Dix-huit ans qu’on attendait ça ! Dix-huit ans que l’on s’impatientait de retrouver l’univers de
28 jours plus tard. Dix-huit ans que l’on en était resté sur le choc de son énorme suite,
28 semaines plus tard, par Juan Carlos Fresnadillo. Dix-huit ans que l’image de Robert Carlyle courant dans un champ pour échapper à une horde de zombies nous hantait. Dix-huit ans que l’on trépignait d’en voir plus après cet ultime plan montrant des infectés au pied de la Tour Eiffel. Ce fut long mais on y est. Danny Boyle retrouve enfin ses zombies surexcités et relance ce qui pourrait devenir une nouvelle trilogie. Un second chapitre (réalisé par
Nia DaCosta) sortira en 2026 et en fonction du succès des deux, Danny Boyle lui-même clôturera cette résurrection tardive avec un troisième film. Mais chaque chose en son temps. D’abord, célébrons enfin cette première suite qui, comme son titre l’indique, plante sa temporalité 28 ans après les événements déclencheurs. Le monde a fait face à la mortelle pandémie. L’Europe a été décontaminée mais pas l’Angleterre, restée en quarantaine et demeurant une zone de non-accès où les survivants locaux ont été abandonnés avec leurs infectés. Sur une petite île sécurisée au large de l’Angleterre, des habitants ont recréé un semblant de vie rurale et tentent de survivre coupés du reste du monde. Comme la famille du petit Spike, qui vit avec son père (Aaron Taylor-Johnson) et sa mère souffrant de forts troubles mentaux (Jodie Comer).

On l’a tellement rêvée cette suite que les attentes étaient au maximum du possible. Jamais facile pour un film de devoir supporter pareille pression. Mais tous les espoirs étaient permis, d’autant que
28 ans plus tard s’offre un combo enthousiasmant aux commandes, le réalisateur originel Danny Boyle à la réalisation et le talentueux Alex Garland (
Ex-Machina,
Men,
Civil War) à l’écriture. Malheureusement, on a vite été contraint de redescendre sur Terre. Non pas que ce comeback de la saga soit une débâcle dans les grandes largeurs comme beaucoup de suites si tardives, mais parce que le film ne tient pas les promesses escomptées. Ou plutôt, soyons honnêtes, disons qu’il n’est peut-être pas celui que l’on attendait et qu’il prend une direction aussi inattendue que déroutante. Les ultimes images de
28 semaines plus tard nous avaient laissés sur le tableau d’un chaos mondial avec ces zombies envahissant la planète, Paris en tête. Ce qu’il s’est passé depuis, Danny Boyle l’expédie en deux lignes de texte introductives. L’Europe s’en est sortie, l’Angleterre est restée isolée et en quarantaine. Ok. Et c’est tout ? Oui, c’est tout.
28 ans plus tard fait le choix de sauter l’ampleur de la catastrophe pandémique mondialisée pour raconter une histoire intimiste centrée sur un petit microcosme de survivants, et dans celui-ci l’aventure d’une famille. Conséquence logique, le spectacle zombiesque apocalyptique s’en trouve fortement diminué. Mais le vrai problème n’est pas tant de choix de sauter l’apocalyptique pour aller directement au post-apocalyptique (pas besoin de rejouer
The Walking Dead après tout), non le vrai problème est que Boyle et Garland peinent à raconter un récit réellement passionnant, même s’ils essaient d’apporter une dimension dramatique qui remplace le cinéma catastrophe horrifique par une tragédie personnelle et humaine. L’histoire est celle d’une mère malade et d’un garçonnet qui veut tout faire pour aider sa maman. Et le film est avant tout un film sur la maladie vécue à hauteur d’enfant. Evidemment, il y a des zombies, c’est un minimum. Mais ce ne sera que de petits groupes d’antagonistes sur le chemin de cette cellule familiale désespérée.

Deuxième problème, à l’écriture, Alex Garland s’embourbe dans une nouvelle mythologie Zombie à base de rampants lents, d’infectés rapides, de mâles Alpha… A quoi il rajoute ensuite une grosse couche de mysticisme et d’existentialisme donnant lieu à un film presque pompeux, flirtant parfois avec l’ennui poli. De son côté, Danny Boyle ne compense pas forcément, s’embourbant lui-aussi dans une mise en scène d’une lourdeur hiératique et erratique pesante. Clairement, le cinéaste a voulu déjouer les attentes à tous les niveaux, formels comme narratifs. On lui reconnaîtra au moins cette audace d’avoir oser faire l’anti-film attendu. Pas d’épique, que de l’intimiste. Pas les plans attendus, plutôt une réalisation que l’on pourrait qualifier de décalée. Pas de musique de tension mais du rock façon Trainspotting avec des zombies. C’est toujours une bonne chose quand un cinéaste cherche des leviers créatifs pour faire original et différent. Avait-on vraiment envie de revoir un énième film de zombies classique comme on en a vu des centaines ? Bien sûr que non. Mais à s’éloigner de tout classicisme du genre, Danny Boyle finit par en faire trop. Beaucoup trop. Très ostentatoire, sa mise en scène en desservirait presque son film, nous sortant de l’expérience viscérale pure à force de multiplier des effets artistiques qu’il rejoue de surcroît en boucle jusqu’à l’overdose. Tourné au smartphone, le film se paye en outre plusieurs séquences intenses plombées par un rendu vidéo des plus désagréable. A cela s’additionne des effets de montage tout aussi perturbants, des chapelets d’images tout en symbolisme pénible donnant dans le trip hallucinogène agaçant et cette bande originale rock à visée artistique si lourde et démonstrative…

Une histoire peu passionnante et une mise en scène peu aimable, cela fait beaucoup pour un même film. Beaucoup trop ? Oui et non. Car dans cette indigestion artisanalement artistique, Danny Boyle parvient à signer des passages que l’on doit reconnaître superbes. Des éclairs de génie traversent le film, parfois des plans majestueux, parfois des séquences d’une intensité folle. Ils opèrent comme des éclaircies dans la grisaille et sauvent un film qui, sur la durée, finit par se faire accepter pour ce qu’il est, une œuvre singulière et hors des sentiers battus qui parle de l’acceptation de la mort, qui parle du pouvoir de l’amour sur la violence, qui parle de poésie dans un chaos post-apocalyptique… Dommage que ce que 28 ans plus tard a de meilleur soit ainsi disséminé dans un long métrage par intermittence assez pénible et dont la puissance est étouffée.