[Note spectateurs]
Carte d’identité :
Nom : Manbiki kazoku
Père : Hirokazu Kore-Eda
Date de naissance : 2018
Majorité : Prochainement
Type : Sortie en salles
Nationalité : Japon
Taille : 2h01 / Poids : NC
Genre : Comédie dramatique
Livret de famille : Lily Franky, Sakura Andô, Mayu Matsuoka…
Signes particuliers : Fin et intelligent, la marque de Kore-Eda.
UNE TRÈS BELLE PALME D’OR
LA CRITIQUE DE UNE AFFAIRE DE FAMILLE
Résumé : Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…
Pour sa septième participation au festival de Cannes, la cinquième en compétition officielle, le japonais Hirokazu Kore-Eda a enfin décroché la Palme D’or après avoir glané ou fait gagné le prix d’interprétation masculine (2004 – Nobody Knows) et le prix du Jury (2013 – Tel Père, Tel Fils). Avec Une Affaire de Famille, le cinéaste dresse le portait d’une étrange « famille » dont le scénario va progressivement effeuiller les secrets qui se cachent derrière les apparences. Et ils sont nombreux. Mais ce regard discret glissé dans l’intimité d’un petit microcosme marginal n’est pas gratuit, il est un moyen pour Kore-Eda de déployer une étude magistrale de la société japonaise et ses innombrables paradoxes. Une Affaire de Famille, ou une belle Palme D’or accordée à un film à la fois d’une immense intelligence, d’une fascinante subtilité et d’une insondable complexité nichée dans ses jeux de faux-semblants.
Dans le film de Kore-Eda, il ne faut rien prendre pour acquis. Ni le genre, qui semble vendre un drame alors que le film glisse souvent vers une drôlerie pleine d’humour noir, ni le scénario qui joue grandement la carte du mystère pour mieux surprendre, ni les ressentis que l’on éprouve envers les personnages, qui peuvent sans cesse changer en une fraction de seconde. C’est là d’ailleurs la force de ce nouveau long-métrage de Kore-Eda, peut-être l’un de ses plus aboutis à ce jour. Une Affaire de Famille se refuse en permanence à s’aventurer dans le carcan réducteur de la prévisibilité et la liberté qui porte sa démarche lui permet de faire d’innombrables entorses aux conventions pour mieux asséner l’intelligence de sa proposition cinématographique et de son propos social.
A travers cette chronique douce-amère capable d’être à la fois franchement hilarante ou subtilement émouvante (ou l’inverse), Kore-Eda convoque des thématiques récurrentes de son cinéma de toujours. Une Affaire de Famille parle des apparences dans la société japonaise, des laissés-pour-compte victimes de son économie triomphale, de la notion de la filiation, de la primauté des liens du cœur sur les liens du sang, des familles dysfonctionnelles, voire même réfléchit à ce qu’est aujourd’hui une famille « dysfonctionnelle » dans une époque où finalement, les conventions n’ont plus vraiment de sens. Côté formalisme, c’est le langage habituel de Kore-Eda qui parle pour donner corps à ces questionnements. Comme à son habitude, Une Affaire de Famille erre à la frontière de la pure fiction et des procédés documentaires, s’illustre à travers un minimalisme délicat et laisse place à un profond humanisme déployé avec un tact détaché des grosses ficelles du mélo classique.
« Kore-Eda encore à Cannes » disait t-on au départ, non sans une pointe de dépit à voir le festival incapable de renouveler son terreau de cinéastes fétiches. Mais il faut bien avouer que cette fois plus qu’aucune autre, Kore-Eda devait être à Cannes tant Une Affaire de Famille affiche une maîtrise prodigieuse tant dans le fond que sur la forme, avec sa mise en scène d’une précision magistrale et pourtant toujours humble, discrète, ne cherchant jamais à se mettre au-dessus de son sujet. Portraitiste de génie, Kore-Eda laisse comme souvent parler sa finesse, et c’est dans l’élaboration de ses personnages et dans les relations qu’ils entretiennent entre eux, qu’elle s’exprime brillamment cette fois. Cette famille autoproclamée est-elle peuplée de petites gens médiocres ou sont-ils à l’inverse bouleversant d’humanité ? Sont-ils cyniques et animés d’une forme de cruel égoïsme ou au contraire, plus humains que bien des gens se prétendant humains ? Autant de questions que le cinéaste pose sur la table sans jamais chercher à asséner une vérité. Ils sont peut-être l’un ou l’autre, voire tout cela à la fois mais Kore-Eda se garde bien de les juger, et laisse au spectateur le soin d’interpréter comme il le voudra, la nature de ces rapports. Et Une Affaire de Famille de pouvoir être vu et lu de plusieurs manières tant sa complexité n’a d’égale que sa subtilité. Un tour de force qui ne verse jamais dans la mièvrerie et qui brille par son universalité.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux
Félicitations pour cette critique subtile d’un film tout en finesse sur lequel on a écrit bien des banalités. Comme vous le montrez bien, Koré-eda incite le spectateur à se dévêtir du prêt-à-penser.