Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Much Ado about Nothing
Père : Joss Whedon
Livret de famille : Amy Acker (Beatrice), Alexis Denisof (Benedict), Clark Gregg (Leonato), Reed Diamond (Don Pedro), Franz Kranz (Claudio), Jillian Morgese (Hero), Nathan Fillion (Dogberry), Sean Maher (Don Juan), Spencer Treat Clark (Boracho), Riki Lindhome (Conrad)…
Date de naissance : 2012
Majorité au : 29 janvier 2014 (en salles)
Nationalité : USA
Taille : 1h48
Poids : Budget NC
Signes particuliers (+) : Un exercice de style original et audacieux, quelques dialogues et moments bien sentis et une dernière demi-heure qui remonte un peu le niveau du tout (exception faite des toutes dernières minutes). Une vraie curiosité qui ne manque pas de saveur et de verve.
Signes particuliers (-) : Malheureusement, certains « délires entre amis » devraient rester des « délires entre amis ». C’est le cas de cette parenthèse amusée de Joss Whedon qui s’invite au cinéma et qui ennuie plus qu’elle ne régale malgré son charme avenant. Un effort ciné-théâtreux longuet animée d’une fausse habileté et dont l’audace du croisement rétro/moderne ne prend pas. Si l’on rajoute en plus le handicap d’un dernier acte originellement raté par son auteur, aussi illustre soit-il, alors…
PETIT DÉLIRE THÉÂTRAL ENTRE AMIS
LA CRITIQUE
Résumé : De retour de la guerre, Don Pédro et ses fidèles compagnons d’armes, Bénédict et Claudio, rendent visite au seigneur Léonato, gouverneur de Messine. Dans sa demeure, les hommes vont se livrer à une autre guerre. Celle de l’amour. Et notamment celle qui fait rage entre Béatrice et Bénédict, que leur entourage tente de réconcilier tout en essayant de déjouer les agissements malfaisants de Don Juan…
Un peu sorti de nulle part, Beaucoup de Bruit pour Rien est le nouveau film du très à la mode Joss Whedon. Une petite curiosité « de vacances » à micro-budget coincée entre les tournages des deux blockbusters que sont Avengers et sa suite à venir. L’histoire de sa conception est, à ce titre, presque plus amusante et intéressante que la « souffrance » de sa découverte.
Petit flashback éclair et retour en 2011. Whedon vient de terminer le tournage du futur carton planétaire qu’a été The Avengers et le studio lui impose de prendre quelques jours de congés avant d’en entamer la post-production qui s’annonce longue et fastidieuse. Plutôt que de se dorer la pilule au soleil, Whedon préfère monter à l’arrache un projet étonnant. Immense passionné de Shakespeare et de son œuvre, le cinéaste a pour habitude depuis des années d’organiser des weekends dans sa somptueuse villa avec ses amis. Séances de lecture, recréation intimiste de ses pièces sont au programme de ce « club littéraire » d’amateurs du dramaturge britannique. Depuis quelques temps, Whedon avait envie de travailler sur le texte Beaucoup de bruit pour Rien, l’une des pièces les plus célèbres de Shakeapeare, écrite en 1600 et mainte et mainte fois adaptée au cinéma comme dans cette version de 1993 dirigée par Kenneth Branagh. La plupart des proches du cinéaste répondent à son appel et accourent chez lui, découvrant avec étonnement qu’il ne s’agit pas d’une de ses traditionnelles séances de jeu mais que sa villa s’est transformée en petit plateau de tournage. L’objectif ? Emballer en 12 jours top chrono avec un équipement minimaliste et un esprit « fait maison », une adaptation de la pièce quasi-improvisée que le metteur en scène montera pendant ses pauses déjeuner et weekends durant la post-prod des Avengers !
Au casting, que des amis disait-on. Il n’y a pour ainsi dire pas un seul comédien qui ne soit pas issu de l’univers whedonien. Alexis Denisof et Amy Acker (Béatrice et Bénédict) viennent des séries Buffy et Angel (Acker ayant également tourné dans La Cabane dans les Bois), Nathan Filion (Dogberry) a joué dans le show vampirique mais surtout dans la série Firefly et film Serenity. Jillian Morgese (Héro) a travaillé sur le tournage des Avengers et Franz Kanz (Claudio) était au générique de La Cabane dans les bois dans le rôle de Marty le fumeur de joints. Et ainsi de suite, de Sean Don Juan Maher (Serenity) à Clark Léonato Greeg (l’agent Coulson des Avengers) en passant par Reed Don Pedro Diamond (Dollhouse) ou Riki Lindhome (Buffy) etc… Pas un acteur hors de la Whedon-sphère et n’ayant pas déjà tourné dans une de ses réalisations ou productions.
Le principe de cette nouvelle adaptation de la pièce comique Beaucoup de Bruit pour Rien était de conserver les textes originaux (le vieil anglais compris) pour les importer dans du théâtre filmé tourné dans un décor moderne. Une association risquée et dangereuse, déjà faite et plutôt brillamment par Baz Lurhman sur Roméo + Juliette. Petit plaisir coupable réalisé en bande, Beaucoup de Bruit pour Rien est pas loin d’être un OFNI qui, soyons clair, se retrouve au cinéma parce que Joss Whedon est au générique et parce qu’il est très à la mode post-Avengers. Car concrètement, on est là face à un exercice de style proche du « délire personnel » qui aurait pu (qui a dit « dû » ?!) rester cantonné à être un délire personnel. Cette adaptation brinquebalante sent ouvertement le petit pari emballé à l’arrache avec comme seul intérêt une redécouverte du texte original, plus en tout cas que le vrai film de cinéma. Technique plus qu’approximative (fallait oser garder cette scène où le caméraman se cogne contre un meuble, ce qui donne un mouvement soudain et brusque voyant), éclairage aux abonnés absent (le tournage en noir et blanc compense), mise en scène soignée mais privilégiant le rendu théâtral à la forme cinématographique, réalisation sans style artistique particulier, seulement dans la captation du jeu des comédiens… Beaucoup de Bruit pour Rien laisse franchement pantois et déconcerte.
Mais après tout, pourquoi pas. Luhrman avait tenté avec audace et était parvenu à un résultat décalé dont la singularité faisait tout le charme de cette énième adaptation de Roméo et Juliette. Sauf que Whedon ne s’inscrit pas du tout dans la même démarche. Beaucoup de Bruit pour Rien ne cherche jamais à être un film mais seulement du théâtre filmé en décor naturel. Dubitatif, on s’interroge sur le rendu visuel de la chose qui aurait pu être une sympathique version télévisée, un amusant bonus complémentant un film du bonhomme, un DTV pour théâtreux ou sinon, une œuvre personnelle à regarder chez lui. Mais de là à lancer cette étrangeté au cinéma, le fossé était quand même assez important. Et pas sûr qu’il aurait dû être franchi.
Le décalage entre la modernité du cadre et l’historicité des dialogues et de la pièce en général ne fonctionne clairement pas ici. La folie de l’entreprise de Luhrman en 1996 rendait l’exercice plaisant parce que le second degré y était autant assumé qu’appuyé. Voir DiCaprio déclamer des textes d’un autre siècle au son des duels au revolver dans de grosses bagnoles tunées avait de quoi détonner mais finalement, c’est ce qui rendait Roméo +Juliette complètement barré mais aussi frais et foutrement original. Le délire anecdotique entre amis de Whedon est pour sa part pas loin de la plaisanterie arnaqueuse destinée, au pire aux crédules fans du cinéaste, au mieux au amateurs extrêmes de Shakeapeare qui pourront y trouver vaguement leur compte. On assiste déconfis à ce bal de Princes et de Seigneurs débarquant en Mercedes en parlant de leur monture galopante ou récitant des textes anciens tout en écoutant des CD dans une cuisine high-tech, leur Iphone à la main. L’importation de la pièce dans un univers moderne (parce que cet essai mis en boîte vite fait bien fait en amateur ne pouvait logiquement pas se payer le luxe d’une véritable reconstitution) ne prend jamais, probablement à cause du sérieux très premier degré du travail plastique effectué (et non du contenu marqué comédie).
Outre le résultat plastique déconcertant voire énervant, Beaucoup de Bruit pour Rien se paye pardessus le marché un ennui monumental qui risque bien d’ne perdre plus d’en route. Si le charme opère par petites touches très épisodiques, le film s’ouvre sur un tunnel interminable, long de presque 1h15. Durant plus d’un acte et demi, on se retrouve confronté à un exercice assommant qui ne commencera à réveiller son assistance en toute fin d’acte 2, quand l’intrigue dramatique commencera à émoustiller et secouer un peu cette œuvre précurseur des comédies romantiques actuelles, lançant ainsi le film pour une dernière demi-heure plus enlevée et présentant enfin un début de mise en scène. Le bonheur aura été de courte durée puisque le film se dirige alors vers son acte final quant à lui totalement raté (et bâclé) dans sa conclusion mais non pas par Whedon mais par Shakeapeare lui-même en cruel manque d’inspiration. Oui, ce n’est parce qu’il s’agit là du potentiellement plus grand dramaturge de l’histoire que l’on n’a pas le droit de critiquer une de ses œuvres, après tout !
Au final, Beaucoup de Bruit pour Rien n’est pas une purge mais passe pas loin. Si l’on en sauve quelques vifs échanges de dialogues humoristiques, écrit avec inspiration par Shakeapeare, le charme d’une Amy Acker magnifiée par ce noir et blanc, quelques petits flirts avec le comique visuel anecdotiques mais amusants et un passage dramatique assez intense bien restitué, le reste n’est qu’une longue traversée monotone et ennuyeuse que l’on ne peut même pas taxer de prétentieuse tant l’humilité de Whedon en transpire. Bon, c’est juste chiant. Un peu trop franc mais au moins c’est dit et on n’en parle plus.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux