Quatorzième Wall Ciné Pictures, notre rendez-vous « ciné-club » du samedi et ses trois idées de films à voir ou à revoir. Au programme de cette nouvelle escale dans la longue histoire du cinéma, focus sur home invasion espagnol bien hardcore, sur une comédie à hurler de rire avec Michael J. Fox et sur un chef-d’oeuvre du cinéma.
KIDNAPPÉS (SECUESTRADOS)
De Miguel A. Vivas – 2010 – 1h22
Genre : Horreur – Espagne
Avec : Fernando Cayo, Manuela Vellés, Ana Wagener…
Synopsis : Jaime, Marta et leur fille, Isabel, se préparent à fêter leur emménagement dans leur nouvelle villa quand brutalement, trois hommes cagoulés font irruption… En une nuit, leur vie va basculer.
Un thriller horrifique nerveux et ultra-violent venu d’Espagne et produit par les mêmes mecs que Cellule 211 ? Alléchant ! Second long-métrage de Miguel Angel Vivas (dont on a parlé il y a peu pour son DTV Extinction avec Matthew Fox), Secuestrados ne part pas d’un pitch particulièrement novateur, au contraire, recyclant une énième histoire de famille séquestrée le temps d’une nuit cauchemardesque, en vue d’un huis-clos étouffant. Critiqué pour son violence extrême, Kidnappés est une petite bombe nerveuse aux allures de thriller hardcore penchant vers le survival sans concession, voire le torture porn maîtrisé. Une nuit va être le théâtre de toutes les horreurs pour une famille confrontée à une intrusion agressive où tout va progressivement partir en vrille. Le cinéaste justifie son métrage par une volonté de proposer une allégorie politique sur l’insécurité et la peur. Bon… Revenons sur terre deux minutes et évitons les justifications à deux balles. Kidnappés est tout simplement une péloche brutale, efficace, tendue, violente et haletante plongeant le spectateur en apnée aux côtés des protagonistes, pour une virée dans un enfer nocturne quasiment en temps réel, avec un réalisme glaçant et terrifiant. Explorant les limites de l’étouffement et de la panique et refusant au spectateur toute position omnisciente confortable pour mieux lui faire vivre impuissant et désarmé, toute l’ampleur de la panique orchestrée avec perversion, Kidnappés ne ménage pas son audience, usant de toutes les ressources techniques dont il dispose, pour faire de son récit, une expérience sensorielle aux allures de calvaire éveillé. Sans temps mort, le film de Vivas dépote, perturbe, dérange avec son réalisme maximal décuplé par un recours au son direct, aux lumières naturelles, au plan-séquence, et à l’improvisation plutôt qu’à l’écriture millimétrée. Au final, Miguel Angel Vivas est l’artisan d’une série B choc et sans concession, entre souffrance physique et psychologique, où l’empathie fonctionne à merveille. A déconseiller aux âmes sensibles.
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LE SECRET DE MON SUCCÈS
De Herbert Ross – 1987 – 1h51
Genre : Comédie – USA
Avec : Michael J. Fox, Helen Slater, Richard Jordan…
Synopsis : Après l’obtention de son diplôme, l’ambitieux et talentueux Brantley décide de quitter son Kansas natal pour aller tenter sa chance à New York. Il ne tarde pas à gravir les échelons d’une importante multinationale en ayant recours à un subterfuge… Ce qui profitera également à sa vie sentimentale.
Mise en marche de la machine spatio-temporelle… 88 miles à l’heure sur la télécommande… Et bang, nous voilà en plein dans les années 80 en compagnie de l’incontournable Michael J. Fox ! Retour vers le Futur ? Pas du tout ! Le Secret de mon Succès. Ou plutôt, le secret du succès d’un espèce de Ferris Bueller devenu jeune adulte et qui aurait quitté les bancs du collège pour aller tenter sa chance dans la vie active. Comédie à l’ancienne façon John Hugues à redécouvrir aujourd’hui comme une succulente madeleine de Proust haute en couleurs, Le Secret de mon Succès, film d’Herbert Ross (Footloose), est étrangement méconnu et pourtant… Condensé d’humour irrésistible rythmé par les éclats de rires ou la musique de Katrina and the Waves qui « walke on a Sunshine », en plus d’être bourré d’énergie comme un concentré d’Ovomaltine et traversé de scènes hilarantes que n’aurait pas renié un Blake Edwards, Le Secret de mon Succès respire l’odeur de cette époque bénie pour la comédie teenage et régale ! Notre Marty McFly préféré a 24 ans, il veut débuter dans la vie et quitte sa campagne ennuyeuse pour aller tenter sa chance dans la mégalopole new-yorkaise. Les plus jeunes trouveront probablement le film ringard aujourd’hui, mais tout ceux qui ont connu cette mythique décennie ne pourront qu’adorer le voir se jeter dans la gueule du capitalisme sans pitié, montant un plan « Ferris buellerien » pour gravir les échelons tout en s’évertuant à draguer cette pauvre Helen Slater qui, après le nanardeux Supergirl, confirme qu’elle est une actrice catastrophique mais hyper-attachante. Bref, tordant, vif et romantique, Le Secret de mon Succès incarne 1h30 de plaisir nostalgique pour toute une génération. Profitez, ça fait un bien fou !
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LES CHAUSSONS ROUGES
De M. Powell et E. Pressburger – 1948 – 2h13
Genre : Drame – Angleterre
Avec : Anton Walbrook, Moira Shearer, Marius Goring…
Synopsis : Vicky, danseuse, et Julian, compositeur, sont engagés dans une troupe de ballet. Tyrannique, le directeur pousse Vicky à s’identifier à l’héroïne du ballet « Les Chaussons rouges ». Elle y sacrifie tout, même son amour pour Julien.
63 ans sépare Les Chaussons Rouges et Black Swan, deux monuments partageant en commun le même thème de la danse classique et de son mystérieux univers impénétrable. En 1948, le duo Michael Powell/Emeric Pressburger signait ce chef-d’œuvre oscarisé à la beauté plastique incroyable, adaptant un conte d’Hans Christian Andersen. Mettant en scène la véritable ballerine Moira Shearer dans le rôle d’une danseuse de ballet sur le chemin de la gloire, The Red Shoes s’attarde avant tout, à l’instar de Black Swan des décennies plus tard, sur les coulisses d’un milieu intransigeant, et par allégorie, sur les sacrifices terribles que demande tout art à son artiste. Mais si Black Swan s’enroulait surtout à un réalisme allégorique et fantastique pour illustrer les douleurs psychologiques et physiques d’un monde écrasant d’exigence, Les Chaussons Rouges, lui, délaisse quelque peu la dureté physique, pour se pencher plutôt sur les relations humaines qui sous-tendent l’univers de la danse. Des relations faites d’exclusivité affective, d’exigences morales, d’ego, de frustration et de jalousie, des relations tyranniques, imposant un abandon de soi total, une dévotion absolue. Powell et Pressburger transcendent le conte d’Anderson pour en présenter une vision cruelle, où la magie du résultat s’entrechoque au contact des sacrifices de vie sur l’autel de l’art. Le monde de la danse est ici présenté comme un monde demandant un abandon ascétique quasi religieux, où lesdits sacrifices ne sont pas tant physiques (comme dans Black Swan) mais moraux et sentimentaux.
Pas loin de la parabole faustienne, la jeune et belle Vicky ne pourra atteindre gloire et renommée qu’en acceptant un pacte lui ôtant vie personnelle, liberté, libre-arbitre, émotions et ressentis. Un pacte à signer en lettres de sang, de pleurs et de sueur. La tyrannie de l’art sur les gens qui le pratiquent, la façon dont il a cette puissance destructrice obsédante dévorant toute forme de vie personnelle, comme s’il exigeait une implication si profonde du corps et de l’esprit, que les sentiments futiles n’y avaient dès lors plus leur place, devenant des handicaps et de freins à la créativité…. Par l’art, Pressburger et Powell livrent une charge terrible et sombre sur lui-même et une belle réflexion sur l’artiste en général et sur la tyrannie d’un monde résolument différent. Cynique et mélancolique, en plus d’être d’une rare violence morale pour son temps (1948), Les Chaussons Rouges est un authentique chef d’œuvre du cinéma, qui en influencera plus d’un, à commencer par De Palma ou Scorsese. La magie de sa mise en scène magnifie un film fort en émotions et transcende les scènes de ballets pour les hisser au niveau de spectacle filmé, prenant et total. Intense, envoûtant, poussant au vertige cinématographique à l’image de ses protagonistes poussés dans le vertige de leurs derniers retranchements.
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