Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Jimmy’s Hall
Père : Ken Loach
Livret de famille : Barry Ward (Jimmy), Simone Kirby (Oonagh), Jim Norton (Père Sheridan), Aisling Franciosi (Marie), Aileen Henry (Alice), Francis Magee (Mossy), Karl Geary (Sean), Denise Gough (Tess)…
Date de naissance : 2014
Majorité : 02 juillet 2014 (en salles)
Nationalité : Angleterre
Taille : 1h49
Poids : Budget NC
Signes particuliers : Un Ken Loach mineur, témoin de la hargne disparue du cinéaste emblématique du cinéma britannique, remplacée par un académisme un brin poussiéreux. Sympathique, idéaliste, parfois un peu lourd et démonstratif aussi, ses qualités ne restent inscrites qu’en filigrane.
LE DERNIER FILM KEN LOACH ?
LA CRITIQUE
Résumé : 1932 – Après un exil de 10 ans aux États-Unis, Jimmy Gralton rentre au pays pour aider sa mère à s’occuper de la ferme familiale. L’Irlande qu’il retrouve, une dizaine d’années après la guerre civile, s’est dotée d’un nouveau gouvernement. Tous les espoirs sont permis… Suite aux sollicitations des jeunes du Comté de Leitrim, Jimmy, malgré sa réticence à provoquer ses vieux ennemis comme l’Eglise ou les propriétaires terriens, décide de rouvrir le « Hall », un foyer ouvert à tous où l’on se retrouve pour danser, étudier, ou discuter. À nouveau, le succès est immédiat. Mais l’influence grandissante de Jimmy et ses idées progressistes ne sont toujours pas du goût de tout le monde au village. Les tensions refont surface. L’INTRO :
Que serait un Festival de Cannes sans le traditionnel Ken Loach en compétition ? Le cinéaste britannique est plus qu’un habituel du côté de la Croisette, c’est une institution, un recordmen du temps de présence. 17 sélections en plus de 40 ans de carrière, Cannes a participé à faire le Ken Loach que l’on connaît. Que ses longs-métrages soient des chefs d’œuvre ou des films plus mineurs, des réussites ou des déceptions, Ken Loach est toujours là, comme un fidèle ami, un habitant des lieux. Pas étonnant de le retrouver en ce mois de mai 2014 du côté de la Côte d’Azur avec son petit dernier, à tous les sens du terme. « Dernier » car Jimmy S. Hall est sa dernière réalisation en date, et « dernier » car il pourrait être le film de ses adieux au métier. A 77 ans, Ken Loach souhaitait raccrocher, prendre une retraite bien méritée, lui le metteur en scène le plus engagé du Royaume-Uni… Toutefois, au cours du Festival, il a nuancé cette décision, envisageant un possible futur cinématographique sur un plus « petit film ».
L’AVIS :
Il faut se faire une raison, le Ken Loach d’antan n’est plus. Et depuis un petit moment. Le cinéaste rageur, filmant la douleur sociale caméra au poing comme personne, a disparu depuis quelques années déjà, emporté par l’âge qui l’a doucement mené vers un cinéma plus académique, moins féroce, moins tranchant. De Kes à Land and Freedom, de Carla’s Song à Raining Stones en passant par Ladybird, My Name is Joe, The Navigators ou Sweet Sixteen, reste de ce glorieux passé une volonté de fond de dire encore des choses mais avec une poigne moins ferme, plus douce, plus relâchée. Dans cette nouvelle ère déclinante, Ken Loach s’est un peu endormi sur les lauriers glanés par des années de chefs d’œuvre. Mais subsistent encore des réminiscences au détour de films comme Just a Kiss ou It’s a Free World, lesquelles transpirent de ce Jimmy S. Hall, librement inspiré de la vie de Jimmy Gralton, un activiste communiste irlandais qui s’est battu contre vents et marées dans les années 1920-1930 pour faire valoir ses nobles idéaux.
Jimmy S. Hall n’est pas un mauvais film, au mieux une œuvre mineure de laquelle subsiste des idées et des choses intéressantes, au pire une petite déception sans génie et un rien nonchalante quand elle n’est pas flasque comme dans son entame un brin poussive. Interprétations inégales (l’acteur principal Barry Ward peine à convaincre pleinement), manque d’émotion, facilités, académisme un peu poussiéreux, Ken Loach semble nous livrer un film dans la veine de son Le Vent se Lève, ironiquement sa seule Palme d’Or et pourtant l’un de ses films les plus décevants. Pourtant, par soubresauts, dans sa globalité, ce dernier effort distille une lumière diffuse. Tout film historique qu’il soit, Jimmy S. Hall ne peut contenir une certaine résonance moderne dans les thématiques qu’il déploie. La fracture sociale, l’idéalisme, la lutte face au dénigrement pour les idéaux que l’on défend, l’exploitation du prolétariat, les classes aisées défendant leurs petits privilèges au détriment des autres, le pouvoir abusif et intrusif de l’église catholique dans les institutions et la vie politique, la crise, l’éducation et la cohésion sociale comme salut de nos sociétés… Loach plante son histoire dans les années 20 et 30 et pourtant… Et pourtant tout semble terriblement actuel dans son histoire, même si cet intérêt tarde un peu à se mettre frontalement en place. C’est en tout cas et sans nul doute le point fort de Jimmy S. Hall, cette mise en abîme sociale tendant à montrer que le monde avance mais que les problèmes de société eux, n’évoluent pas.
Parfois un peu lourd dans sa narration, parfois un peu trop démonstratif dans son prêchi-prêcha ou engoncé dans une dialectique trop appuyée, Jimmy S. Hall est un film « sympathiquement engagé », une ode joyeuse à la liberté et au bonheur simple faite de rires, de larmichettes et de « jolis moments », sous-tendant des idéaux de gauche de temps à autres un rien naïfs ou utopistes mais glissés avec une évidente sincérité et des convictions passionnées et séduisantes dans l’âme. Des convictions qui témoignent surtout du grand monsieur qu’est Ken Loach. Si la puissance brute de œuvres passées n’est plus, si la leçon est délivrée avec moins de force brute, il essaie encore de balbutier quelque-chose, dans un cinéma certes formellement plus classique et fainéant, mais non sans charme et envie de bien faire. L’esprit révolutionnaire et dénonciateur n’a pas disparu dans le filtre de l’âge et même s’il n’est plus aussi aiguisé qu’auparavant, même s’il ne tranche plus, il a le mérite d’essayer de couper encore un peu. Il lui faut juste plus de temps. On s’ennuie peut-être doucement par moments, on perçoit l’évident déclin du cinéaste, on sent la facilité d’écriture d’un film sans grande envergure mais Jimmy S. Hall finit par laisser en filigrane un souvenir attachant, ponctué de réflexions pertinentes et d’un humanisme touchant.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux