Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Nymphomaniac : vol. 1
Père : Lars von Trier
Date de naissance : 2013
Majorité au : 01 janvier 2014
Type : Sortie en salles
Nationalité : Danemark, France, Allemagne, Belgique
Taille : 1h50
Poids : 9,4 millions €
Genre : Drame, Erotique
Livret de famille : Charlotte Gainsbourg (Joe), Stellan Skarsgård (Seligman), Stacy Martin (Joe jeune), Shia Laboeuf (Jérôme), Uma Thurman (Mme H), Christian Slater (père de Joe), Sophie Kennedy Clark (B)…
Signes particuliers (+) : Pour son retour, Lars von Trier signe une œuvre encombrée mais prodigieuse, désarmant lentement avec une passion et une sincérité presque naïve et touchante d’inconscience, alors que sa puissance fascinante et sa folle richesse bouleversent à chaque plan. Encore un effort magistral du génie danois qui continue d’explorer la psyché humaine dans un travail philosophal et existentialiste en forme de psychanalyse filmée. Difficile d’approche mais marquant.
Signes particuliers (-) : On est en droit de se poser la question : Lars von Trier ne s’enfermerait-il pas dans un style de cinéma extrême dont il a déjà visité les recoins ? Heureusement, pour l’instant, l’intelligence de son œuvre relègue au second plan cette répétition des motifs, autant qu’elle ne masque une bonne partie de la lourdeur du dispositif.
2014, ANNÉE ÉROTIQUE…
LA CRITIQUE
Résumé : La folle et poétique histoire du parcours érotique d’une femme, de sa naissance jusqu’à l’âge de 50 ans, racontée par le personnage principal, Joe, qui s’est auto-diagnostiquée nymphomane. Par une froide soirée d’hiver, le vieux et charmant célibataire Seligman découvre Joe dans une ruelle, rouée de coups. Après l’avoir ramenée chez lui, il soigne ses blessures et l’interroge sur sa vie. Seligman écoute intensément Joe lui raconter en huit chapitres successifs le récit de sa vie aux multiples ramifications et facettes, riche en associations et en incidents de parcours…
Des mois, que disons-nous, des années même que nous attendions avec impatience ce Nymphomaniac, grande fresque porno-épique retraçant la vie tourmentée d’une jeune femme auto-diagnostiquée nymphomane. En 2011, lors de la fameuse conférence de presse cannoise pour Melancholia qui aura tant fait jaser, le danois fou Lars von Trier annonçait sa volonté de se réaliser un film porno de 4 heures ! Une énième élucubration provocatrice du génie nordique, pensions-nous. Que nenni ! Trois ans plus tard, une distribution internationale incroyable, des heures et des heures de rushes tournées et une ribambelle de teasers et d’affiches savamment distillés au fil des semaines pour intensifier la sensation médiatique, et voici réellement débarquer l’ovni Nymphomaniac (ou mieux titré Nymph()maniac en référence visuelle au sexe féminin). Une délirante et ambitieuse entreprise sulfureuse et titanesque qui sortira en France exploitée en deux parties, scindant ainsi sa durée conséquente de plus de quatre heures, après réduction par le producteur des 5h30 originelles.
Si le nom de Lars von Trier suffisait déjà à mobiliser une bonne base de fans trépignant d’impatience après la claque magistrale que fut Melancholia, le buzz sans précédent pour un film du cinéaste a su accroitre son potentiel, entre les vidéos dévoilant le film par petits bouts tel un striptease marketing, ou bien la mémorable campagne d’affiches montrant tout le casting en plein orgasme. Mais c’est aussi l’ampleur de la distribution à bord qui aidera à offrir au film la place qu’il mérite dans le paysage cinématographique chargé de ce début d’année. Comptez sur rien de moins que sa muse Charlotte Gainsbourg, les fidèles Stellan Skarsgard, Udo Kier, Jean-Marc Barr ou Willem Dafoe, mais aussi Shia LaBeouf, Uma Thurman, Christian Slater, Jamie Bell, Connie Nielsen… Une batterie de grands noms et pourtant, c’est une inconnue qui domine la distribution foisonnante de ce premier volet, la jeune et sublime Stacy Martin, mannequin de son état, qui joue là pour la première fois au cinéma et y fait une entrée tonitruante (et scandaleuse) qui n’est pas sans rappeler Maria Schneider dans Le Dernier Tango à Paris en 1972. On lui souhaite meilleure carrière que la pauvre ex-partenaire de Marlon Brando, d’autant qu’elle y met beaucoup d’elle-même la jeune demoiselle qui n’a visiblement pas froid aux yeux… ou ailleurs.
Comme on pouvait s’y attendre avec l’enfant terrible du cinéma nordique, Nymphomaniac est un nouvel effort singulier, venant d’un artiste qui l’est tout autant. Œuvre métaphysico-philosophique hybride, Nymphomaniac est une sorte de manifeste poly-artistique aux allures de monstre à deux visages, une œuvre gigantesque bicéphale arborant une face à la fois fascinante et envoûtante, et une autre moins plaisante et plus abrupte. Laquelle prend le dessus ? Chacun aura sa réponse et son ressenti, car que ce soit bien clair, Nymphomaniac ne sera pas le film de la réconciliation pour les contradicteurs du metteur en scène danois, pas plus qu’il ne sera le film du désaveu pour ses partisans.
