Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : American Sniper
Père(s) : Clint Eastwood
Date de naissance : 2014
Majorité : 18 Février 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h07 / Poids : 58 M$
Genre : Drame, Guerre
Livret de famille : Bradley Cooper (Chris Kyle), Sienna Miller (Taya), Luke Grimes (Marc), Jake McDorman (Biggles), Kevin Lacz (Dauber), Cory Hardrict (Sheikh al-Obeidi)…
Signes particuliers : A 84 ans, Clint Eastwood signe probablement son meilleur film depuis Million Dollar Baby. Une oeuvre polémique mais absolument brillante et intense.
SUR LA ROUTE DE BAGDAD
LA CRITIQUE
Résumé : Tireur d’élite des Navy SEAL, Chris Kyle est envoyé en Irak dans un seul but : protéger ses camarades. Sa précision chirurgicale sauve d’innombrables vies humaines sur le champ de bataille et, tandis que les récits de ses exploits se multiplient, il décroche le surnom de « La Légende ». Cependant, sa réputation se propage au-delà des lignes ennemies, si bien que sa tête est mise à prix et qu’il devient une cible privilégiée des insurgés. Malgré le danger, et l’angoisse dans laquelle vit sa famille, Chris participe à quatre batailles décisives parmi les plus terribles de la guerre en Irak, s’imposant ainsi comme l’incarnation vivante de la devise des SEAL : « Pas de quartier ! » Mais en rentrant au pays, Chris prend conscience qu’il ne parvient pas à retrouver une vie normale.L’INTRO :
L’histoire de Chris Kyle intéresse Hollywood depuis fort longtemps déjà. Parce que son parcours personnel et militaire est intense et emblématique. Parce qu’il est une légende nationale. Parce que ses mémoires ont été un best-seller. Parce que sa disparition a ému le pays tout entier. Mais surtout, parce que son histoire cristallise tout ce qui peut faire vibrer le public américain, en plus de refléter un visage des Etats-Unis d’aujourd’hui, celui d’une Nation traumatisée par les attentats de World Trade Center et qui s’est s’unifiée dans l’épreuve, trouvant dans les récits personnels de patriotes aux actions remarquées, de quoi se forger des héros nationaux fédérateurs. Chris Kyle, c’était un cowboy texan gentiment bouseux. Patriote révolté par les attentats du 11 septembre, il s’engagea dans l’armée à trente ans, rejoignant les SEAL pour aider son pays, avant de partir en Irak malgré son mariage récent. Sa précision au tir et ses quatre déploiements, en feront le sniper le plus redouté et le plus efficace de l’histoire de l’armée américaine, qui lui attribue plus de 160 tirs létaux officiels, même si le chiffre réel dépasserait les 250. Mari et père aimant, frère d’arme loyal et fidèle, sous-officier multi-médaillé surnommé « La légende » par ses collègues, Chris Kyle fut assassiné en 2013, ironiquement sur le sol américain, alors que le « film de sa vie » était en préparation. Projet à la base dans le giron de David O. Russell avant qu’il n’échoue entre les mains de Steven Spielberg puis de Clint Eastwood suite au désistement de ce dernier pour désaccord autour du budget alloué, American Sniper devait être à l’origine produit par Bradley Cooper et interprété par Chris Pratt (bien plus ressemblant). Mais fasciné par ce personnage complexe et passionnant, l’acteur décidera au final de s’approprier le rôle, entamant un exigeant travail de préparation, physique et documentaire, pour non pas se fondre dans le rôle, mais pour être le rôle. Et pour être au mieux sous l’œil de la caméra d’un cinéaste qu’il vénère depuis des lustres. Récupérant le bébé après Jersey Boys et se contentant amplement de son budget limité à 58 M$, Clint Eastwood emballera American Sniper en un temps record. Bilan ? Un 35ème film qui aura dévasté le box office pendant plusieurs semaines (plus de 300 M$). A 84 ans, Dirty Harry signe le plus gros succès de toute sa carrière.L’AVIS :
A sujet polémique, film polémique. Et le nouveau long-métrage du vétéran Eastwood est un cas d’école. Peut-être pas aux Etats-Unis, où dès que l’on touche aux gloires nationales, la fibre nationaliste se réveille comme un seul homme, mais en dehors de ses frontières, autant dire que son sujet sensible en fait déjà grincer des dents plus d’un, alors que les regards sont parasités par les sensibilités politiques de ceux qui les apposent sur une œuvre qui aura bien du mal à s’en défaire justement, de son foulard politique à peine déguisé, même s’il ne constitue pas du cœur du film, loin de là. Mais parce qu’American Sniper intervient dans le contexte d’une actualité bouillante, forcément, sa réception double sa charge polémique, non seulement pour ce qu’il raconte, mais également par qui le raconte. Car pour le coup, il apparaît comme impossible de dissocier, dans la façon de d’appréhender ce biopic, l’histoire en présence et le fait que son auteur est un patriote républicain convaincu, aux penchants réac qui ne sont plus à démontrer. Forcément, en adaptant à l’écran l’histoire de Chris Kyle, la vision de l’Amérique par Eastwood s’entrechoque avec la lucidité des regards extérieurs. En érigeant en héros déifié, un homme reconnu pour son parcours meurtrier au combat, Clint Eastwood s’expose aux critiques les plus teigneuses. Pas tant parce qu’American Sniper est un film ouvertement patriotique doublé d’une déclaration d’amour envers les Etats-Unis, ses valeurs, sa grandeur, son peuple, ses héros et son courage devant l’adversité, mais parce qu’il avance avec des œillères pour voir seulement ce qui l’arrange, écartant du bras tout un contexte et les questions géopolitiques les plus complexes, pour se focaliser sur une trajectoire humaine précise, celle d’un homme extraordinaire certes, mais maillon d’une mécanique que Clint Eastwood résume de manière sommaire. American Sniper se retrouve au carrefour de considérations et idéaux politiques, qu’il va probablement embrasés dans des débats passionnés, allumés comme autant de mèches menant à des avis inflammables. Une chose est sûre, Clint Eastwood a 84 ans, et toutes ses dents. En pleine forme et l’air de rien, il signe probablement son meilleur film depuis Million Dollar Baby. Problème, la friction de certaines intentions d’avec le contexte délicat les encadrant, pourra provoquer crissements et étincelles. Et American Sniper d’être une œuvre aussi indéniablement brillante et riche, qu’elle ne pourra être gênante voire nauséabonde selon le prisme par lequel on l’aborde.Clint Eastwood nous refait le coup de Gran Torino en 2008, à savoir de signer un très grand film qui pourrait bien s’imposer comme l’un des tout meilleurs de l’année, malgré les ressentiments que l’on pourra éprouver envers son discours et la façon d’approcher son sujet. Si le cinéaste arrive à nous faire passer outre ces considérations qui auraient pourtant refroidi sur place bien d’autres films moins chanceux, c’est parce qu’une fois n’est pas coutume, il parvient à détourner notre regard pour le diriger sur le cœur même d’une œuvre dans laquelle il nous immerge en nous faisant accepter sa logique, sa vision et les thématiques qu’il déploie dans un vaste réseau de vérités concordantes. Ce qui intéresse au fond Clint Eastwood, ce n’est pas de disserter sur qui a raison ou qui a tord. Ce n’est pas d’entrer dans le débat géopolitique, d’expliquer, d’analyser, de commenter, d’excuser ou de critiquer. Ce qui l’intéresse, c’est comme souvent dans son cinéma, le parcours d’un individu, trajectoire narrative qui se fait dominatrice au-dessus de toute considération autre. American Sniper, c’est le portrait terriblement authentique d’un looser qui errait égoïstement sans but avant que les attentats de 2001 ne viennent déclencher une prise de conscience révélatrice. Se sentant agressé dans sa chair d’américain lambda et soudainement rattaché dans l’épreuve à tout un pays unifié dans la douleur, Kyle s’est converti non pas en fou furieux raciste et obscurantiste, mais en défenseur convaincu des valeurs chères à sa patrie. Sa croisade irakienne ne sera finalement pas motivée par de puants idéaux bas du front, mais par un vrai souci d’apporter sa pierre à une cause qu’il voit juste. Et qui lui reprochera son engagement pour « protéger les siens », son engagement pour exorciser un traumatisme, son engagement qui symbolise la prise de parole consciente d’une nation toute entière.Sur ces solides fondations d’écriture et cette concentration narrative exigeante appelant l’intimiste dans la généralité, Clint Eastwood accouche d’une œuvre impressionnante de densité, qu’elle soit visuelle ou émotionnelle, psychologique ou thématique. Déflagration puissante, magnifiée par un Bradley Cooper sensationnel dans ce qui est probablement à ce jour, son meilleur rôle, American Sniper synthétise tout ce que l’on a pu voir de bien dans le cinéma sur les guerres modernes ces dernières années, de Démineurs à Du Sang et des Larmes en passant par Zero Dark Thirty. Tension, choix cornéliens, poids des fantômes du terrain, douleur, horreur, immersion, deuil, sentiment de vengeance, peurs, syndrome post-traumatique, impact de la guerre sur les familles, folie obsessionnelle… American Sniper est une histoire de la guerre, et dans le même temps un portrait humain sans concession en ce qu’il se focalise sans dévier, sur son sujet, occultant ce qui n’appartient pas à son propos pour mieux saisir à vif la douleur d’un homme au sein de ce maelström horrifiant. Au risque qu’on le lui reproche mais qu’importe. Eastwood s’est fixé une ligne directrice, il s’y tient, et le résultat est brillant tant qu’on l’aborde par le bon angle, celui de ce qu’il a voulu raconter.Ce qui impressionne surtout, c’est la capacité du metteur en scène à explorer avec cohérence et condensation fiévreuse, toutes les facettes de son personnage complexe et riche en symbolisme sur l’Amérique d’aujourd’hui. L’Amérique traumatisée, l’Amérique apeurée, l’Amérique aveuglée, l’Amérique fédérée. Clint Eastwood a toujours été un brillant conteur de trajectoires humaines, il le prouve avec ce récit centré sur un individu ordinaire devenant extraordinaire, d’un point de vue purement narratif, mais pas que. Puis vient la dimension formelle. Fidèle à son habitude, le cinéaste sait raconter, sait émouvoir, sait faire vibrer, mais visiblement, il sait aussi en mettre plein la vue. L’immersion dans la tension et la dangerosité du front est non seulement extraordinairement réaliste, mais par ailleurs totalement haletante. Avec une virtuosité de chaque instant, Eastwood brosse plusieurs batailles, plus accrochages, illustre la traque obsessionnelle que se livre deux ennemis, s’immisce dans les conséquences psychologiques de la guerre sur son individu-cible, produisant une œuvre testamentaire à la teneur vertigineuse. American Sniper n’est pas traversé de fulgurances, il est une fulgurance à lui-seul. Et avec passion et rage dans la mise en image, les prouesses visuelles à la grandeur hallucinante (quelle scène dans la tempête de sable) répondent aux séquences dramatiques plus intimistes, servant avec acuité et intelligence son portrait dévastateur. Saisissant et incroyablement bien bâti, American Sniper est un biopic passionnant, dément, fascinant, souvent fabuleux, duquel il est impossible de décrocher ne serait-ce qu’une seule seconde. 2h12 ? Ah bon ?On aura beau s’acharner à reprocher à Clint Eastwood une vision monochrome de son sujet, c’est se tromper de débat et de bataille. Le cinéaste n’ambitionne pas de parler de la guerre en elle-même, il parle d’un soldat dans la guerre, et se met dans sa tête, avec sa logique, sa motivation, son discours, ses choix, respectant son histoire. Pour une fois, la vision eastwoodienne et son exagération patriote, colle bien à ce que le cinéaste a voulu entreprendre à savoir non pas commenter un conflit mais narrer comment un soldat l’a vécu personnellement, de l’intérieur. Et même s’il se range du côté de la glorification, même s’il ne fait pas le procès de la guerre comme certains le souhaiteraient, même si le film est très appuyé, même s’il ne juge pas son personnage (concrètement, tout le fond du débat est là) on ne va pas le lui reprocher car chacun de ses choix est défendable et Eastwood s’en tient à un sujet, son sujet, sans réel propos autre qu’un portrait abordé avec intelligence et discernement. Et cela n’empêchera personne d’avoir sa propre opinion sur des questions plus générales qui dépassent le cadre du film lui-même. Après plusieurs films en demi-teintes (L’Echange, le diptyque Mémoires de nos Pères/Lettres d’Iwo Jima, J. Edgar), échecs (Invictus, Au-delà) ou œuvres sympathiques mais mineures (Jersey Boys), Clint Eastwood est de retour au sommet, avec un film monumental, à la fois épique, iconique, tragique et bouleversant, parlant avec justesse des affects humains provoqués par une situation hors norme.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux