Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Pulgasary
Père : Shin Sang-ok, Chong Gon Jo
Livret de famille : Chang Son Hui, Ham Gi Sop, Jong-uk Ri, Gwon Ri, Gyong-ae Yu…
Date de naissance : 1985
Majorité au : inédit
Nationalité : Corée du Nord
Taille : 1h35
Poids : Budget NC
Signes particuliers (+) : Pulgasari est bien plus intéressant dans le récit de sa conception que pour son contenu. Concrètement, un documentaire ou une fiction sur son histoire serait à coup sûr nettement plus passionnant que le film en lui-même, son rocambolesque développement digne d’un improbable thriller et la façon très maligne dont il détourne son principe d’existence pour le retourner contre ses créateurs, pouvant nourrir incontestablement une incroyable histoire de fiction, un peu à l’image du récent Argo de Ben Affleck.
Signes particuliers (-) : Techniquement et artistiquement, Pulgasari est une catastrophe artisanale risible qui paraît avoir 30 ans de plus que son âge réel. Il n’y a quasiment rien à sauver dans cette production qui prouve bien que le cinéma implique quand même un minimum de savoir-faire et ne s’improvise pas. Kitsch et frôlant l’amateurisme, une oeuvre de propagande louant les valeurs socialo-communistes dans un démarquage ridicule du voisin de Godzilla.
LE GRAND DÉTOURNEMENT ?
Résumé : Alors que le gouverneur local étouffe les populations par son régime autoritaire et décadent,la révolte gronde. Elle va trouver un allié avec Pulgasari, monstre géant né d’une figurine touchée par le mélange riz, terre et sang…
L’INTRO :
Quand l’humoriste Guy Bedos disait « il n’y a pas que des salauds au gouvernement, il y aussi des incompétents », il ne parlait évidemment pas de la Corée du Nord mais il aurait pu. S’il avait vu Pulgasari par exemple, honteux nanar kistch des années 80 avec un gros monstre en caoutchouc qui n’a aucune chance de rendre jaloux son voisin Godzilla, très loin de là. En tout cas, même les « salauds » ont leurs casseroles. Ça ne rendra justice à personne mais c’est toujours ça d’envoyé dans les dents de leur arrogance vaniteuse qui s’en trouve titillée. Et pour l’ex-leader nord coréen Kim Jong-il, sa casserole, c’est Pulgasari, un kaijü-eiga (ou film de monstre) que le despote a lui-même produit en 1985 avec l’espoir de relancer le cinéma national via le remake d’un ancien classique daté de 1962 (malheureusement aujourd’hui totalement perdu). Pulgasari est un monstre de la mythologie nord-coréenne et il sera au centre de cette nouvelle version de 1985 résolument engagée et censée prouver que le nord de la Corée peut lui-aussi rivaliser avec ses voisins, de même que son « monstre » peut largement tenir la dragée haute au lézard japonais dont le succès ne se dément pas depuis des décennies. Il y a de quoi rire mais bon.
La réalité est que Pulgasari est tellement mauvais que finalement, souligner sa médiocrité revient à tirer sans difficulté apposée sur une ambulance immobile et plantée à un mètre. Sauf qu’en revanche, son histoire derrière l’histoire est par contre nettement plus passionnante que son contenu lui-même. En somme, le film fait partie de ces quelques œuvres dans l’histoire du cinéma qui n’ont quasiment aucun intérêt cinématographique formel en soi mais qui par contre se révèlent plus qu’intéressantes à décortiquer sur un plan historique et surtout si l’on se penche sur le récit de leur production improbable dont même Hollywood n’aurait pu en imaginer l’aventure. Et celle de Pulgasari aurait largement de quoi nourrir un haletant biopic passionnant, en gros un film sur le film. Retour express… Dans les années 80, Kim Jong-il est une figure aux côtés de son père, qui dirige d’une main de fer la Corée du Nord. Le récent quadragénaire et futur successeur tout désigné pour reprendre le pays à sa mort, est membre du politburo, du comité militaire et a gravi les échelons du Secrétariat du Parti. Il a occupé divers postes, par exemple au sein des services secrets, et parmi eux, une fonction qu’il aura longtemps assumée, celle de Secrétaire du Parti de la Propagande, qu’il cumulera avec le poste de Ministre de la Culture. C’est à partir de cet héritage et dans la logique du travail qu’il accomplissait dans ces deux positions, qu’en 