car il n’y a plus rien désormais, plus d’argent, plus d’intérêt, plus de vie digne de ce nom. L’arrivée de quelques familles syriennes logées « loin de Westminster et des lieux qui comptent » va diviser la population locale et rouvrir un débat béant entre ceux qui veulent aider et les traumatisés du coin qui ne comprennent pas et préfèrent laisser parler une xénophobie réactionnelle.

Ken Loach n’a rien perdu de sa superbe. Surtout, il n’a rien perdu de son style inimitable qui émeut, interroge et indigne depuis si longtemps. Les années passent et le cinéaste a toujours cette vitalité qui le pousse vers des combats qui méritent tant d’être tenus. Avec The Old Oak, le valeureux metteur en scène engagé signe un double-film. Il met son art au service de ces migrants que l’Europe accueille en grinçant des dents et dresse dans le même temps le portrait terrible d’une Angleterre ouvrière qu’on a abandonnée à elle-même il y a longtemps quand la « modernité » a balayé les « anciens temps ». Tout le principe d’une société à deux vitesses dont le wagon de devant n’a pas su (ou voulu) tirer celui de derrière. Et tout le principe d’une société qui fait belle figure en « aidant » des réfugiés mais sans trop en faire. « Ils ne vont quand même pas les accueillir à Buckingham ou à Kensington, c’est là qu’ils vivent » aurait pu dire Coluche. Alors on les envoie loin, là où on ne les verra pas, là où leur présence sera invisible et pas dérangeante, là où d’autres survivent comme eux, entre nécessiteux oubliés. Là où il y avait déjà de la misère, histoire d’en entasser une couche de plus.
Fidèle à son style, Ken Loach (et son fidèle complice Paul Laverty au scénario) élabore sa recette habituelle avec les nouveaux ingrédients présents aujourd’hui sur sa table de travail. The Old Oak est incisif avec son propos social et sociétal traité de main de maître, drôle car un peu d’humour permet de soulager la noirceur du tableau, profondément émouvant dans son regard sur le désespoir qui frappe ces communautés bafouées, et bien entendu questionneur et révoltant. La principale force de ce nouvel opus loachien est d’arriver à marier les deux sujets de société dont il s’empare avec une immense intelligence. Confrontées face à face, la misère de ces contrées britanniques trahies et celle de ces arrivants ayant fui l’horreur se répondent et formulent un discours passionnant sur deux destinées qui se rencontrent. Surtout, Ken Loach évite tant le misérabilisme facile que le manichéisme primaire en détaillant avec bienveillance et compréhension les enjeux, tenants et aboutissants de ces situations de blocage. Les autochtones voyant débarquer par car entier ces migrants que l’on aide, sont-ils tous de vieux racistes réactionnaires ? Non. Ce serait trop simple de résumer ainsi une situation aussi complexe. Ils sont surtout (et avant tout) des écoeurés qui voient leur gouvernement aider autrui alors qu’eux végètent dans leur « merde » depuis si longtemps. Leur mode de vie d’antan est mort et ce qu’il en reste est en train de suivre. Ces migrants sont-ils vraiment accueillables alors que l’Angleterre n’arrive déjà pas à gérer sa propre misère ? Oui. Car ce serait dommage d’occulter ce qu’ils peuvent apporter, car ce serait humainement intolérable de ne pas leur tendre la main, car il ne faudrait pas oublier ce que l’entraide et la fraternité peuvent créer comme merveilles dans ce monde.

Humaniste qu’il est, Ken Loach signe un film magnifique, une chronique puissante qui procure de nombreuses émotions pendant et après la séance. Des larmes devant ces destins malmenés viennent se conjuguer à l’envie de réagir et de faire quelque chose à son tour. Avec sa méthodologie habituelle, le cinéaste fait comprendre en images, explique avec pédagogie, ouvre le débat et le cultive en pointant finalement du doigt non pas les uns ou les autres, mais ceux qui ont les responsabilités et qui ne les assument pas. Ce vieux pub fatigué qu’est le Old Oak devient un espace politique où se rencontrent finalement non pas des opinions mais des détresses amères. En ses murs et tout autour, c’est la force du vivant qui se met en marche, la lumière de l’amitié et des mains tendues dans un élan de solidarité contre les défis et les épreuves. Certains diront que deux palmes, ça suffit, il fallait en laisser un peu aux autres. Très honnêtement, Ken Loach en aurait décroché une troisième avec ce film, qu’on aurait rien trouvé à redire.

 

Par Nicolas Rieux

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