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WAKE IN FRIGHT de Ted Kotcheff : la critique du film [Sortie vidéo]

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Spectateurs

wake in frightnote 7.5 -10
Nom : Wake in Fright
Père : Ted Kotcheff
Date de naissance : 1971
Majorité : 1er juillet 2015
Type : Sortie Blu-ray/DVD
(Editeur : Wild Side)
Nationalité : Australie
Taille : 1h51 / Poids : NC
Genre : Drame

Livret de famille : Gary Bond (John Grant), Donald Pleasence (Doc Tydon), Chips Rafferty (Jock Crawford), Suylvia Kay (Janette), Jack Thompson (Dick)…

Signes particuliers : La superbe réédition d’un film majeur du cinéma australien signé Ted Rambo Kotcheff, perdu pendant de longues années, retrouvé au prix d’intenses efforts et restauré avec splendeur.

DANS L’ENFER DE L’OUTBACK AUSTRALIEN

LA CRITIQUE

Résumé : John Grant, un jeune instituteur, arrive dans la petite ville minière de Bundanyabba, au fin fond de l’Outback, dans laquelle il doit passer la nuit avant de s’envoler pour Sidney. Mais de bière en bière, de pub en pub, sa nuit va se prolonger jusqu’à l’entraîner dans un terrible voyage à travers une Australie sauvage et primitive…wake_in_fright_4L’INTRO :

S’il est surtout connu pour son cultissime Rambo, le canadien Ted Kotcheff aura connu une carrière intéressante et éclectique, jalonnée de films plus méconnus mais qui gagneraient à l’être davantage. Tourné plus de dix ans avant le célèbre survival avec Stallone, Wake in Fright en fait partie et revient de loin. Présenté au Festival de Cannes en 1971, on a longtemps cru que le film demeurerait à jamais dans l’oubli suite à la perte des négatifs. Restaient alors les vieilles VHS parues aux débuts des années 80. Des raretés précieuses mais que le temps se chargerait progressivement de détruire. Heureusement, c’est en 2002 au terme d’une traque acharnée, que le film refera surface aux Etats-Unis, dans un container d’un entrepôt de Pittsburgh, frappé du sceau « à détruire ». Wake in Fright allait pouvoir enfin connaître une seconde vie. Au terme d’un long processus de restauration, il reviendra d’abord à Cannes en 2009, ressortira ensuite en salles sur quelques copies, et aujourd’hui, le voilà qui arrive en vidéo, notamment dans une édition Blu-ray arborant ladite nouvelle version restaurée qui permettra au plus grand nombre de (re)découvrir ce voyage existentiel au cœur de l’outback australien. De Martin Scorsese à Nick Cave, de nombreuses voix se sont élevées pour défendre un film présenté comme un chef d’œuvre. 44 ans après, Wake in Fright sort de son long sommeil et se drape de ses plus apparats.wake_in_fright_2L’AVIS :

Wake in Fright narre le parcours fiévreux de John Grant, instituteur relégué dans un trou paumé au fin fond de l’Australie. Les vacances estivales sont là, le jeune homme s’empresse de prendre la direction de Sidney pour y rejoindre sa petite-amie. Surtout, pour aller enfin respirer l’air de la civilisation, lui le malheureux de sa condition d’abandonné dans un coin reculé qu’il déteste et méprise. Son voyage s’arrêtera à Bundanyabba, petite ville minière où il est censé attraper un vol pour la capitale. Malheureusement, une nuit suffira à l’enliser dans la chaleur étouffante et la poussière crasseuse de ce patelin qui le confrontera à l’Australie primitive.wake_in_fright_1N’attendez pas de la part de Wake in Fright de vous projeter au cœur d’un thriller sauvagement rugueux et peuplé de redneck typiques, comme le cinéma australien nous en a offert une généreuse poignée de grande qualité ces dernières années. Le film de Ted Kotcheff n’a rien d’une chasse à l’homme haletante ou d’une confrontation sanglante entre un quidam et des bourreaux. La sauvagerie affichée par le film, elle est ailleurs, dans l’ambiance poisseuse, dans le statisme tragique de son héros cédant aux appels de la folie locale qu’il découvre, dans la peinture déliquescente du genre humain que propose un Kotcheff qui explore la facette viscéralement primaire de l’homme au cœur de ces contrées où règne un climat à la fois rustique, ancestral et instinctif. Voyage étouffant teinté d’un onirisme pathétique doublé d’une étrange forme de surréalisme, Wake in Fright est un choc des cultures, qui se transforme en éprouvant combat, celui d’un homme de passage dans un enfer qu’il contemple avec un dégoût hautain avant de se faire absorber par celui-ci. Et au centre de ce funeste engloutissement teinté de déchéance rongeuse et de viol de l’être profond, prédomine la question de l’animalité de l’être humain.wake_in_fright_5Dès les premières minutes, Kotcheff pose son cadre. De vastes étendues arides coupées net à l’horizon par un ciel bleu cisailleur. On sait où l’on est. Dans une nature inconquise. Dans un cinéma pur, tranchant et radical. Le décor parfait pour une virée au cœur des ténèbres, au cœur d’un univers terrible dont le héros veut s’affranchir. Mais sa fuite en avant ne l’amènera que vers pire. Sombre, sale, ragoutant, horrifiant, le cinéaste dresse un portrait perturbant de l’univers qu’il prend à bras le corps par une mise en scène tellurique, enracinée à son tableau noir, enracinée à l’impuissance de son héros qui se débat avant de lâcher prise et de succomber à la fatalité de la folie locale de cette ville. Et Wake in Fright d’être un film à l’orée de la vague d’un cinéma cherchant à mettre en exergue les vils aspects du genre humain sur fond de questionnement sur la civilisation moderne à double-vitesse, cette thématique que Tobe Hooper allait brillamment mettre en scène à son tour, deux ans plus tard, avec Massacre à la Tronçonneuse. Non pas par des ressorts dramatiques forts mais seulement par la peinture sans concession d’un monde dans le monde, où s’opère une lutte des classes qui va vite mettre à sac les positions établies, où s’opère également une réflexion passionnante sur les différences sociales et de modes de vie qui séparent les hommes, alors que tous se considèrent comme « normaux » sans avoir une once d’interrogation sur le regard porté de l’extérieur par un héros halluciné par ce qu’il découvre. C’est un John Grant qui vient à Bundanyabba, c’en est un autre à la fin de son périple dans l’irréelle folie des traditions auxquelles il va être confronté, et qui vont le dévorer physiquement et psychologiquement, au son des verres de bières qui tombent par litres, au son des cruelles parties de chasses où le massacre des kangourous est un jeu pour tuer la monotonie ambiante. Pas forcément facile à appréhender, Wake in Fright est un grand film qui résonne encore bien longtemps après sa découverte. Dérangeant comme pas deux, ce sommet du cinéma australien navigue entre le film social, le drame et le film de genre. Et qu’est-ce qu’il navigue bien ! Sa force est de ne jamais juger l’horreur qu’il montre. Comme le dit Ted Kotcheff citant Tchékhov, « Je ne juge pas les gens, je suis leur témoin, je montre ce que je vois« .Capture d’écran 2015-07-02 à 13.27.43

LE TEST BLU-RAY

A ressortie exceptionnelle, traitement exceptionnel. L’édition proposée par Wild Side est une apothéose à la fois technique et dans son contenu. Le travail de restauration effectué sur les négatifs abîmés et retrouvés, est absolument sensationnel et la galette numérique saura lui rendre hommage par une image en tout point stupéfiante, associée à un DTS Master Audio 5.1 confectionné avec soin dans sa sensibilité furieuse et son équilibre. Deux aspects qui ne font que participer à leur manière à l’immersion incandescente qu’offre le film de Ted Kotcheff.

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Si la chance de pouvoir (re)découvrir ce morceau d’anthologie du cinéma australien vaut déjà de l’or en soi, les suppléments proposés (communs au Blu-ray et au DVD) viendront encore davantage embellir cette ressortie magistrale. A commencer par le récit de la traque d’un film perdu, retrouvé aux prix d’intenses efforts. L’incroyable croisade rocambolesque d’Anthony Buckley fait l’objet d’un module dédié (6 min.) complété par une illustration du travail de restauration opéré, comparant le négatif originel et la nouvelle copie. Cette traque aux nombreux rebondissements, se retrouvera également en détails dans le livret de 40 pages qui accompagne l’édition Blu-ray uniquement. Les suppléments démarrent par une interview de Ted Kotcheff. Durant 22 minutes, le cinéaste revient sur un film important, considéré comme le renouveau du cinéma australien. Sa genèse, ses thématiques, ce qu’il a voulu raconter et illustrer, les comédiens… Le cinéaste se livre à une analyse détaillée et passionnante. Vient ensuite une série de modules regroupés sous la bannière « archives ». Sur le tournage (4 minutes) se résume par son titre et propose quelques images d’archives précieuses s’invitant sur le plateau du film culte, accompagnées d’une interview d’époque du producteur anglais Georges Willoughby sur pourquoi ce film est résolument un film australien. Suit un portrait de l’acteur Chips Rafferty, icône australienne qui interprète un shérif dans le film (monté en partie avec des archives rares, comme des interviews d’époque de la chaîne ABC). Le module Wake in Fright : un tournant dans l’histoire du cinéma australien revient quand à lui sur la place du film dans le cinéma australien, entrecoupé d’interview de critiques, de politiciens et de Ted Kotcheff. Au passage, l’occasion d’en apprendre davantage sur la réalisation de la fameuse séquence terrifiante de la chasse aux kangourous. Le trailer originel et le trailer de la ressortie complètent des suppléments absolument fa-bu-leux.

LA BANDE-ANNONCE :

Par Nicolas Rieux

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