1985, Kim Jong-il va se mettre en tête de donner une nouvelle impulsion au cinéma nord-coréen moribond voire inexistant. Le futur leader décide de relancer le mythe de Pulgasari alors qu’à l’extérieur du pays, la saga Godzilla enchaîne les opus à succès. Sauf que pour faire un film, il faut des auteurs et un savoir-faire. Et ça, c’est plus compliqué. Pas de souci pour Super-Kim qui a toujours la solution à tout. Une petite virée des services secrets et voilà un réalisateur sud-coréen, Shin San-ok, fraîchement débarqué à Pyongyang. Pas de son plein gré, certes, mais il est là. Réalisateur travaillant depuis la fin des années 50, Shin San-ok avait une carrière plutôt correcte et établie au sud du pays divisé. Tout bonnement enlevé pour être mis de force au travail, le malheureux recevra pour mission de relancer toute une industrie à commencer par en réalisant, avec le soutien d’un metteur en scène adjoint répondant au nom de Chong Gon Jo, ce Pulgasari, sorte de démarcation communiste de Godzilla aux intentions… comment dire… plus orientées. N’oublions pas que Kim Jong-il, crédité producteur, dirige les services de propagande quand même… Pour la petite histoire, le pauvre Shin San-ok refusera de collaborer mais un passage expéditif en prison le fera plier et le résoudra à signer au final 7 films en Corée du Nord et 11 scénarios. Finalement, jouant intelligemment et malicieusement le rôle du cinéaste épanoui, réfutant les thèses d’enlèvement à son égard, et affichant son bonheur de vivre dans son « beau » pays d’accueil, il recevra une autorisation spéciale en 1986 pour se rendre au festival de Vienne. C’est là qu’il sautera sur l’occasion de quémander l’asile politique et d’échapper aux griffes des services secrets nord-coréens qui seraient en prime, responsable de l’assassinat supposé de sa femme !
Voilà pour l’histoire derrière l’histoire, probablement le meilleur (quoique, la suite n’est pas mal non plus…) mais concrètement, Pulgasari ? Très simplement, on pourrait tout résumer en affirmant que techniquement et esthétiquement parlant, Pulgasari a vingt ou trente ans de retard (c’est selon les pays) sur le cinéma en général. Concrètement, l’effort du tandem Shin San-ok et Chong Gon Jo est un désastre. En même temps, difficile de demander à un metteur en scène d’accoucher d’un chef d’œuvre fiévreux et passionnel quand il travaille le couteau sous la gorge, après menaces et emprisonnement pour le faire plier devant son refus initial. En fait, Pulgasari passerait aisément pour un exercice du début des années cinquante, soixante à la limite, là où en réalité il date de 1985 ! Pourtant, si Star Wars et consorts sont passés par là entretemps (bon ok, la Corée du Nord était loin d’être en mesure d’approcher les classiques de Lucas), Pulgasari est techniquement encore plus vintage que le tout premier Godzilla de la Toho daté de 1954 (et dire que pourtant les concepteurs venaient de la Toho et de la franchise nippone !). Un décalage entre sa datation réelle et celle que l’on serait en droit de supposer qui donne alors lieu à des séquences surréalistes comme un immense amateurisme brinquebalant semblant furieusement rétro mais illustré par de la musique de synthétiseur. Étonnant.
Extrêmement mal joué par des comédiens essentiellement amateurs, pas vraiment mis en scène par un cinéaste traumatisé et de toute manière contrôlé, avec une musique « moderne » insupportable et un scénario propagandiste d’une idiotie (en apparence) caricaturale, à la fois naïve et navrante, Pulgasari est ridiculement et risiblement kitsch avec son gentil monstre serviable, indestructible, protecteur et loyal, mignon comme un enfant dans un costume en latex quand il est petit, puis rigolo comme un adulte agitant les bras dans le même costume en latex mais taille XXL quand il devient adulte et un géant terrifiant (de nullité) pour ses ennemis. Sur le papier, Pulgasari essaie ensuite de marier tous les ingrédients d’un grand spectacle de propagande intense, à commencer par le quatuor efficace : romance, action, drame, humour. Des notes d’humour lorgnant du côté du Fils de Godzilla qui, au passage, empire le pathétique d’une œuvre qui n’avait vraiment pas besoin de ça pour être calamiteuse.
Mais l’important de l’entreprise Pulgasari reste bien évidemment le fond sur lequel est bâti tout le projet. Film de propagande ouvertement affirmé même si l’on aurait pu craindre bien pire (le cinéma chinois époque Mao était capable de faire bien plus poussé question étalage des idéaux révolutionnaire, sauf qu’il le faisait dans des films nettement supérieurs en qualité), Pulgasari est l’exaltation d’une certaine Corée du Nord fantasmée par Jong-il qui voit (aveuglément, stupidement et/ou volontairement) dans son peuple, non pas des gens apeurés et affamés, mais une nation aux valeurs de courage, de justice, de sacrifice, de bonheur simple et de résistance face à l’oppression… Traduisant ici une révolte face à un impérialisme décadent (en l’occurrence la révolte face à l’impérialisme japonais mais par extension au système capitaliste extérieur en général), le but évident de cette manœuvre socialo-communiste est de réaliser une allégorie de la force supérieure du peuple et des masses travailleuses face au tyrannique capitalisme cupide, avide et écrasant le prolétariat au dur labeur. Par un classique récit de gouverneur despotique au régime aristocrate asservissant le petit peuple au point de l’étouffer avant que sa révolte ne gronde et ne devienne une vague imparable, aidée dans sa démarche de renversement par la toute-puissance du monstre géant Pulgasari, le film plus ou moins de Kim Jong-il peut-être analysé de bien des manières. On peut notamment y voir la révolte transcendée du peuple nord-coréen se rebellant face aux idéaux du monde extérieur en arguant les valeurs d’entraide communistes pour s’affirmer, guidé dans sa révolte par leur leader Kim… heu non… Pulgasari. Car oui, la aussi, la parabole est claire. Au passage, notons que Pulgasari nait de la souffrance des masses exploitées dans un mélange de riz, de terre et de sang et cristallise leur colère ! Le message comme la comparaison, sont une fois de plus limpides, le leader coréen de l’époque (père de Kim Jong-il) s’étant auto-désigné comme le messie d’une Corée du Nord opprimée avant de trouver la lumière. Mais surtout, de la caractérisation des personnages (essentiellement des agriculteurs modestes et braves) aux clichés d’opposition dessinés, tout participe à faire de Pulgasari une sorte de grand mélodrame épique (le fantastique y demeurant un simple élément de fond) exhortant les valeurs marxistes où les destins personnels sont pliés à l’idéal commun dans un film jouant des émotions sur-appuyées pour faire passer son discours exaltant et valorisant la révolution qui devient le sommet de tout, quitte à y offrir sa vie.
Enfin valorisant… C’est presque là qu’involontairement le film devient le plus drôle et que le génie contrarié du cinéaste se faufile. Dans cette façon qu’il a, ni vu ni connu, de tirer une balle dans le pied de la démarche initiale imposée, pour en flinguer la teneur prévue sans même que ses commanditaires ne s’en rendent compte ! De l’auto-description miroir malicieuse tout en faisant croire que l’on décrit autrui, dans un détournement qui frôle le génie, Très possible voire évident quand on se met à déceler les nuances. Plus clairement… Le régime nord-coréen manquait tellement de recul sur lui-même qu’il lui était alors presque impossible de percevoir que l’édifice ici bâti par Shin San-ok pouvait ironiquement être relu, dans une autre perspective, comme l’opposé de ce qu’il était censé être. Une critique reflet du régime nord-coréen lui-même en lieu et place d’une critique du capitalisme ennemi visé… Cruel, despotique et autoritaire envers les populations, décadent (rappelons les caisses noires de l’État nord-coréen alimentées par les taxations sur le peuple) et opprimant le peuple apeuré à la colère en sommeil, le régime méchant montré par le film était censé être autrui, l’extérieur (le capitalisme, les japonais, les ennemis de la Corée du Nord et du communisme en général) par opposition avec le régime nord-coréen sauveur et protecteur, de même que Pulgasari était censé être une allégorie pro nord-coréenne. Censée seulement. Involontaire interprétation tendancieuse ou au contraire volontaire sabotage d’une commande imposée ? Et si finalement, Shin San-ok n’avait pas réussi le plus beau tour de force de l’histoire du cinéma, critiquant le régime qu’il était censé encensé à son nez et à sa barbe, au détour d’une œuvre commandée par lui mais devenant une arme contre lui ? Pulgasari reste, dans sa globalité, un travail de propagande communiste certes, mais qui présente quelques signes de digressions tendant à montrer qu’en mouton capturé, le cinéaste a essayé avec une roublardise prodigieuse, de se débattre en détournant quelques aspects de l’entreprise pour la retourner contre ses créateurs sans même qu’ils s’en aperçoivent. Fallait oser ! Dans cette logique, on se rend vite compte que Pulgasari est une violente peinture du régime coréen, dressant son portrait ignoble en lui faisant croire qu’il parle de ses ennemis auxquels il ressemble tellement… Très fort.
Pulgasari est incontestablement un très mauvais film de cinéma. Toutefois, sur un plan historique, voilà un film sur lequel on imaginerait bien volontiers un documentaire voire même un film passionnant à la Argo, revenant sur la petite histoire cachée derrière le résultat et sur sa rocambolesque existence et évolution incroyable d’un projet partagé entre les velléités de son postulat de départ et le travail de sape effectué de l’intérieur pour contrecarrer les plans de ses instigateurs. Un vrai pitch de thriller improbable mais vrai et une histoire hallucinante qu’il serait vraiment judicieux de porter à l’écran ! Pulgasari est une curiosité à découvrir mais certainement pas dans une optique de divertissement car clairement, on est loin de la saveur vintage des Godzilla.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux