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SHADOW DANCER (critique)

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Carte d’identité :
Nom : Shadow Dancer
Père : James Marsh
Livret de famille : Andrea Riseborough (Colette), Clive Owen (Mac), Gillian Anderson (Kate), Aiden Gillen (Gerry), Domhnall Gleeson (Connor), Bird Brennan (la mère)…
Date de naissance : 2012 / Nationalité : Angleterre, Irlande, France
Taille/Poids : 1h41 – 1,8 million $

Signes particuliers (+) : Un thriller intimiste sobre soufflant un vent tour à tour chaud d’émotions simples et glacial de sérieux implacable. Parfaitement interprété et d’un grand sérieux. Intéressant.

Signes particuliers (-) : Un scénario pas toujours très bien ficelé dans ses enchaînements et son aisance narrative. Intéressant sans être passionnant par ses difficultés à insérer le particulier dans la généralité de son sujet.

 

QUI L’IRA VERRA…

Résumé : Colette appartient à une famille de républicains irlandais, activistes de l’IRA. Elle vit avec sa mère, ses frères et son jeune fils qu’elle élève seule. Dans la foulée d’un attentat échoué dans le métro londonien, Colette est arrêté par Mac, un agent du MI5 qui lui propose un choix clair : passer 25 ans en prison et ne pas revoir son fils ou accepter de travailler avec l’agence et d’espionner sa propre famille pour faire tomber ses frères…

La genèse de Shadow Dancer est atypique, sorte de tradition inversée. On a l’habitude des producteurs ou réalisateurs qui tombent par hasard sur un roman qui les transporte au point qu’ils souhaitent l’adapter au cinéma, mais on n’est pas vraiment habitué à voir le contraire. A la base, Shadow Dancer était un roman de l’écrivain Tom Bradby. Et c’est parce que l’auteur sentait que son ouvrage pouvait faire un bon sujet de film qu’il a contacté quinze ans après son écriture, le producteur Chris Coen pour le lui proposer. Puis le cinéaste britannique James Marsh, à qui l’on doit plusieurs documentaires remarquables (Le projet Nim, Le Funambule mais aussi le film The King en 2005, avec Gael Garcia Bernal) est ensuite venu se greffer au projet. De la phase de casting ressortiront plusieurs visages connus, la jeune et fragile Andrea Riseborough en tête (Never Let me Go, Brighton Rock, Be Happy et prochainement Oblivion). La jeune actrice d’une trentaine d’année interprètera tout en délicatesse le rôle de Colette, jeune femme activiste de l’IRA qui se fait coincer par un agent du MI5 lui laissant le choix de collaborer avec ses services plutôt que de l’envoyer en prison après une tentative d’attentat dans le métro londonien. Face à elle, le bourlingueur Clive Owen sera cet agent des Services Secrets britanniques dévoué à son métier et animé d’un sentiment de responsabilité vis-à-vis de sa « taupe » infiltrée qui joue avec sa vie en retournant parmi les siens qu’elle doit désormais espionner pour ne pas perdre ce qu’elle a de plus cher au monde en étant incarcérée, son fils. La rare Gillian Anderson (pas besoin de présenter l’agent Scully) et Aiden Gillen (le fourbe Petyr Belish de la série Games of Thrones) complètent la distribution ainsi que Domhnall Gleeson, fils de l’illustre Brendan.

Avec son petit budget et un film très modeste, James Marsh passe derrière bon nombre de films extraordinaires qui ont abordé avec intelligence la question de l’engagement et de la lutte des activistes de l’IRA face à la grande méchante Angleterre, en Irlande du Nord. Et bien qu’il soit mineur, il faut bien le lui concéder, son Shadow Dancer n’en est pas moins pour autant très intéressant et honnête dans sa démarche. Sobre, traité avec sérieux, privilégiant les atmosphères, les ressentis et les silences, ce récit dramatique met en scène un face à face aussi délicatement tendre que redoutablement tendu dans lequel est piégée une femme cristallisant toute les failles d’une lutte d’idéaux qui finit par s’essouffler sous les poids des conséquences des actes commis. Colette assume son engagement mais l’on sent dès le début que le cœur n’y est pas ou plus. Et puis elle a un fils qui prime sur le reste dansa sa tête. Engagement pour la Cause ou engagement pour son fils, Colette est fatiguée, n’arrive plus à conjuguer les deux. Sa « rencontre » avec cet agent des Services de Sécurité Intérieure britanniques va précipiter le besoin de faire un choix. Assumer son engagement et prendre 25 ans de prison ou lâcher prise, accepter d’espionner sa propre famille, de jouer un double-jeu dangereux pour sauver ce qui peut encore l’être avec son fils avec qui la relation semble compliquée.

Intéressant à défaut de s’abandonner au passionnant, Shadow Dancer est un beau thriller intimiste soigné, interprété avec élégance, et qui n’est pas sans rappeler le récent La Taupe dans sa façon de tisser sa toile complexe sur fond de paranoïa et de récit sur un fil tranchant. Un film qui aurait pu s’élever encore plus haut, rejoindre certains classiques sur la question, si le scénariste et le cinéaste n’avaient pas raté l’embranchement qui aurait permis de resituer le particulier dans la généralité. C’est souvent là la marque des grands films, savoir replacer et recontextualiser l’intimiste dans le plus vaste, savoir traiter d’un sujet avec ampleur par le biais du détail. Or, par manque d’ambition scénaristique (et probablement d’argent pour livrer une fresque plus riche et consistante) et en ayant sans cesse l’œil vissé sur son personnage central, Colette, et son tiraillement intérieur, Bradby et Marsh en oublient de développer « l’autour de Colette », de donner plus de richesse à son contexte, sa vie, à ce qui interagit autour d’elle. Les ramifications de Shadow Dancer sont alors limitées faute de faire davantage exister les personnages secondaires, leurs motivations, leurs histoires. Ses frères, sa mère, le « chef » du groupe, autant de personnages que l’on aurait aimé voir pousser un peu plus vers la lumière mais qui restent tapis dans l’ombre d’un personnage qui phagocyte un récit trop auto-centré pour que l’ensemble prenne une tournure magistrale.

Mineur donc mais pas moins digne de respect et d’intérêt, Shadow Dancer est un film assez captivant malgré ses limites, porté notamment par une actrice exceptionnelle qui cristallise toutes les fissures et la fatigue d’une Cause à court de souffle. Solide, épuré, le thriller de James Marsh est empreint de subtilité et de sophistication discrète auquel l’on pourrait seulement reprocher dans le rendu final de sa copie, l’inutilité de la façon dont il emberlificote la compréhension de son histoire en multipliant les ellipses comme autant de scènes qu’on a l’impression d’avoir été coupées au montage. Marsh essaie d’être économe, de ne pas parler pour rien dire et donne le minimum au spectateur, les seules clés de base permettant de suivre intelligiblement son film mais parfois, il n’eut pas été désagréable d’avoir un peu de plus d’explications histoire de faciliter la fluidité d’un film pas évident et bien mystérieux qui par son âpreté glaciale et sa concision formelle et narrative, se coupe un peu de l’émotion. Même s’il n’est pas toujours adroit ou animé par des choix portant à débat, Shadow Dancer n’en reste pas moins un bon film, fourmillant de qualités indéniables et haletant à sa manière bien particulière. Certains s’ennuieront probablement devant un film froid, lent, faussement plat même, mais la réalité est qu’il essaie, à son modeste niveau, de tisser une toile jonglant avec ambiguïté, manipulation et contre-manipulation et sentiments troublés. Pas déboussolant mais vraiment intéressant.

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