Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Enemy
Père : Denis Villeneuve
Date de naissance : 2013
Majorité : 08 janvier 2015
Type : Sortie en DVD, Blu-ray
Nationalité : Canada, Espagne
Taille : 1h31 / Poids : NC
Genre : Drame psychologique
Livret de famille : Jake Gyllenhaal (Adam, Anthony), Mélanie Laurent (Marie), Sarah Gadon (Helen), Isabella Rossellini (la mère d’Adam)…
Signes particuliers : Deux semaines après Richard Ayoade, c’est au tour de Denis Villeneuve d’explorer la thématique du double dans un drame psychologique troublant, fascinant, dérangeant.
MON DOUBLE ET MOI
LA CRITIQUE
Résumé : Adam, un professeur discret, mène une vie paisible avec sa fiancée Mary. Un jour qu’il découvre son sosie parfait en la personne d’Anthony, un acteur fantasque, il ressent un trouble profond. Il commence alors à observer à distance la vie de cet homme et de sa mystérieuse femme enceinte. Puis Adam se met à imaginer les plus stupéfiants scénarios… pour lui et pour son propre couple. L’INTRO :
Le mois d’août est décidément le mois du « bizarre » et du « dédoublement ». Après le fascinant The Double de Richard Ayoade, adapté du roman éponyme de Dostoïevski et confrontant Jesse Eisenberg à un « autre lui » venu de nulle part, voici Enemy, le nouveau long-métrage du talentueux Denis Villeneuve (Incendies, Prisoners), porté par un autre acteur non moins extraordinaire, Jake Gyllenhaal. Enemy n’est pas une autre version du roman de l’auteur russe, mais une adaptation de la nouvelle O Homem Duplicado du portugais Prix Nobel de Littérature, José Saramago, où l’on retrouve également une jolie brochette féminine avec notamment la française Mélanie Laurent, l’étoile montante Sarah Gadon et l’immense (et trop rare) Isabella Rossellini.
L’AVIS :
De prime abord, la lecture du pitch d’Enemy pourrait passer pour une redite du récent The Double d’Ayoade. Pourtant, si les deux films partagent ensemble leur même idée de départ ainsi que leurs thématiques profondes explorant le subconscient de l’être humain et la dualité guerrière entre le Moi et le Surmoi, leurs styles sont quand à eux très différents. Alors que The Double lorgnait davantage du côté de Terry Gilliam et sa folie ubuesque, Enemy, lui, se réclamerait plutôt d’une inspiration Lynchienne avec tout ce qu’elle convoque de psychologique et de métaphorique tentaculaire. Dans tous les cas, on peut voir dans ces deux œuvres, deux approches presque complémentaires donnant deux visions intéressantes d’un même sujet, chacune à leur manière. Ce sujet, Villeneuve le définit à merveille en ces termes : « c’est l’histoire d’un homme en rivalité avec une autre version de lui-même. 1+1 est une équation terrifiante ». Terrifiant, c’est le mot. Enemy est un film angoissant, suffocant, sans doute davantage que n’a pu l’être The Double et son parfum de folie décalé.
Sur la forme, Enemy est sans aucun doute le projet le plus personnel de Denis Villeneuve, ce que le metteur en scène affirme logiquement. Une œuvre audacieuse, torturée, complexe, référentielle, jouant avec la réalité distordue et surtout avec ses figures et ses paraboles pour déployer une narrativité mystérieuse nécessitant plusieurs visions pour en décrypter tous les codes et sens cachés. En cela, Enemy est incontestablement bien plus « difficile » que ne l’a été The Double, moins linéaire, plus troublant et ambigu, multipliant le jeu des détails donnant du sens à un haut niveau métaphorique alors que les symboles distillés sont partie intégrante de la mécanique d’appréhension du film. Certains pourraient voir là une forme de prétention rebutante et pourtant, force est d’admettre que l’on est là en présence d’un cinéma artistique plus qu’intéressant, riche et passionnant à tous les égards. Sans cesse inquiétant, rarement « drôlatique » comme son voisin, Enemy entremêle l’étrange au vertigineux, comme si l’évoqué Lynch rencontrait Alfred Hitchcock dans un thriller psychologico-paranoïaque tétanisant et étrange où l’effroyable n’est en réalité qu’une illustration de ce qu’il se passe dans nos cerveaux. Car c’est de ça qu’il s’agit au fond dans Enemy, la projection cinématographique de la lutte permanente à l’œuvre dans la psyché humaine.
Film jusqu’au-boutiste tournant le dos au cinéma dit « conventionnel », Enemy est une œuvre fascinante, dédaleuse, dont la maîtrise (réalisation épatante, photographie magnifique, montage habile) n’a d’égale que sa richesse et sa puissance évocatrice. L’on ne comprendra pas forcément tout au premier abord mais le voir et le revoir sera probablement d’une grande aide pour l’analyser en profondeur et en tirer toute la substance mirifique, d’autant que certaines images allégoriques laisseront probablement pantois bon nombre de spectateurs attendant un long-métrage « classique ». De même, c’est une grande attention portée aux dialogues qui permettra de comprendre le véritable sens du film (une histoire de double ? Ou plutôt l’histoire du tiraillement mental d’un homme en lutte dans son propre subconscient, l’amenant à devenir son propre ennemi). En somme, Enemy est presque du cinéma expérimental de l’intention. Une oeuvre formidablement nébuleuse où la vérité est complexe.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux
Précisions, hypothèses et interprétations. Attention spoilers ! A lire après avoir vu le film.
Comme bon nombre de films évoluant sur la corde raide du narrativement mystérieux, Enemy traîne son lot d’interprétations diverses. Adam/Anthony sont-ils deux personnes distinctes ? Que représentent l’araignée ? Quelques dialogues subtilement glissés dans le film nous permettent d’entrevoir une explication. Adam et Anthony ne sont pas deux personnes différentes mais les deux facettes d’un homme en pleine lutte dans sa psyché. Qui est le vrai, qui est le faux ? Aucun des deux. Chacun est une facette du réel personnage dont le film narre l »histoire. De Adam, il semblerait que le personnage soit vraiment un professeur d’histoire (comme en témoigne les échanges avec sa mère). D’Anthony, il semblerait qu’il ait été dans a jeunesse un acteur raté et qu’il soit aujourd’hui marié à une belle épouse enceinte. Que représenterait donc Mélanie Laurent ? Une maîtresse par exemple. Ou le fantasme d’une maîtresse. On pourrait pencher à la première hypothèse en raison de la scène de l’alliance (comme si maîtresse découvrait qu’il est un homme marié) alors que l’accident représenterait métaphoriquement la fin de leur histoire. Et l’araignée dans tout cela ? Pour nous, on pencherait pour le fait qu’elle matérialise la culpabilité du personnage. Culpabilité envers son épouse qu’il trompe. Mais tout ceci n’est qu’hypothèse bien sûr… A chacun d’y voir ce qu’il veut y voir.