C’est une mésaventure d’une banalité confondante qui est arrivée à Guillermo del Toro. Comme quoi, les petites boulettes idiotes, ça arrive même aux meilleurs. Direction l’année 2005…
Le réalisateur mexicain sort de deux expériences américaines qui ont été des réussites appréciées des fans, d’abord l’excellent Blade II puis son adaptation de Hellboy. Alors qu’il est très sollicité et qu’il se pose pas mal de questions sur son « ‘film d’après », Guillermo del Toro travaille d’arrache-pied sur plein de trucs en vrac. Et comme d’habitude chez lui, tout est assez fouillis, les idées fusent, il y a plein d’envies, bref ça part dans tous les sens. Heureusement qu’il a son outil magique pour l’aider, un précieux carnet de notes dans lequel il consigne tout. Des bouts de scénario, des idées de films, des croquis, des storyboard. Toute sa vie artistique est là-dedans, contenue dans quelques centaines de pages. On y trouve par exemple tout son boulot sur L’Échine du Diable et Blade II par exemple.
A cette période, Guillermo del Toro planchait prioritairement sur deux choses. D’un côté, Le Labyrinthe de Pan, un film fantastique qu’il avait très très envie de faire. De l’autre, un gros blockbuster de super-héros pour Marvel (peut-être Doctor Strange dont une version par del Toro était en préparation avant même le véritable lancement du MCU en 2008). Le souci avec del Toro, c’est qu’il a tendance à bosser un peu partout et tout le temps. Une pause, un trajet à occuper, une idée qui jaillit comme ça et hop, il s’arrête et scribouille dans son carnet. Et là, ce qui devait arriver arriva. Un jour qu’il était dans un taxi à Londres, del Toro plonge le nez dans son fameux carnet pour noter des trucs le temps du trajet. Arrivé en destination, merci au chauffeur, au revoir. Sauf que tête en l’air qu’il est, le mexicain oublie son carnet à l’arrière du taxi ! Évidemment, outre les notes de ses précédents films, il contenait toutes ses idées et dessins de créatures pour son espéré futur film, Le Labyrinthe de Pan, ainsi que toutes celles pour une éventuelle suite à Hellboy et pour le Marvel sur lequel il travaillait. Catastrophe.
Heureusement, Guillermo del Toro n’est pas du genre à se laisser miner par des détails de la vie. Le tempérament hyper-cool qu’on lui connaît (on vous le garantit à 200%) l’amène à toujours essayer d’être philosophe et voir le positif dans le négatif, à toujours essayer de tirer une leçon de chaque chose. Ce soir là, le réalisateur s’est dit que tout arrive toujours pour une raison. Quel pouvait être le sens de cette perte d’un carnet aussi important et qui contenait tout son avenir ? Très simplement, que s’il était aussi distrait, c’est que quelque chose ne tournait pas rond. Del Toro en est arrivé à la conclusion que le souci, c’était ce film Marvel. Il avait très à cœur de faire son Labyrinthe de Pan mais sa tête était prise par ce projet marvellien dont au fond, il n’avait pas tant envie que ça. Selon lui, voilà l’explication et la raison de son extrême distraction. Il se serait perdu, lui et ses plus profondes envies, en faisant ce gros blockbuster en lieu et place de ce qu’il désirait vraiment. Bilan, del Toro a abandonné sa collaboration avec le studio d’Iron Man pour son concentrer à fond sur Le Labyrinthe de Pan. Ok, mais comment faire maintenant, sans plus aucune notes ni croquis ? Allez savoir si c’est une simple coïncidence ou le fruit du karma, mais au moment où sa décision fut prise, del Toro dit avoir songé très fort à son carnet en se disant « c’est bon, j’ai réglé mon dilemme intérieur, je peux ravoir mon carnet maintenant ?« . Et le téléphone a sonné…
Bon conteur qu’il est, del Toro arrange sûrement un peu la dramaturgie de son histoire pour créer du suspens mais toujours est-il que le chauffeur de taxi avait retrouvé son carnet et venait le lui rapporter ! Un très généreux pourboire plus tard, le metteur en scène avait récupéré son « précieux » et il a pu se lancer à corps perdu dans son futur film oscarisé. En 2006, Le Labyrinthe de Pan fut un beau succès public et critique, sélectionné en Compétition Officielle à Cannes (avec une standing ovation de 22 minutes) et auréolé de sept Goyas et trois Oscars. Le destin a (encore une fois) bien fait les choses.