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THE DRIVER de Walter Hill – critique (policier)

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note 5
Carte d’identité :
Nom : The Driver
Père : Walter Hill
Livret de famille : Ryan O’Neal (le chauffeur), Isabelle Adjani (la joueuse), Bruce Dern (le détective), Matt Clark (le 1er inspecteur), Ronee Blakley (le contact)…
Date de naissance : 1978
Majorité au : 23 août 1978 (en salles)
Nationalité : USA
Taille : 1h31
Poids : 4 millions $

Signes particuliers (+) : Un classique méconnu des glorieuses seventies, ancêtre évident du Drive de Nicolas Windijng Refn qui lui doit beaucoup. Quelques séquences d’action époustouflantes et novatrices pour l’époque, auraient leur place dans l’histoire du cinéma si le film n’était pas autant oublié des manuels.

Signes particuliers (-) : Très surcoté, Driver a surtout été immortalisé par ses deux impressionnantes poursuites automobiles, deux séquences réalisées avec beaucoup de maîtrise et de créativité qui l’ont érigé à un rang de culte qu’il n’aurait pas forcément atteint sans elle. car derrière, le film cumule les carences, notamment narratives.

 

SON OF A BULLITT !

Résumé : Une jeune femme est témoin d’un hold-up à la sortie d’un casino. Les braqueurs s’en tirent grâce à leur troisième homme, un chauffeur, maître du pilotage, spécialisé dans ce type de crime. La jeune femme refuse de donner son signalement à la police, préférant garder sous silence son identité pour mieux s’approcher de lui et mettre la main sur son butin en le faisant chanter…

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L’INTRO :

Le succès public et critique en 2011 du formidable Drive de Nicolas Winding Refn, triomphe remarqué qui a autant assis son talent à la face du monde que celui de sa star mutique, Ryan Gosling, s’est doublé d’un débat polémique acharné auprès des cinéphiles et professionnels de la critique quant à la réelle valeur de cette « claque » qui n’a d’ailleurs pas baffé tout le monde. Chef d’œuvre envoutant ou arnaque surcotée et « copieuse », le pertinent débat reste toujours, enflammé et le partiellement responsable, c’est ce Driver de Walter Hill, film de 1978 avec Ryan O’Neal et la française Isabelle Adjani. Nicolas Winding Refn s’est toujours défendu d’être un pilleur mais concède volontiers qu’il est un cinéaste sous influences, un metteur en scène de la référence, pas vraiment de l’hommage façon Tarantino, mais façonné par une culture qui transpire de toutes les pores de son travail. Mais là où le débat s’est fait d’autant plus rageur, c’est lorsque le danois a expliqué à qui voulait l’entendre, qu’il n’avait jamais vu Driver de Walter Hill et que son Drive à lui, était son premier film détaché justement de toute influences. Déjà sur la facture, l’aspect eighties est une évidence mais par ailleurs, la déclaration paraît d’autant plus surprenante que les similitudes entre les deux films séparés de 30 ans, sont nombreuses. Dans Driver, comme dans Drive, le héros est donc un chauffeur pour braqueurs, expert en conduite sous haute pression. Déjà, la définition peu banale du personnage est suffisante pour entretenir le doute. Dans les deux cas, sa rencontre avec une femme va introduire une complication dans son quotidien méthodique, dans les deux cas, cet anti-héros est caractérisé par une attitude renfermé et silencieuse et pire, avec un détail très précis et trop étrangement similaire, dans les deux cas le personnage n’est pas nommé et se laisse appeler tout simplement « le chauffeur » ou « driver ». Bien entendu, d’impressionnantes séquences de conduite sont communes aux deux métrages. Bref, difficile après ça d’avaler le coup du « je n’ai jamais vu Driver et je ne m’en suis absolument pas inspiré ». Mais finalement qu’importe ? Remake ou pas, film inspiré ou pas, toute considération morale mise à part, on serait presque tenté d’envoyer balader cette guerre acharnée entre partisans et critiques du Drive de Nicolas Winding Refn. Le film est une œuvre sublime d’esthétisme, puissante, référentielle, poignante et stylisée et Refn a su la transcender en lui conférant un caractère presque mythologique en jouant sur certains ingrédients qui lui sont propres comme la violence exacerbée, l’importance de la musique, la profondeur étrange des relations tissées entre le chauffeur et sa charmante voisine, la mise en scène chargée… Autant d’éléments qui n’étaient pas dans le classique de Walter Hill et qui font de Drive une œuvre à part entière.

