Nom : Peter von Kant
Père : François Ozon
Date de naissance : 2021
Majorité : 06 juillet 2022
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h25 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de Famille : Denis Ménochet, Isabelle Adjani, Khalil Ben Gharbia, Stefan Crépon…
Signes particuliers : Ozon revisite (encore) Fassbinder.
Synopsis : Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de l’aider à se lancer dans le cinéma…
LES LARMES AMERES DE FRANCOIS OZON
NOTRE AVIS SUR PETER VAN KANT
22 ans après, François Ozon retrouve l’œuvre de Rainer Werner Fassbinder. En 2000, le cinéaste signait Gouttes d’eau sur pierre brûlante, adaptation de la pièce du dramaturge allemand. Deux décennies plus tard, Ozon se replonge dans le travail de l’un de ses maîtres pour recréer Les Larmes Amères de Petra von Kant. La pièce de Fassbinder avait donné lieu à un film qu’il avait lui-même mis en scène. Aujourd’hui, Ozon en signe une « libre » réadaptation. Libre car inversée. Petra von Kant peignait le portrait d’une styliste de mode à la fois excessive et hyper-sensible qui vivait avec Marlene, son assistante (ou plutôt sa « chose ») qu’elle se plaisait à humilier. Jusqu’à l’arrivée dans sa vie de Karin, une belle jeune femme inspirante dont elle allait tomber amoureuse à la folie. Chez Ozon, la mode cède sa place au cinéma. Et l’univers féminin devient un univers masculin. Petra devient Peter, Marlene devient Karl et Karin devient Amir. Tourné pendant le confinement avec une équipe aussi réduite que les lieux (enfin « le » lieu) de tournage, Peter von Kant avait l’ouverture de la dernière Berlinale.
On a toujours admiré la régularité du travail de François Ozon. Régularité en termes de productivité mais régularité aussi en termes de qualité. Même si certains efforts sont un peu en-dessous (comme son dernier
Tout s’est bien passé), Ozon parvient toujours à faire oublier ses entreprises les plus « faibles » par des coups d’éclats. Comme
Grâce à Dieu ou
Eté 85 récemment. Comme ce
Petra von Kant qui paraît aussi vain qu’il n’est formidable. Ironique n’est-ce pas ? Vain, car l’on se demande parfois si le chef-d’œuvre de Fassbinder avait besoin de cette revisite, et surtout si elle lui apporte quelque chose de vraiment pertinent. Formidable, car en dépit de cet argument, François Ozon livre un drame (ou une farce dramatique selon comment on l’aborde) d’une grande intensité, qui se payerait même le crime de lèse-majesté d’en gommer certains petits défauts. Oui,
Les Larmes Amères de Petra von Kant était un film brillant marqué par l’immense talent d’écriture de Fassbinder. Mais la pièce, comme son adaptation cinématographique par le metteur en scène allemand, était parfois un peu trop chargée en littérature, elle manquait par moments d’une transposition vraiment cinématographique.
Ozon ne change quasiment rien de l’œuvre de Fassbinder mis à part l’univers artistique (mode vs cinéma), cette inversion féminin/masculin et quelques allègements dans les dialogues pour donner davantage de puissance au texte et au drame. Et ça marche. On finit par oublier que l’on connaît bien cette histoire, qu’on l’a déjà vue, qu’elle n’est qu’une copie modifiée. On s’abandonne totalement à la nouvelle proposition d’Ozon en se faisant à nouveau le spectateur privilégié d’un dépouillement intime. Car Peter von Kant est une mise à nu, « pathétique, sincère et bouleversante » comme le dit Ozon. Une mise à nue car à l’époque, Fassbinder se projetait clairement dans son personnage. Mise à nue car avec son travail de transposition, Ozon souhaitait faire de même en rapprochant la pièce originale de ce qu’il est lui pour y projeter à son tour une part de sa personnalité. Mise à nu enfin car c’est l’essence de cette histoire, un regard cru et sans travestissement sur un homme/artiste à la fois fou, démesuré, sensible, excessif, génial, cruel, amoureux, vulgaire, passionné, hystérique, triste, vivant.
Respectant le côté théâtralisé de l’œuvre (on est dans un huis-clos ne quittant quasiment jamais un appartement aux 3-4 décors), François Ozon signe une pièce chargée en cinéma. « Pièce » car oui c’est bavard, c’est étriqué, on est comme sur une scène où tout se joue. Mais curieusement, ce n’est jamais statique (moins que chez Fassbinder d’ailleurs). Et le bavardage est effacé par la férocité de l’écriture du génie allemand retouchée par Ozon. Les dialogues sont inspirés, incisifs, frontaux et cristallisent l’essence de ce portrait psychologique étudiant un homme à la fois génie extravagant, pygmalion sans mesure, tyran détestable, amoureux transit, misanthrope grotesque. Un homme à l’image de la pièce, pathétique, sincère et bouleversant. A travers lui, un portrait de Fassbinder. Et à travers lui, peut-être un portrait d’Ozon, qui partage à nouveau les obsessions qui avaient fait le sel de la vision « fassbinderienne ». Les angoisses de l’artiste, le processus de création, une certaine vision de la vie et de l’amour, l’homosexualité, la sensualité.
Bien entendu, impossible d’évoquer un tel film sans parler de ses comédiens tant toute l’entreprise repose sur leur travail pour formuler l’écrit. Star du film, Denis Ménochet est un Peter von Kant sidérant, imposant, total. Il ne triche pas, donne tout sans penser à l’excès. Une partition très difficile car il fallait jouer l’excès en crédibilisant cet excès. Le danger du surjeu guettait, Ménochet confirme qu’il est l’un des plus grands comédiens français du moment en bouffant l’écran avec l’appétit que lui a transmis Ozon. Mais à côté de lui, les projecteurs ne doivent surtout pas occulter Stefan Crépon, le Karl (ex-Marlene) du film. Il est là tout le temps, il fait tout, il voit tout, il subit tout… mais ne dit jamais rien. Une présence constante et muette, tel était le pari pour le jeune acteur qui, au final, sans dire un mot, livre une prestation incroyable de présence fascinante. Le prochain César du Meilleur Espoir est déjà tout trouvé. Et on notera pour le clin d’œil, la présence référentielle d’Hannah Schygulla, la Karin muette du film de Fassbinder à laquelle Ozon offre un petit rôle après l’avoir déjà dirigé dans Tout s’est bien passé. Une présence comme un hommage aux sources.
Cineuropa
Par Nicolas Rieux