A l’occasion de la sortie au cinéma du film Tale of Tales (le 1er juillet), nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec le réalisateur Matteo Garrone au détour d’une table ronde.
Le film : Il était une fois trois royaumes voisins où dans de merveilleux châteaux régnaient rois et reines, princes et princesses : un roi fornicateur et libertin, un autre captivé par un étrange animal, une reine obsédée par son désir d’enfant… Sorciers et fées, monstres, ogre et vieilles lavandières, saltimbanques et courtisans sont les héros de cette libre interprétation des célèbres contes de Giambattista Basile.
Tout d’abord, comment avez-vous connu le livre Tale of Tales de Giambattista Basile, comment l’avez-vous abordé et comment avez-vous choisi les trois histoires que vous alliez raconter ?
Matteo Garrone : J’ai découvert le livre de Basile il y a quelques années grâce à un ami peintre. C’est un livre vraiment extraordinaire et c’était une chance de pouvoir le porter à l’écran car c’est un livre méconnu à l’étranger et même en Italie. Le choix des trois histoires parmi les 50 du livre a été très difficile mais au final, on a décidé de se concentrer et de raconter trois histoires de femmes qui ont toutes, des âges différents. J’ai ensuite choisi de développer ces trois personnages librement. Par ailleurs, ça faisait longtemps que je voulais travailler sur le genre du conte car jusqu’à présent, j’ai surtout travaillé sur la réalité dans laquelle j’importais des éléments presque fantastiques et là, je voulais faire l’inverse, c’est à dire partir du fantastique pour créer une porte vers la réalité.
Avec ce film, vous revenez un peu aux origines de tout ce qui fait l’Heroic Fantasy aujourd’hui. Est-ce que l’on peut dire que l’intention était de redonner au folklore, sa vraie nature qui a été un peu oubliée ?
Matteo Garrone : Oui, j’ai décidé de faire un film avec une forte composante de spectacle et en même temps, avec une vraie force des images et de l’imaginaire. L’idée, c’était de faire un film qui rentre dans le sillage d’un genre mais avec un regard personnel, de faire un film de genre mais avec des personnages inhabituels. C’est un film qui se mesure à un genre qui est souvent développé aux États-Unis ou en Angleterre, mais qui s’efforce ici de garder une identité propre, italienne en l’occurrence.La couleur rouge est très importante dans le film. Pourriez-vous nous parler de ce choix esthétique ?
Matteo Garrone : La couleur rouge est surtout utilisée dans l’histoire avec Vincent Cassel parce que c’est une histoire qui est marquée par une ambiance très sensuelle et érotique. Pour l’épisode avec Salma Hayek, on est plutôt allés sur du noir car c’est la couleur des cours espagnoles. Et pour la partie avec Tobey Jones, on est plus allés vers des couleurs anglo-saxonnes comme le vert ou le bleu. Peut-être aussi que l’impression d’omniprésence du rouge est due au fait qu’il y a une dimension de film d’horreur et le sang est très présent. Et le rouge, c’est lié à la couleur du sang. Les récits de Basile, qui ont été écrits au début du XVIIème siècle, étaient faits pour divertir un public adulte, pas un public d’enfants. Déjà, il n’y avait même pas cette distinction à l’époque, c’étaient donc des récits qui, on va dire, s’adressaient à un public général qui irait des adolescents aux adultes et c’étaient des récits populaires et médiévaux, donc avec une forte composante de violence.
Vous aimeriez faire un vrai film d’horreur, un film à 100% horrifique, du coup ?
Matteo Garrone : Oui, j’aimerai bien. Dans Tale of Tales, il y a 20% d’horreur et j’aimerai bien faire un jour, un film à 100% horreur. Il y avait déjà des éléments dans certains de mes films précédents comme L’étrange Monsieur Peppino (je déteste ce titre français) ou Primo Amore. Je travaille vraiment avec des images et des atmosphères, je viens de la peinture à la base, et c’est pour ça que pour moi, c’est important de partir de ça pour construire un film. Il y avait un réalisateur fabuleux pour ça dans les années 60/70 et qui faisait du cinéma de genre, c’était Mario Bava. Il était extraordinaire pour sa vision et son travail artisanal. Ce sont deux choses qui me touchent beaucoup et dont je me sens très proche. Le fait de créer des visions, d’être visionnaire et de travailler comme un artisan.
Vos films sont tous très différents les uns des autres. Est-ce que c’est votre conception du cinéma et votre façon de travailler, de faire à chaque fois un film en réaction au précédent ?