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Driver est sorti à la fin des années 70, dans une décennie caractérisée par un courant virtuose, celui du thriller policier mâtiné de film noir, un style qui traversait les registres et que l’on retrouvait notamment dans les nombreux films de braquage produits à l’époque, mais aussi dans le film policier, le film d’enquête ou le film de complot politique. Un pur produit de son temps donc, mené par un Walter Hill qui signait alors seulement son second long-métrage en tant que metteur en scène. Son expérience de scénariste n’était plus à faire après avoir écrit pour Peckinpah (Guet-Apens), John Huston (The Makintosh Man) ou Stuart Rosenberg (The Drowning Pool) mais en tant que réalisateur, Hill n’avait signé que Hard Times avec Charles Bronson, deux ans auparavant. Driver était une série B à petit budget qui allait lui permettre de grandir mais le film fut un semi-échec à sa sortie, devenu culte avec le temps à travers la pop culture, par l’aura que lui auront attribué certains cinéphiles ou geeks comme un Tarantino par exemple, qui lui a d’ailleurs adressé de nombreux clins d’œil au détour de Pulp Fiction, Kill Bill Vol. 2 ou Death Proof. Les projecteurs braqués sur le Drive de Refn lui ont forcément été bénéfiques et lui ont permis d’être indirectement remis dans la lumière, s’offrant une difficile redécouverte car il reste très compliqué à se procurer, notamment en France où aucun DVD n’existe.

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L’AVIS :

Revoir Driver aujourd’hui, c’est se replonger dans tout le pan mythique du cinéma américain des seventies, époque où il confirmait sa rupture d’avec celui de l’âge d’or du vieil Hollywood, pour définitivement tracer les contours de sa modernité déjà dessinée par quelques œuvres précurseurs et fondatrices dans les années 60. Dans cette nouvelle vague transformatrice, un genre a étincelé et connu sa plus belle époque, « le film de crime », sorte de mélange entre le thriller, le policier et le film noir, caractérisé notamment par une esthétique très épurée, une approche narrative millimétrée et ultra-concise, une réalisation tendue au cordeau et un refus de la surcharge quelle qu’elle soit (dialogues, musique, simplicité et précision de la mise en scène). Aux côtés des Klute, Le Gang Anderson, L’Inconnu de Las Vegas, Taking Pelham 123 et autres Conversations Secrètes, Un Homme dans la Foule, Les Hommes du Président, La Théorie des Dominos, ou Le Limier, tous héritage des Inconnu de Las Vegas, Un Crime dans la Tête, A Bout Portant et consorts, Driver tient sa place. Ryan O’Neal face à Isabelle Adjani et Bruce Dern, Walter Hill à l’écriture et à la réalisation, une histoire à suspens tout en efficacité et en tension brute, une musique discrète signée Michael Small et quelques séquences virtuoses ont fait de ce « petit film » un classique trop fréquemment méconnu et mésestimé.

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Il faut dire que parmi tous ces représentants de cette époque bénie, Driver n’est pas le meilleur du genre. L’effort de Walter Hill alterne le meilleur et le moins bon, là où d’autres impressionnent encore aujourd’hui par leur perfection indéniable à tous les égards. Des défauts qui nous poussent à nous demander s’il ne serait d’ailleurs pas légèrement survalorisé par les hautes sphères cinéphiles. Une Isabelle Adjani par exemple, au jeu dramatique passéiste, en permanence dans l’inspiration puisée et modernisée des « vamps » des films noirs d’antan. La comédienne française tente l’expérience américaine mais se révèle maladroite dans l’incarnation de son personnage, mal dirigée peut-être aussi, mais souvent à contretemps, sans cesse trop ou pas assez, mystérieuse et dans le même agaçante par son sur-jeu… dans l’épure (ou absence) de jeu justement. Le script également, parfois redondant, souvent confus dans son évolution, et accablé d’un rythme pas toujours bien géré par un Walter Hill qui s’appesantit souvent pour mieux repartir sèchement dans la foulée mais qui du coup nous plonge dans une rythmique à deux temps qui manque de souplesse alors que la courte durée aurait dû laisser place à une véritable efficacité haletante. On pourrait également s’attarder sur les personnages, au centre de tout et pourtant étouffés par l’intrigue et la maestria de la mise en scène, si bien calibrée et mise en avant, qu’elles ne laissent aucune aspérité leur permettant d’exister au-delà de leur fonction dans l’histoire, d’où un fatal manque d’émotion et une froideur trop fortement « distanciatoire ».

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Toutefois, pas question d’adresser un procès en règle à Driver et de le faire passer pour plus mauvais qu’il n’est. Même s’il laisse une impression mitigée voire de semi-déception eu égard aux attentes placées en lui comme dans chaque œuvre d’un genre généralement pourvoyeur de classiques à se damner, il n’empêche qu’il parvient à s’incruster dans une moyenne supérieure du panier grâce à ses moments de génie époustouflants. En réalisant ce policier comme un western urbain râpeux (la grande signature de Walter Hill), le cinéaste en appelle autant à Sam Peckinpah qu’au meilleur du cinéma du genre dans lequel il s’inscrit avec son minimalisme exacerbé et une ambiance étrangement hypnotique ou du moins qui essaie de l’être (sauf que sans émotion, difficile de faire fonctionner l’atmosphère) et s’il n’excelle pas dans l’homogénéité et la finesse de son écriture très linéaire (étonnant de la part d’un Hill redoutable scénariste), force est de constater que l’on n’est pas prêt d’oublier certains passages à l’image de ces attendues et dantesques courses-poursuites en bolides qui transpercent l’écran d’un éclair bruyant. Walter Hill en offre généreusement deux majeures, chacune respectivement de plus de dix minutes et réalisées avec une virtuosité bluffante, sans musique, seulement rythmée par les sons des crissements de pneus, des moteurs vrombissants et des pare-chocs raclant l’asphalte. Tendues, impressionnantes et réalistes, c’est sans aucun doute, la seconde qui restera comme la plus maîtrisée et perfectionnée des deux, avec ses plans en vues subjectives depuis les pare-chocs et ses incessants brusques changements de rythme. Un moment de bravoure incroyable qui aura grandement contribué à remettre Driver sur la bonne route du classique culte mais dans le même temps, un moment qualitatif duquel sortira les défauts symbolisant toute la déficience de l’œuvre.

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Driver fait évidemment penser à d’autres classiques de son temps comme Bullitt ou French Connection mais dans le même espace critique, il souffre de ces comparaisons inévitables et qui ne lui rendront pas service. Non pas qu’il ait à rougir de ses moments d’excellence, il faudra d’ailleurs reconnaître à Walter Hill un véritable talent dans leur mise en scène, mais tout aussi grandioses soient-ils, c’est de leurs qualités que naîtront finalement les défauts inhérent à une entreprise trop autocentrée sur ses prouesses. Car Bullitt comme French Connection, ne se résumaient pas à leurs seules séquences spectaculairement cultes. Or Driver, est en réalité un exercice bourré de carences et de défauts majeurs mais rendus mineurs par deux fulgurances qui encadrent sa structure dramatique en essayant de les masquer. Il semble exister dans les mémoires essentiellement pour ses deux pharamineux moments automobiles de haute volée, mais avec finalement pas grand-chose à proposer au-delà de ses arguments de taille. Hill, conscient de leur potentiel et efficacité, pèche par excès de bonne volonté en leur affligeant en prime une « longueur » maladroite qui paradoxalement finira par leur conférer un effet d’essoufflement sur la durée là où elles auraient pu être encore plus concises, plus brutes de décoffrage, plus immersives. Un détail en soi mais représentatif de la réalité d’un film tout entier, qui ne bénéficie que trop rarement du bon sens du timing et de la construction, et d’une narration étudiée. Driver devient alors le symbole de ces grands films auquel on a peut-être accordé un peu trop de crédit, focalisé sur un génie qui jaillit par à-coups au détour de quelques monstrueux moments de cinéma mais qui, tel l’arbre qui cache la forêt, masque en réalité les défauts d’une entreprise pas si bien ficelée que ça, pas si géniale qu’on ne veut bien le croire au-delà de l’aura qu’elle traîne. Walter Hill fait du bon boulot sur l’apparence mais avec recul et détachement, les fondations craquèlent.

Bande-annonce :

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