Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Être
Père : Fara Sene
Date de naissance : 2014
Majorité : 10 juin 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : France, Belgique
Taille : 1h24 / Poids : Budget NC
Genre : Drame
Livret de famille : Bruno Solo (François), Salim Kechiouche (Mohamed), Benjamin Ramon (Marco), Djena Tsimba (Ester), Kevyn Diana (Christian), Karina Testa (Sabrina), Sophie Leboutte (la SDF), Stéphanie Van Vyv (Catherine)…
Signes particuliers : Un film choral franco-belge tout en modestie, premier long de son auteur, Fara Sene. Au milieu des dizaines de sorties hebdomadaires, il est parfois bon d’écarter le très visible pour aller chercher ce (et ceux) qui se cachent derrière.
ÊTRE OU NE PAS ÊTRE ?
LA CRITIQUE
Résumé : Un policier au bout du rouleau, François. Une fille adoptive mal dans sa peau, Ester. Un provincial qui rêve de visiter le monde, Christian. Un garagiste qui rêve de fuir sa cité par tous les moyens, Mohamed. Et une SDF. Ils ne se connaissent pas, pourtant, en 24 heures, leurs destins vont se croiser, transformant leur existence douloureuse en un chemin vierge où tout reste à construire… L’INTRO :
Il y a des films comme ça dont on parle peu, des films humbles, considérés comme anecdotiques et qui passeraient presque inaperçus si la touchante sincérité de leur démarche ne donnait pas envie de les mettre un peu en valeur pour leur accorder une once de lumière qu’ils méritent, mais qui leur est tristement déniée en raison de l’embouteillage des sorties aux portes des salles obscures françaises chaque semaine. Etre est de ces films-là. Un premier long-métrage réalisé par Fara Sene, jeune réalisateur auteur de quelques courts remarqués (dont un à Cannes, Tant que tu respires) et qui reçoit des appuis précieux entre la France et la Belgique, pour tourner ce film choral attaché à une petite galerie de personnages dont les vies vont se croiser ou s’entrecroiser dans un maelström dramatique qui n’a rien d’extraordinaire si ce n’est d’essayer de capter un reflet de la vie dans toute sa belle simplicité ou sa tragique complexité. Peu de stars au générique (Bruno Solo en flic usé, la belle Karina Testa), peu de moyens, aucune vanité dans les intentions, Etre a un mérite à l’image de son titre, celui d’exister, et c’est déjà beaucoup.L’AVIS :
Dès les premières minutes, on perçoit toute la cinéphile évidente et les références de Fara Sene. Une ouverture façon La Haine de Kassovitz, une facture qui rappelle lointainement la solidité du cinéma français des années 80, puis un canevas « puzzle » qui se met en place en lorgnant autant du côté de Altman que de Iñarritu et surtout Paul Haggis. Impliquant des ambitions narratives fortes, le registre est souvent périlleux et exige une maîtrise absolue pour tenir en équilibre à la fois dans ses histoires isolés et dans son tout à la recherche de cohérence thématique. Premier bon point, Fara Sene a cette maîtrise et jongle avec ses récits sans jamais perdre de vue sa généralité, sans jamais traîner les pattes, évitant de surcharger son film de digressions inutiles, maintenant un cap scénaristique concis qui apporte à son film assez de densité pour coller à la route. Sur ces bonnes bases, le metteur en scène lance alors ses personnages. Et la force de Etre, ce sont eux. Ou plutôt la faculté avec laquelle Sene parvient à nous attacher à leurs histoires, grâce à un sens développé de la fluidité conteuse et à une modestie de chaque instant. Avec ça, Fara Sene a déjà fait 50% du chemin menant à son but. Dès lors, il a tout le loisir de nous embarquer où il veut, le tour est joué, on est à l’écoute, Etre capte l’attention et la cultive grâce à des protagonistes écrits avec tendresse et à travers lesquels, on perçoit tout l’amour que leur témoigne leur auteur.
Philosophant gentiment au détour de quelques pensées et élucubrations existentielles, certes un peu survolées et enfonçant des portes ouvertes, mais souvent douces, justes et candides, Etre parle des vicissitudes et des accidents de la vie, sa beauté et son tragique, parle de déracinement subi et de déracinement souhaité, de mal-être, d’amour, de respect d’autrui et de respect de soi-même, de jeunesse et du temps qui passe, avec les choix que l’on fait et les conséquences que l’on doit assumer. Il parle aussi de la quête pour se trouver soi et le chemin que l’on veut emprunter, il parle de rêves, d’espoir et d’aspirations à une vie meilleure… Etre est parfois un peu facile, parfois un peu naïf, souvent un brin maladroit. Ou peut-être est-ce, tout simplement, qu’il est animé d’une vision éperdument optimiste sur le genre humain, derrière ses allures d’énième drama faussement lourd.
Malgré quelques petites fausses notes, malgré quelques menues gaucheries typiques des premiers galops d’essai et malgré beaucoup de facilités narratives, Etre est un modeste effort louable, sobre et appliqué, en plus d’être respectueux de son public par sa cinégénie élégamment travaillée. Un « petit film » révélant un auteur en devenir, qui ne demande qu’à mûrir et à grandir, et auquel on reconnaîtra déjà une patte, bien qu’elle soit ici très effacée derrière un film aux ambitions contrariées par un manque de moyens évidents et un ancrage à un genre difficile car déjà mainte et mainte fois labouré par le passé, et avec brio par des artistes virtuoses. Devant la caméra, l’ensemble de la distribution s’efforce de mettre de la conviction et du cœur à l’ouvrage pour donner corps et âme à cette chronique éclatée nourrie à l’expérience de la vie, même si clairement, la direction d’acteur est encore un point à travailler pour Fara Sene. Dans un rôle à contre-emploi de sa vocation comique, Bruno Solo, par exemple, peine à trouver crédibilité et justesse pour se révéler comédien dramatique. Forçant le trait dans son jeu pour incarner un personnage difficile, on lui reconnaîtra une bonne volonté et une sincérité évidente mais qui ne suffisent pas.Intéressant et méritant, Etre est une sorte d’assemblage dessinant un modeste portrait humaniste évidé de tout orgueil, chronique sincère ni moralisatrice ni professorale, qui n’invente ou ne réinvente rien, mais qui touche et vise seulement le sens du partage d’expériences. Devant tant de respect et de modestie, on oublie le manque de substance et les raccourcis employés, et on dépose les armes pour se laisser prendre par la douceur de l’effort.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux
Merci pour cette critique que je découvre très tardivement