Matteo Garrone : J’aime explorer sans cesse de nouveaux genres. Mais on peut trouver des récurrences quand même. Il y avait des éléments de conte dans mes précédents films. Je suis souvent parti de la réalité pour aller vers quelque-chose de l’ordre du conte. Par exemple, dans Gomorra, j’avais utilisé un langage plus proche du documentaire parce que je pensais que ça avait un impact émotif plus fort. Ici, j’ai voulu faire autre chose. Gomorra et Tale of Tales ont des similitudes qui ne sont pas seulement des similitudes de structure. Ce qui les oppose, c’est qu’avec Gomorra, j’avais utilisé un langage très documentaire, très pur, alors que cette fois-ci, j’ai voulu au contraire, montrer tout l’artifice du cinéma. Essayer de créer un monde qui soit à la fois réel et crédible et dans le même temps, qui soit fantastique. Et puis je voulais aussi revenir un peu aux origines du cinéma. Par exemple, toute la scène sous l’eau (dans le segment avec John C. Reilly), ça nous ramène à Méliès, au cinéma muet, à jouer avec cette dimension spectacle propre au cinéma.
Justement, vous avez fait l’inverse d’un Gomorra, c’est à dire importer du réalisme dans le fantastique et non l’inverse. Pour vous, la crédibilité de l’histoire vient de l’œuvre originale ou de votre travail d’adaptation ?
Matteo Garrone : Le texte est toujours une chose morte s’il n’est pas mis en scène. Les textes de Basile sont faits pour être lus à la base, pas pour le cinéma. Tout au long du travail de scénario, j’ai réinventé à partir de ces éléments, j’en ai modifié certains, éliminé d’autres. Puis il y a toute l’alchimie de la mise en scène qui consiste à rendre crédibles et réelles, des images qui sont complètement construites et artificielles.
Comment avez-vous travaillé avec les comédiens pour jouer sur cette dimension à la fois fantastique et réelle ?
Matteo Garrone : Pour eux, c’est un travail naturel. Surtout que le film repose sur des sentiments assez universels et parfois poussés à l’extrême, des désirs qui deviennent des obsessions. Finalement, chaque acteur comprenait assez bien les motivations de son personnage. Ce sont des contes qui reposent sur des archétypes qui sont vrais au niveau humain. Il y a une vérité humaine qui apparaît très vite. Je demande toujours aux acteurs une grande générosité, de faire une sorte de mariage entre la personne et le personnage. Et ici, ça n’a posé aucun problème, au contraire, je dirai même qu’ils m’ont aidé à rendre vrais des personnages qui, jusqu’ici, n’existaient que dans un scénario.Une des grandes richesses du film, c’est la musique d’Alexandre Desplat. Comment en êtes-vous arrivé à faire appel à lui ?
Matteo Garrone : Il y a une grande amitié entre Alexandre et moi. On a l’habitude de se voir et de se rencontrer. On a beaucoup discuté des moments où mettre la musique, on a essayé ensemble de jeter les bases et surtout, on s’est beaucoup vu pour voir si on allait dans la même direction. C’est quelqu’un qui a une grande capacité à se mettre au service du film et des personnages, il ne cherche jamais à se mettre au-dessus du film ou à coucher avant tout son talent de musicien. La musique d’Alexandre Desplat a eu un apport fondamental car elle amplifie les états d’âme et elle suit les personnages un peu comme une danse.
A propos du casting, était-ce le casting de vos rêves dès le départ ou les comédiens sont-ils venus petit à petit ? Et de fait, la dimension très internationale était-elle voulue dès le départ ?
Matteo Garrone : J’étais très heureux de travailler avec une équipe internationale. Le choix des acteurs s’est fait après le scénario. Avec mon directeur de casting, on a choisi les acteurs en fonction de leur aspect physique et bien sûr, de leur talent. Salma Hayek, par exemple, me semblait très crédible en reine espagnole du XVIIème siècle. Et elle a ce mélange de force apparente et de fragilité qui correspondait bien au personnage. Vincent Cassel me plaisait car il a une très grande facilité à passer du comique au dramatique. On peut travailler avec lui un peu comme dans la Commedia dell’arte, sur des jeux d’équivoque, sur des moments comiques, on pouvait aller chercher des choses de l’ordre du divertissement. Et pour le reste de la distribution, ça s’est fait pareil, selon des critères physiques et de talent.
Le principe du conte est souvent d’utiliser le fantastique pour approcher des thématiques contemporaines. Et c’est justement ce que fait Tale of Tales, qui parle d’obsession de la maternité, d’obsession de la jeunesse… Est-ce vous pouvez nous parler de ces sujets que vous avez mis dans le film ?
Matteo Garrone : C’est difficile… Oui, il y a cette reine qui fait une forme de procréation assistée, cette vieille femme qui veut redevenir jeune par tous les moyens. Je ne saurai pas trop quoi dire sur les motivations qui m’ont poussé à choisir ces thèmes là. Tout ce que je peux dire, c’est que c’est le choix de faire un film féminin avec ces trois femmes de trois âges différents, dont les désirs deviennent des obsessions. Après, je ne saurai pas quoi ajouter de plus à vrai dire.
BANDE-ANNONCE DE « TALE OF TALES » (le 1er juillet au cinéma) :
Merci à Matteo Garrone, Le Pacte & Waytoblue