Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : 50 Shades of Grey
Mère : Sam Taylor-Johnson
Date de naissance : 2014
Majorité : 12 Février 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h05 / Poids : 40 M$
Genre : Romance érotique
Livret de famille : Jamie Dornan (Christian Grey), Dakota Johnson (Anastasia Steele), Jennifer Ehle (Carla), Eloise Mumford (Kate), Victor Rasuk (José), Luke Grimes (Elliot), Marcia Gay Harden (Grace Grey)…
Signes particuliers : Vous êtes fans des bouquins ? Courez en salles, vous ne serez pas déçus ! Vous ne l’êtes pas ? Passez votre chemin, ça vaudra mieux.
Mr. GREY VOUS SOUHAITE UNE BONNE SAINT-VALENTIN !
LA CRITIQUE
Résumé : L’histoire d’une romance passionnelle, et sexuelle, entre un jeune homme riche amateur de femmes, et une étudiante vierge de 22 ans.L’INTRO :
Avec plus de 100 millions d’exemplaires vendus à travers le monde, les romans Cinquante Nuances de Grey de l’auteure américaine E.L. James, ont dépassé le stade du simple succès de librairie pour entrer dans le cercle très fermé des véritables phénomènes de société. Qui ne se souvient pas de cette époque encore très récente, où l’on ne parlait que de ça, dans les journaux, dans les magazines, à la télé, au bureau, dans les rayonnages des magasins spécialisés, entre amis, voire à la maison ? Il n’en fallait pas moins pour qu’Hollywood jette son dévolu sur ce carton du moment, aux possibilités lucratives excessivement juteuses, d’autant qu’il s’agit d’une trilogie littéraire, ce dont il raffole puisque le tiroir-caisse va s’ouvrir à plusieurs reprises… Droits en poche, l’arlésienne d’un projet monté à la fois dans l’urgence et dans la douleur, a pu commencer. Passé le choix d’une metteur en scène pour diriger l’affaire (Sam Taylor-Johnson, réalisatrice de Nowhere Boy, qui pouvait amener son regard et sa sensibilité féminine sur le sujet), le plus compliqué restait à venir avec la phase du casting de comédiens devant assumer la lourde tâche de personnifier à l’écran les fantasmes de millions de lectrices (et lecteurs, pas de jaloux) à travers la relation entre la fragile godiche Anastasia Steele et le beau mâle charismatico-milliardaire Christian Grey. Tout ça avec le poids du regard et la pression des fans braqués sur le moindre mouvement de la production. Au terme de recherches endiablées, de pistes mises en échec, d’hésitations et de désistements, les deux visages choisis seront finalement Jamie Dornan (la série The Fall) et Dakota Johnson (The Social Network, Cinq ans de Réflexion, Need for Speed). S’en est suivi un tournage houleux, des reshoot pour cause de « manque d’alchimie entre les deux comédiens », des questionnements existentiels sur le degré d’érotisme à injecter entre les attentes des fans et le pouvoir de la censure américaine, une campagne promo désastreuse marquée par l’évidente absence de complicité entre un duo qui se déteste… Bref, Cinquante Nuances de Grey est là. Dans quel état, cela restait encore à découvrir, mais il est là. Les préventes de billets ont explosé tous les records, les suites sont déjà lancées, et le film a été présenté au Festival de Berlin. Tout cela est bien beau mais la question sur toutes les lèvres est de savoir… Alors ?L’AVIS :
Alors, Cinquante Nuances de Grey est de ces films qui posent les limites du travail critique envers une œuvre de cinéma. Quel regard lui accorder ? Un regard objectif sur le produit fini en se basant sur ses réelles qualités et sa valeur cinématographique ou l’analyse de la tenue de ses objectifs par le prisme de sa démarche, de son essence et de ses ambitions marketing ? Plus clairement, le jugement que l’on pourra s’en faire, opposera deux appréhensions, celle de la lucidité cinéphile et celle des attentes des fans. Et le film de s’étaler sur une échelle allant du zéro pointé à la réussite indéniable.Le principal problème de Cinquante Nuances de Grey, est que le film se cogne le front contre son principe même d’existence et le tiraillement entre ses ambitions. Essayer de faire un bon film ou respecter scrupuleusement les désirs des fans ? Chercher à séduire un plus large public au risque de mettre en pétard les fidèles, ou se cantonner à satisfaire ceux qui trépignent d’impatience depuis si longtemps. Le choix a visiblement été fait très rapidement et le film l’assume jusqu’au bout de la pellicule. Les fans d’abord, les autres… Tant pis pour eux.
(Et la palme de la métaphore suggestive de l’année est attribuée à…)
Cinquante Nuances de Grey n’est pas une adaptation du roman, mais bel et bien une transposition fidèle et contrôlée de manière quasi-dictatoriale par l’auteure E. L. James, convaincue de la qualité de ses écrits dignes des pires inepties de la série Harlequin. De fait, à bouquin mauvais, mauvais film. Cinématographiquement, le résultat est épouvantable. Coincée par ce surprotectionnisme de l’auteure qui aura supervisé de À à Z chaque plan, chaque scène, chaque dialogue, chaque mouvement, afin que la fidélité à son « œuvre » soit la plus exigeante possible, Sam Taylor-Johnson n’a rien pu faire pour injecter sa propre personnalité à son film. Elle n’a surtout jamais eu la marge de manœuvre nécessaire pour effectuer un vrai travail d’adaptation et ainsi, gommer la niaiserie de l’œuvre littéraire au ridicule qui n’est plus à démontrer. Au final, toutes les tares du livre se retrouvent à l’écran et l’on ne peut pointer du doigt les innombrables mauvais choix de la cinéaste puisque la plupart lui ont été imposés. À l’image, Cinquante Nuances de Grey accumule les scènes d’une idiotie absolue, s’embourbe dans le kitsch et le risible, s’enlise dans un comique involontaire qui officie à ses dépends, et repousse toutes les limites de la bêtise d’une romance érotique à la Pretty Woman affublée d’une sommaire psychologie de comptoir, sur fond de personnage torturé au passé mystérieux. C’est mauvais (comme le roman), c’est mal écrit (comme le roman), c’est cliché (comme le roman), c’est excessif en tout (comme le roman) mais c’est aussi mal filmé, mal photographié, ça tourne en rond pendant deux heures autour d’un enjeu dramatique aussi mince qu’une top modèle anorexique, et de surcroît, c’est pas très bien joué. Mais à la décharge des pauvres comédiens embarqués dans l’affaire et entre lesquels l’alchimie peine à convaincre, leur prestation est surtout à imputer à une lourdeur terrifiante, chaque scène se faisant un point d’honneur à toujours tout surligner au marqueur, à grand renfort de gros plans ou d’un langage imagé sans la moindre finesse, traduisant un regard profondément méprisant envers un public pris pour des triples buses incapables d’être sensible à une quelconque élégance de mise en scène feutrée. On en viendrait presque à vouloir baffer cette pauvre Dakota Johnson à chaque mordillement de lèvre et rougissement de joues, ou ce fadasse Jamie Dornan à chaque regard ténébreux surjoué. Et Cinquante Nuances de Grey de virer à la bluette « impertinente » digne d’une série télé carré rose pour une obscure chaîne du câble.
À l’image de la « salle des jeux » de Mr. Grey, digne d’une succursale de Castorama spécialisée dans le SM, 50 Nuances de Grey est en réalité une comédie romantique déviante, où la noblesse des sentiments est pervertie par les codes de l’amour moderne (sexe sans sentiments, relation libre, union contractualisée), le tout sous couvert d’un parfum sulfureux de sadomasochisme, au souffre et au souffle court. Quand sa sagesse inoffensive ne le désarme pas, c’est sa niaiserie rigolote qui s’en charge au détour de quelques envolées mythiques qui resteront dans les…. annales (sans mauvais jeu de mot). Florilège :
– « Je ne fais pas l’amour, je baise ! »
– « C’est quoi un plug anal ? »
– « Le fist anal, tu peux oublier. Le fist vaginal aussi, d’ailleurs. »
Et que dire de ce magnifiquement ringard « Salut bébé ! » lancé par le playboy milliardaire à sa dulcinée fermement accoudé au volant de son Audi coupé sport à 200.000€ ? Que dire de ce grand moment d’hilarité générale post-sexe quand ce cher Mr Grey se met en mode « Tiens j’ai baisé, si j’allais jouer du piano dans la pénombre maintenant ? » Vous pensez qu’on plaisante ? Pas du tout. C’est ça qui est génial avec 50 Nuances de Grey et qui fait tout son charme, au second degré. C’est qu’il assume tout, et sans honte en plus !Reste l’autre visage du film. Celui du regard que poseront les fans. Et là, coup de maître, serait-on tenté de s’écrier ! Majoritairement fidèle au roman, à son esprit, et à son pouvoir de fascination fantasmée, les addict à la saga ne pourront que savourer un film qui s’applique du mieux qu’il peut, à mettre en image ce qu’ils ont pu lire à l’écrit, en dehors de quelques trahisons pardonnables. A coup sûr, ces derniers apprécieront de retrouver l’essentiel des scènes qui les auront émoustillés alors qu’ils dévoraient les pages des bouquins depuis le fin fond de leur lit transformé en vaste terrain de rêves érotiques. Reste une question qui persiste. Si tout le monde est à peu près d’accord sur la piètre qualité littéraire de l’œuvre de E. L. James, son succès est essentiellement dû à sa capacité à titiller l’imaginaire et à produire du fantasme par paquets de douze. Sa mise en image détruisant le pouvoir d’imagination, qu’en reste t-il au final ? D’autant qu’une autre évidence s’impose : quantité de scènes fonctionnaient sans doute à l’écrit mais passent bien mal une fois matérialisées en images…Au final, Cinquante Nuances de Grey est un film coincé entre ses intentions et sa logique de création. Un film impossible, fruit d’une démarche qui condamnait toute tentative d’en faire autre chose qu’un produit marketing. Plus le film d’une auteure que d’une réalisatrice, plus le cadeau fait aux fans qu’un réel film de cinéma « pour tous », il ambitionne de rester sagement dans le sillage du livre sans en dévier pour ne jamais heurter ses partisans. Un choix ironique à l’heure où l’on se plaint sans arrêt de ces longs-métrages qui trahissent les romans dont ils sont adaptés. Sauf qu’ici, l’impossibilité de dévier du matériau originel par crainte de s’exposer à la vendetta du public-cible, revient à rendre impossible tout espoir de faire mieux que lui. C’est fort dommage car la latitude pour cela était immense, mais clairement, Cinquante Nuances de Grey est fait pour les fans. Les autres ne pourront qu’assister, consternés, à une mascarade cinématographique aux allures de souffrance. En même temps, c’est dans la souffrance que l’on prend du plaisir paraît-il, dixit l’ami Christian Grey (©Sonia). Et pour répondre à la question en suspens sur toutes les lèvres, oui, il y a du sexe. Du sexe sage mais du sexe quand même. Quelques paires de fesses, un peu de seins, deux trois poils pubiens qui se baladent, un univers SM très gentiment exploité, et puis c’est tout.Bilan des courses, Cinquante Nuances de Grey devrait satisfaire grandement le public qui l’attend de pied ferme, autant qu’il ne devrait dépiter les autres. Dans un sens, on peut dire qu’il réussit son coup. Le pire dans l’histoire, c’est que le film fonctionne comme les romans. C’est pas bon, mais on finit par presque se prendre au jeu… Et on attend la suite maintenant ! C’est à ne plus rien y comprendre ! Ce serait donc ça l’effet « 50 Shades » ?!?
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux