De passage au festival de Deauville où Everest était présenté en ouverture de la 41eme édition, nous avons pu rencontrer le réalisateur islandais Baltasar Kormakur ainsi que son acteur principal, Jason Clarke. Le duo, drôle, complice et d’une gentillesse épatante, est revenu en notre compagnie sur ce film d’aventure catastrophe, inspiré d’une histoire vraie.
En salles le 23 septembre prochain, Everest est le récit d’une désastreuse tentative d’ascension de la plus haute montagne du monde, en 1996, menée par deux expéditions distinctes, confrontées aux plus violentes tempêtes de neige que l’homme ait connues. Luttant contre l’extrême sévérité des éléments, le courage des grimpeurs est mis à l’épreuve par des obstacles toujours plus difficiles à surmonter alors que leur rêve de toute une vie se transforme en un combat acharné pour leur salut.
Comment avez-vous découvert le livre de John Krakauer et l’avez-vous rencontré, vous ou Michael Kelly, qui joue son rôle dans Everest ?
Baltasar Kormakur : Non, en fait, je me rappelais de cette histoire à l’époque où ça s’est passé. Je m’étais senti très connecté avec elle, que les médias avaient beaucoup couvert. Je n’ai pas lu le livre au départ. Ce n’est que quand le script m’a été envoyé, que cette histoire m’est revenue en tête et que j’ai commencé à lire le livre de John Krakauer. Un super livre, au passage (Tragédie à l’Everest alias Into Thin Air: A Personal Account of the Mt. Everest Disaster – ndlr). Mais le film n’est pas vraiment basé sur lui, il est plus basé sur les évènements réels. Bon, en partie sur le livre bien sûr, mais surtout pour la fin, on s’est surtout basé sur les enregistrements audio auxquels on a pu avoir accès. On a eu cette chance incroyable, de pouvoir écouter ce qui s’est réellement passé. Tout le livre est basé sur le regard d’un homme qui a écrit ce qu’il s’est passé juste après l’avoir vécu. Dans ces bandes, il y avait tout ce dont nous avions besoin. Tout était là, et c’était la manière de s’approcher au plus près de cette histoire. Nous avons décidé de faire l’opposé d’un grand divertissement hollywoodien conventionnel. Nous sommes partis de la vérité pure, pour écrire le script.
Jason, comment avez-vous approché votre personnage, avez-vous fait des recherches sur lui ?
Jason Clarke : Oui, j’ai fait beaucoup de recherches. J’ai lu énormément, tous les livres, les articles, tout ce que j’ai pu trouver. Même des écrits de Lopsang, qui était l’un des porteurs de cette expédition, et qui ont été retrouvés longtemps après sa mort. Mais vous savez, ces enregistrements dont nous parlons, étaient vraiment extraordinaires. L’essence même de Rob était là-dedans (Rob Hall est le personnage qu’il incarne dans le film – ndlr). Vous entendez un homme qui se trouve dans une situation extraordinaire, dans un endroit extraordinaire. Et vous entendez comment il a géré ça. Son timbre de voix, son tempérament, sa construction personnelle, son phrasé, on en apprend plus qu’il n’en dit. J’espère qu’on arrivera à partager avec le public ce que représente cette expérience, avec le manque de nourriture, d’oxygène, la déshydratation etc… Et on a pu rencontrer les familles. Ça valait plus que tous les livres, articles ou émissions télé. Ça s’est fait en privé et nous avons toujours eu cette intention d’être fidèle à l’histoire. Un homme est mort et sa famille vit toujours, sa fille vit toujours. Nous avons toujours essayé de faire les choses correctement. Il n’y a rien de factice dans ce film. Guy Cotter (qui était impliqué dans cette expédition de 1996 – joué dans le film par Sam Worthington dans le film) nous a vraiment emmené escalader des sommets assez difficiles, on est allé voir certains endroits en hélicoptère, il y avait une intensité folle. Et je crois que c’est pour ça que ce film est si viscéral. Sur un grand écran, avec la puissance sonore et tout le reste, vous ressentez le froid, vous ressentez la fatigue, vous ressentez la solitude du personnage de Keira Knightley sur son canapé.
Vous avez eu l’opportunité de tourner le film en altitude.
Baltasar Kormakur : Oui, à plus de 5500 mètres !
Si vous aviez eu la possibilité d’aller filmer au sommet de l’Everest, vous auriez pris le risque ?
Baltasar Kormakur : Si cela avait été physiquement possible, je l’aurai probablement fait. Si les assurances me l’auraient permis, aussi. Mais c’est une chose d’escalader la montagne, d’aller en haut de l’Everest, de monter, de descendre, se reposer, remonter, redescendre, se reposer… Mais c’en est une autre d’y aller et de filmer toute une journée, sans pouvoir vous reposer !
Jason Clarke : T’imagine pour changer de bobine ! Mince, j’ai fait tomber mon gant, attends, je reviens ! (rires)
Baltasar Kormakur : Et puis il aurait fallu monter avec une équipe entière. Je n’aurais pas voulu mettre la vie des gens en danger. Je n’aurai pas voulu filmer une tragédie en en créant une autre. Ce n’était pas mon intention. C’est comme… Techniquement, vous pouvez envoyer une caméra dans l’espace… Mais vous ne pouvez pas tourner un film dans l’espace. Pas un film entier, en tout cas. C’est la même chose avec le sommet de l’Everest. Des gens ont vu des images du sommet, donc ils pensent qu’on peut tourner là-haut. Vous pouvez vous baladez et filmer un peu au sommet de l’Everest. Mais vous ne pouvez pas faire un film entier comme ça. Impossible. Et puis pour le jeu des acteurs… Vous y gagneriez en hauteur mais vous récolterez de très mauvaises interprétations ! Nous avons fait tout ce qui était possible de faire en fonction des éléments. Finalement, ça n’avait pas vraiment d’importance que nous soyons en haut de l’Everest ou dans les Alpes, où nous avons tourné. C’était déjà très compliqué dans les Alpes, on avait aussi des problèmes avec l’altitude, plus les alertes avalanche. Même là-bas, la nature nous dictait ce que nous étions en droit de faire ou non. Rien que le climat changeait sans arrêt et on devait s’adapter. Après, nous avons fait le reste en studio. Parce que vous ne pouvez pas grimper au sommet d’une montagne, en plein milieu de la nuit, et recréer une tempête. C’est juste impossible. De toute façon, on ne verrait rien ! On risquerait même de perdre les acteurs ! Pouf, ils disparaîtraient ! Et même le caméraman ne pourrait pas tenir debout ! (rires) Il faut comprendre qu’il y avait des limites à ce que nous pouvions faire. Et nous les avons atteintes, parfois même dépassées. Après, il y a la technique. C’était déjà très compliqué. Nous avons recréé, nous avons simulé, mais on s’est efforcés d’être le plus vrai possible dans la simulation.
Et vous avez eu l’occasion de monter sur le toit du monde ?
Jason Clarke : Non… Enfin si, mais dans les studios de Pinewood à Londres ! (rires) Mais j’ai pu monter à près de 7000 mètres d’altitude en hélicoptère, ce qui était déjà pas mal. Le tournage s’est fait essentiellement vers 5000 mètres. On avait un excellent pilote et un jour, je lui ai dit « allez, emmène-moi. » Et on y est allé.
Baltasar Kormakur : Le truc c’est que… Je l’ai fait aussi, de monter à 7000 mètres en hélicoptère. Mais avant, il m’a déposé au camp de base et la bouteille d’oxygène qu’il m’avait laissé, était vide !
Jason Clarke : Il l’avait laissé avec une bouteille d’oxygène vide ! Mince, il est où ce con d’hélicoptère ! (rires)
Baltasar Kormakur : Je ne savais plus où j’étais, je perdais déjà mes esprits. En fait, si vous ne marchez pas un peu pour vous adapter progressivement à l’altitude, vous pouvez tomber très malade. C’est hyper dangereux, vous pouvez mourir. L’hélicoptère est revenu avec une bouteille d’oxygène. Et on a pu monter à 7000 mètres. Mais il faut savoir que vous pouvez le faire en hélicoptère, uniquement s’il fait très froid et très lumineux. On est donc allé à 7000 mètres et j’ai demandé si on pouvait aller plus haut. Le pilote m’a dit qu’il essayait mais que c’était impossible car il n’y avait pas assez d’air pour que les hélices tournent. Il essayait, mais c’était l’enfer. C’était ça la réalité du truc. Pour atteindre le sommet, il faut marcher et grimper. Mais ce qu’il s’est passé, c’est que des nuages ont commencé à arriver. Et là, vous réalisez à quel point c’est dangereux. Il fallait qu’on se pose très vite mais le plus près, c’était le Camp 2. Et on n’aurait pas pu y survivre. Et là, le pilote a foncé et a traversé les gros nuages. J’étais une vraie fillette à ce moment-là ! Quand on s’est posé à Lukla (une ville un peu plus bas sur l’Everest – ndlr), il y avait un hélicoptère qui s’était crashé là où on avait décollé, et des personnes étaient mortes. Et là vous réalisez à quel point la situation était dangereuse.
On imagine que ça a dû être un tournage extrêmement fatiguant…
Jason Clarke : Oui, les journées étaient très longues. Il y avait un matin par exemple, où on s’est levé à 4 heures, dans le noir et dans le froid, à 3600 mètres. On a marché deux heures pour avoir un plan du lever de soleil. Et en fait, ça fait mal le soleil qui se lève, sur la peau ! On y consacré une journée entière car on voulait l’avoir ce plan. Et vous vous rendez compte de ce que ça implique en terme de logistique, de mettre autant de gens dans cet endroit. C’est incroyable. Ça demande énormément d’énergie. On était épuisés, tu étais épuisé toi aussi (à Baltasar – ndlr). On a tourné dans l’ordre et au moins, quand on est allé ensuite en studio, on savait ce que c’était. Tout ce blanc…
Vous avez pris des vacances sur une île au soleil, après le tournage ?
Jason Clarke : Non, même pas ! J’ai enchaîné avec le tournage de Terminator Genysis ! (rires)
Le casting est impressionnant. Vous pouvez nous parler un peu de votre collaboration avec tout le monde, John Hawkes, Josh Brolin, Jake Gyllenhaal…
Jason Clarke : Ils étaient tous fantastiques ! Et Michael Kelly, qui ressemblait vraiment à Krakauer. Il rendait tellement bien la pression. C’est fabuleux d’avoir un tel cast.
Baltasar Kormakur : C’était un casting incroyable. Et concernant John Krakauer… Je ne dis pas que tout ça est de sa faute, attention. Mais le fait qu’il était là, au milieu de cette expédition, ça a fait rendu la situation très différente. C’est comme de mettre un critique du New-York Times à la Première d’un film. Le fait d’avoir au milieu de l’équipe, un journaliste du plus grand magazine sur la nature, ça a forcément affecté l’histoire.
Jason Clarke : Et John Hawkes est génial, aussi. Il est fabuleux, n’est-ce pas ?
Baltasar Kormakur : Josh Brolin aussi. La scène où il est sur l’échelle. Il ne joue pas la peur, il avait vraiment peur ! Il a voulu le faire. C’est ça le cinéma. Et ça se ressent à l’écran.
Merci à Baltasar Komakur, Jason Clarke, aux équipes d’Universal Pictures, à l’organisation du festival de Deauville et autres intervenants de cette table ronde.