Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Somos le que hay
Père : Jorge Michel Grau
Date de naissance : 2010
Majorité : 03 septembre 2014 (en vidéo)
Nationalité : Mexique
Taille : 1h30 / Poids : NC
Type : Drame, horreur
Livret de famille : Francisco Barreiro (Alfredo), Alan Chávez (Julian), Paulina Gaitan (Sabina), Carmen Beato (Patricia), Jorge Zárate (Owen), Esteban Soberanes (Octavio)…
Signes particuliers : Pour son premier film, le mexicain Jorge Michel Grau ne manque par d’ambitions, livrant un film qui s’efforce, même si c’est souvent maladroitement, de dépasser son seul statut de drame dérangeant, pour brasser plusieurs thématiques intéressantes.
NE LES JUGEZ PAS
LA CRITIQUE
Résumé : Après le décès de leur père, trois adolescents doivent soudainement faire face aux dures réalités de la vie. Ils doivent apprendre à subvenir à leur besoin et à ceux de leur mère… Mais les membres de cette famille ne sont pas tout à fait ordinaires : un mal bien pernicieux les ronge. La faim… de chair humaine. L’INTRO :
Après une petite pelletée de courts-métrages entre 2003 et 2008 qui lui auront permis de se faire, et la main et un nom, le cinéaste mexicain Jorge Michel Grau (à ne pas confondre avec l’espagnol Jorge Grau, auteur du culte Le Massacre des Morts-Vivants) saute le pas du long-métrage et signe son premier film avec Ne Nous Jugez Pas. Une œuvre choc quelque part entre le drame et le cinéma de genre, qui le conduira d’emblée du côté de la Croisette où le film sera sélectionné dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs, avant une présentation à Gérardmer l’année suivante. Ne Nous Jugez Pas aura son petit succès, au point qu’avant même d’avoir eu le temps de faire le tour du monde, il se verra « remaké » par l’excellent Jim Mickle (Stake Land), qui en tirera son premier grand chef d’œuvre, le fabuleux We Are What We Are. Bonne nouvelle en cette rentrée de septembre, Wild Side édite justement les deux films jusqu’ici inédit en vidéo.
L’AVIS :
La découverte aujourd’hui de Ne Nous Jugez Pas est forcément faussée par le passage du bijou de Jim Mickle, dans l’ombre duquel il vient injustement s’inscrire alors qu’il lui est antérieur. Sur le papier, le cinéaste américain semble avoir su transcender le film de son homologue mexicain, au point d’en gêner les tentatives de l’appréhender pour ses qualités propres, vierge de toutes références et comparaison. Mais en essayant de se détacher du poids de la claque de Mickle (qui s’est retrouvée lui-aussi à Cannes avec sa relecture), on s’aperçoit rapidement que Ne Nous Jugez Pas est une œuvre ô combien intéressante en cela qu’elle ne prenait pas exactement les mêmes chemins que son successeur. On en viendrait donc à parler de deux œuvres complémentaires, plutôt que « rivales », deux visions d’un même sujet où chacune explore (ou essaie d’explorer) des voies différentes.
Film troublant, captant une atmosphère tour à tour fascinante, fiévreuse et dérangeante sur le cannibalisme et la dévotion à un rite mystérieux issu d’une tradition incomprise mais appliquée sans discussion, Ne Nous Jugez Pas est une peinture tragique et acerbe d’une famille iconoclaste et empathique. Ce qui frappe d’emblée dans la narration et la mise en scène de Jorge Michel Grau, c’est avant toute chose le respect du cinéaste pour son titre dont il se fait une profession de foi. Comme ce dernier le demande aux spectateurs, le metteur en scène s’applique lui-aussi à ne jamais juger ses personnages, présentés de façon neutre et sans intentions critiques envers leurs actes. Ils ont été élevés comme ça, ne connaissent que ça, et perpétuent un dogme qui ne peut être remis en question. Au point d’en être finalement touchants dans leur folie meurtrière malade. Mais aussi glaçant et fataliste soit-il, là où Ne Nous Jugez Pas essaie de prendre de la hauteur, c’est quand Grau essaie d’imbriquer son drame dans un contexte social contemplant avec horreur, la société mexicaine actuelle et sa déliquescence poussant les défavorisés aux pires actes pour survivre. Une double-lecture sous-jacente qui fait à la fois son intérêt et sa faiblesse. On s’explique…
Si Ne Nous Jugez Pas souffre de la comparaison avec son homologue américain, c’est sans doute parce que Jim Mickle avec sa relecture, aura mieux réussi à étreindre les thématiques qu’il aura choisi d’aborder en recentrant et canalisant l’histoire et le matériau originel de Grau. Le réalisateur mexicain semble avoir voulu brasser trop de choses dans un seul et même film au point de finalement ne faire que caresser ses intentions là l’américain affiche une maîtrise implacable dans les points précis qu’il aura choisi de mettre en valeur. Avec We Are What We Are, Jim Mickle aura écarté les considérations sociétales de son voisin, de même que certains points plus discrets comme le sous-texte incestueux qui règne dans les relations frères-sœurs du film originel (un ressenti sous-jacent étrangement murmuré qui nous emmène à considérer aussi l’histoire avec ce prisme là), pour privilégier un discours impressionnant de maîtrise sur l’obscurantisme religieux. Jorge Michel Grau, lui, flirte avec cette thématique initiale, essaie de s’enrouler dans le drame familial dérangeant tout en appelant lointainement le film policier à enquête en suivant en arrière-plan, la trajectoire de deux policiers branques, et dédouble surtout l’ensemble de son film avec un portrait de société qui semble être au final sa réelle préoccupation narrative. Mais à l’arrivée, l’auteur mexicain se révèle maladroit dans sa volonté de dépasser le seul côté « brûlot » de son histoire, par son incapacité à développer avec force et maîtrise toutes ses idées de fond, ce qui pour effet d’entraver sa route pour amener son drame horrifique vers quelque-chose de plus magistral et nourricier, ou plutôt d’entraver ses velléités pour l’aider à se porter vers ce qu’il semble réellement viser. A l’image de ce discours social présent mais susurré au lieu de se voir accorder la place qu’il aurait mérité, Grau tente de caresser des directions à la base de son récit, mais pèche à seulement les esquisser au lieu de les embrasser pleinement. Et c’est là qu’entre en scène Jim Mickle et sa lucidité à faire le tri pour au final livrer une vision plus concise et cohérente, surtout plus dirigée et recentrée, ne souffrant pas de cet éparpillement narratif assujetti à un excès d’ambition gênant l’homogénéité de l’œuvre tout entière. Certes, Mickle ne prend pas à la base la même direction que son confrère, mais ses choix auront le mérite d’être plus restreints pour mieux être approfondis avec une grâce scénaristique que peine à trouver Jorge M. Grau.
Mais même s’il paraît plus bricolé (dans la mise en scène comme dans l’écriture), reste que Ne Nous Jugez Pas ne démérite pas en ce sens que cette œuvre iconoclaste nous permet d’entrevoir sous un jour différent cette histoire à la noirceur terrifiante. Bien que Jorge Grau se révèle moins à l’aise dans le développement de son scénario, moins inspiré dans l’approfondissement de ses thématiques, même s’il semble souvent manquer d’assise pour magnifier son drame cruel et exploiter la richesse de son fond qu’il ne fait que murmurer sans jamais parvenir à le transcender, Ne Nous Jugez Pas n’en reste pas moins intéressant pour ces directions entraperçues et qui ont été gommées par le réalisateur américain par souci de concision. Ne Nous Jugez Pas est plus bancal que We Are What We Are mais il propose, au-delà de ses faiblesses, une direction abandonnée par Mickle ensuite, et qui ne manque pas d’intérêt, justifiant à elle-seule, de devoir se pencher sur les deux œuvres conjointement au lieu d’ne privilégier une à défaut de l’autre. On ne manquera pas au passage, de souligner l’excellence de sa jeune distribution, notamment la troublante Paulina Gaitan et le bouleversant Francisco Barreiro.
Bande-annonce :