Nymphomaniac ne se livre pas tout de suite, au contraire. Impertinent, le dernier von Trier commence même par montrer son apparence la moins élégante. On sent d’emblée la lourdeur du dispositif, la répétition des mêmes motifs d’un film à l’autre depuis quelques années, et ce qui pouvait apparaître comme un cinéma renouvelé et salvateur il fut un temps, commence à sonner comme une redondance forcée et trop pensée par un Lars von Trier qui semble avoir du mal à trouver de nouvelles voies d’expressions et d’explorations formelles ? Toujours dans un registre en quelque sorte anti-dogme, le cinéaste poursuit son cheminement sur le terrain escarpé d’une imagerie fortement surlignée, pas dans un sens traditionnel certes, mais quand même très appuyée par une rhétorique qu’il pousse de plus en plus loin jusqu’à ce qu’elle perde un peu de sa pertinence. Inscriptions à l’écran, décrochage illustratif, intrusion de plans référentiels venant couper la linéarité des scènes, découpage chapitrés, confrontations musicales violentes, split screen, Nymphomaniac est un film chargé aussi bien plastiquement que thématiquement et narrativement. Comme si le metteur en scène se devait d’afficher constamment ses idées et symbolismes à défaut de savoir les instiller avec subtilité. Un aveu de faiblesse ? On préfère y voir une forme de langage personnel fait d’une absence de prétention soutenu par une sincérité nourrie d’humilité. Car dans ce tourbillon stylistique déconcertant, Lars von Trier ne tourne pas en rond autour du vide, au contraire. Beaucoup de choses alimentent ce patchwork en apparence un peu foutraque qui glisse sur des thématiques comme le sexe, bien sûr, mais aussi l’amour, la mort, les sciences, la nature, la philosophie, les arts, la sociologie, l’ethnologie voire même la politique… Étrangement abscons mais figurativement brillant.
Et c’est là que Nymphomaniac révèle son autre visage, le plus doux, le plus séduisant. De ce maelström exutoire faussement confus une fois de plus sorti de l’esprit obsessionnel d’un cinéaste incroyablement tourmenté, il se dégage une forme de saisissante fascination au fur et à mesure qu’il nous embarque le Lars, comme à chaque fois, dans un film qui se révèle captivant, magistral, virtuose, et ce malgré ses excès. Les pérégrinations sexuelles de cette fabuleuse et complexe Joe ne sont au final qu’un vaisseau vers une intense conversation philosophico-existentielle racontée comme dans une démarche psychanalytique (le lit étant le divan, Joe la patience, Seligman le délicat auditeur officiant comme figure de psy) par laquelle Lars von Trier continue d’explorer l’âme et la psyché de l’être humain dans toute sa sophistication, de ses facettes sombres et torturées à ses aspects lumineux et passionnés, de ses contradictions à sa logique sinueuse… Beau à en crever, laid à en vomir, tourmenté, épique, surprenant, frontal, déstabilisant, rassurant, dur, tendre, émouvant, répugnant, drôle même par petites touches discrètes, cette œuvre fiévreuse et majestueuse nous entraîne sur tous les terrains, qui se succèdent les uns à la suite des autres dans l’illustration du principe élémentaire de la non-linéarité de la vie. Celle de Joe est escarpée, et le sexe, ni plus ni moins que la matrice du monde, est au centre de tout et ne fait que souligner les changements et les temps de la vie.
Nymphomaniac relève une fois de plus du génie sombrement poétique et perturbé d’un auteur au cinéma profondément et intensément puissant et passionnant, dont la richesse sublime est une délectation de chaque instant. On attendait une œuvre audacieuse et sulfureuse, Lars von Trier nous propose autre chose. Le film ne cherche jamais volontairement à être excitant ou rebutant, pas plus qu’il ne cherche vraiment la provocation d’ailleurs. C’est la nature à vif de son auteur qui s’exprime dans toute sa crudité et sa radicalité. Comme un enfant presque inconséquent, il joue, s’amuse, colle, découpe, superpose, expérimente, montre, s’attarde, étudie, tout ça dans une absence de pudeur qui va davantage chercher dans une forme de sincérité presque enfantine d’innocence stylistique, dénuée de réelles motivations ou intentions mal placées contrairement à ce que l’on pourrait croire. Nymphomaniac serait-il ironiquement un œuvre anti-provocatrice ? Peut-être finalement. Toujours est-il que ce premier segment est aussi splendide que profondément intelligent, au-delà de ses excès criards qui ne sont que le reflet d’une offrande brute de la part d’un metteur en scène intègre et entier dans son approche.
Si l’on conviendra d’attendre la totalité de l’œuvre (la suite le 29 janvier) pour mieux en cerner le propos général, Nymphomaniac est déjà au détour de sa première partie, une magnifique dissertation expérimentale sur la femme, une œuvre profondément féminine et anti-misogyne parlant avec une douceur mélancolique quasi mystique, d’auto-pardon, de liberté, de complexe œdipien, de quête existentielle, de conflits moraux… Et il ne serait sans doute pas aussi puissant sans une Charlotte Gainsbourg toujours prête à livrer le meilleur d’elle même, sans une Stacy Martin absolument impressionnante, sans des Christian Slater ou Shia LaBoeuf qui confient totalement leur intégrité d’acteurs à leur metteur en scène au risque de se mettre en péril, ou encore une Uma Thurman aimantant l’un des temps fort et déchirant du film. Nymphomaniac n’est pas conçu pour plaire mais qu’importe, nous, on lance un vibrant : « vivement la suite » !
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux