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COMPAÑEROS d’Alvaro Brechner : la critique du film

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La Mondo-Note :

Carte d’identité :
Nom : La Noche de 12 Anos
Père : Alvaro Brechner
Date de naissance : 2018
Majorité : 27 mars 2019
Type : Sortie en salles
Nationalité : Uruguay
Taille : 2h02 / Poids : NC
Genre : Drame, Biopic

Livret de famille : Antonio de la Torre, Chino Darín, Alfonso Tort…

Signes particuliers : Fort et passionnant, un film important.

UNE GRANDE ET BELLE HISTOIRE DE RÉSILIENCE

LA CRITIQUE DE COMPANEROS

Synopsis : 1973, l’Uruguay bascule en pleine dictature. Trois opposants politiques sont secrètement emprisonnés par le nouveau pouvoir militaire. Jetés dans de petites cellules, on leur interdit de parler, de voir, de manger ou de dormir.

1973, l’Uruguay bascule dans l’une des pires dictatures qu’ait connue l’Amérique du Sud. Avant cela, le pays traversait déjà depuis une bonne dizaine d’années, une crise politique aigue. Pour faire court et rapidement poser le contexte de Compañeros, la situation politique de l’Uruguay était bloquée au début des années 60 avec un pouvoir exclusivement partagé par les deux partis traditionalistes de droite. La montée de groupes extrémistes proches des idéaux néo-nazis et les risques d’un coup d’Etat militaire mené par des sympathisants de ces derniers, ont conduit à la création du mouvement Tupamaros, structure clandestine armée née sous l’impulsion du parti Communiste. Les Tupamaros s’organiseront et mèneront pas mal d’opérations révolutionnaires comme une attaque contre une usine de napalm destiné au Vietnam, des assassinats sur des policiers accusés de torture sur des détenus politiques ou des braquages spectaculaires sur des camions chargés de vivres, qu’ils redistribuaient ensuite dans les quartiers populaires. Mais à compter de 1968, le Président en action durcira les lois, dissolvant les partis d’opposition, censurant la presse ou autorisant l’incarcération sans procès. 1971, des élections truquées avec le concours du Brésil et des Etats-Unis ont lieu. L’affrontement entre le pouvoir et les Tupamaros s’amplifie et devient sanglant jusqu’à leur défaite et leur démantèlement. C’est là, et sur fond d’opération Condor, que commence la détention arbitraire des Tupamaros. Compañeros, troisième long-métrage d’Alvaro Brechner après Sale Temps pour les Pêcheurs et Mr Kaplan, raconte l’histoire de trois Tupamaros emprisonnés sans aucune forme de procès et torturés physiquement et mentalement pendant des années. A défaut de pouvoir les liquider à la vue de tous, le gouvernement de l’époque décida de les rendre fous… par tous les moyens. Ils s’appelaient José Mujica, Mauricio Rosencof et Eleuterio Fernandez Huidobro.

La force de Compañeros est d’être un film poly-facettes, comme une sorte de diamant taillé de sorte à multiplier les reflets qu’il renvoie dans son éclatante profondeur. Alvaro Brechner ne se limite au simple biopic poignant, pas plus qu’il ne s’enferme dans le réducteur « film de prison ». Compañeros est cela bien évidemment, mais aussi un film historique passionnant, un brûlot politique engagé et enragé, et enfin un formidable voyage existentiel questionnant notre humanité. « Que reste t-il d’un homme lorsqu’on lui enlève tout ? » se demande le cinéaste. C’est l’une des questions posées par le film à travers l’histoire de ces trois hommes qui ont été poussés aux limites du supportable, trimballés de geôle en geôle (de plus en plus petites), coupés de l’extérieur, de la lumière du jour, de la vie, de tout contact avec autrui, privé du moindre confort de base et de toute dignité, isolés dans des conditions dégradantes, parfois sans nourriture, eau ou possibilité de dormir. A travers ce long cauchemar qui traverse des zones d’obscurité et de lumière, qui alterne vacarme et silence, cynisme et tendresse, noirceur et instant de vie magnifique, Alvaro Brechner signe un grand film politique et humaniste sur parle autant de liberté que de conviction et d’espoir.

Il aurait été facile de verser dans le voyeurisme pour peindre cette entreprise de déshumanisation extrême, mais jamais Compañeros ne prend le risque de s’inviter vers la périphérie du torture porn gratuit. Chaque scène, chaque plan est au service de l’intelligence d’un propos qui illustre à quel point l’homme meurtri et piégé dans les ténèbres, peut trouver en lui la force de se réinventer, de réinventer sa réalité, d’utiliser son imaginaire pour fuir l’horreur d’une dégradation mentale et physique, et de tenir bon en s’appuyant sur l’espoir, sur le courage et même sur l’humour (car oui, malgré son récit très dur, le film parvient à aménager quelques zones d’humour salvatrices). Fruit d’un méticuleux travail de documentation et de reconstitution pour mélanger créer une fiction inspirée par le réel, Compañeros est une œuvre rend hommage à toutes les victimes de barbarie au nom de leurs idéaux, en mettant en opposition l’ombre et la lumière, l’ombre d’un calvaire, la lumière d’une résilience magnifique. On regrettera seulement le manque d’un peu de didactisme pédagogique dans la présentation et les explications du contexte de l’Histoire, ce qui aurait aidé pour bien comprendre certains des tenants et aboutissants qui encadre ce que raconte le film. Rien de grave, Google est notre ami après la séance.

Par Nicolas Rieux

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