Comme toute star ayant traversé des décennies de cinéma, Kirk Douglas a refusé des rôles qui auraient pu encore davantage asseoir sa légende. Mais franchement, en avait-il seulement besoin ? Il devait par exemple incarner le célèbre colonel Trautman dans Rambo, mais le refus de Stallone de modifier son scénario à sa convenance (Douglas voulait voir mourir Rambo à la fin de First Blood) mis un terme aux négociations. Richard Crenna hérita du rôle. Il fît également l’impasse sur Charlie et la Chocolaterie et quelques autres. Mais bon, de Spartacus au Gouffre aux Chimères en passant par Les Ensorcelés, Les Vikins, Seuls sont les Indomptés ou Les Sentiers de la Gloire, ses grands rôles n’ont finalement pas manqué. De quoi vite oublier sa défaite pour obtenir celui de Ben-Hur, raflé par Charlton Heston sous son nez.
Mais son seul et unique vrai regret ne vient pas d’un « refus » de rôle mais d’un rendez-vous manqué. Début des années 60, Kirk Douglas tombe amoureux du livre de Ken Kesey, Vol au-dessus d’un nid de coucou. L’auteur est alors peu connu mais Kirk Douglas tient plus que tout à ce projet. Ce sera sans compter sur la frilosité hollywoodienne. Jugé trop subversif, le scénario ne trouvera pas preneur. Malgré les efforts d’un Kirk Douglas très impliqué, le projet ne trouvera pas de financements. Et tout capota. L’acteur le remaniera et réussira à le porter jusqu’à Broadway. Pendant six mois en 1963, Douglas incarnera le personnage de McMurphy sur scène. Mais le succès ne sera pas au rendez-vous. Encore un coup dans le flanc pour une éventuelle adaptation ciné.
Ne s’avouant pas vaincu, Kirk Douglas gardera le projet sous le coude. Quelque temps plus tard, le comédien fait la connaissance de Milos Forman, un jeune cinéaste tchèque montant. Il lui parle de Vol au-dessus d’un Nid de Coucou et Forman est plutôt emballé. Douglas lui promet de lui envoyer le livre, et au plaisir d’en parler. Mais parfois, les grandes opportunités échouent pour des broutilles. Cette fois, ce sera pour une bête histoire de douane. Le livre sera intercepté et Forman ne le recevra jamais. De son côté, Kirk Douglas pensera que le jeune metteur en scène ne prend même pas la peine de lui répondre. Fin de l’histoire… Jusqu’à l’arrivée du fils, Michael Douglas, dans la boucle.
Peu après le Printemps de Prague, Milos Forman s’exile aux États-Unis. Entretemps, Michael Douglas a repris le projet de son père et tente de le mener à bien. Le projet avance enfin sur de bons rails. Le cinéma hollywoodien a changé, le Nouvel Hollywood offre plus de libertés et le script, jadis jugé trop subversif, passe mieux post-1968. Sauf que Kirk Douglas a désormais soixante ans. Et la production va estimer qu’il est trop âgé pour le rôle. Cette fois, ce sera la fin, le rêve de Kirk s’envole à jamais. Michael Douglas, sur les conseils du scénariste Lawrence Hauben, rencontrera ce fameux Forman que son père voulait à l’époque. Le metteur en scène tchèque, toujours aussi emballé, sera embauché. La recherche d’un comédien fut longue en revanche. Forman voulait immédiatement Jack Nicholson, mais il était retenu sur un projet. Le réalisateur essuiera pas mal de refus, de Marlon Brando à James Caan en passant par Gene Hackman. Les mois ayant passé, Nicholson est finalement disponible. La suite, on la connaît. Tournage en mars 1975, sortie en novembre de la même année, et un chef-d’œuvre du septième art à la clé. Mais sans l’immense capitaine Kirk.