Nom : The Brutalist
Père : Brady Corbet
Date de naissance : 12 février 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 3h34 / Poids : 10 M$
Genre : Drame
Livret de famille : Adrien Brody, Felicity Jones, Guy Pearce, Joe Alwyn, Stacy Martin, Isaach de Bankolé, Alessandro Nivola…
Signes particuliers : D’ores et déjà l’un des plus grands films de l’année !
Synopsis : L’histoire, sur près de trente ans, d’un architecte juif né en Hongrie, László Toth. Revenu d’un camp de concentration, il émigre avec sa femme, Erzsébet, après la fin de la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis pour connaître son « rêve américain ».
THE MONUMENTALIST !
NOTRE AVIS SUR THE BRUTALIST
The Brutalist a fait parler de lui à la dernière Mostra de Venise où son auteur a raflé le lion d’argent du meilleur réalisateur. Quelques mois plus tard, c’est aux Golden Globes, souvent qualifiés d’antichambre des prestigieux Oscars, que le film a fait sensation avec (encore) plusieurs trophées à la clé. Après L’enfance d’un chef et Vox Lux, The Brutalist marque l’heure de la brillante et définitive confirmation pour le jeune Brady Corbet. Son troisième long-métrage est un chef-d’œuvre, un choc esthétique, une spirale narrative et une incroyable performance d’acteur. Adrian Brody a décroché un Golden Globe du Meilleur Acteur et c’est justice tant il trouve là son rôle le plus puissant et fascinant depuis très longtemps.
Long de 3h35, avec un entracte de quinze minutes chèrement voulu et défendu par le cinéaste, The Brutalist est une fresque sur trente ans narrant le parcours de Lázsló Toth, un architecte juif, de sa fuite de la Pologne nazie pendant la Shoah jusqu’à sa nouvelle vie en Amérique et la construction d’un bâtiment ambitieux pour le compte d’un riche industriel fasciné par ses précédents travaux, qui va dévorer son âme.
Il n’est jamais très chic de ramener une œuvre de cinéma à des considérations purement mercantiles tels que son coût ou son box office. Mais parfois, il est difficile d’en faire abstraction pour diverses raisons. Si dans de nombreux cas, c’est le coût exorbitant par rapport au résultat proposé à l’écran qui est pointé du doigt, c’est l’inverse qui interpelle avec The Brutalist. 10 millions de dollars, c’est ce qu’a ridiculement coûté le film de Brady Corbet. Soit le quart du budget latex sur le tournage d’un Marvel. Et pourtant il y a plus de cinéma dans les trois heures et demi de son film que dans une centaine de blockbusters hollywoodiens décérébrés réunis. Des intentions de cinéma, des ambitions de cinéma, des gestes de cinéma, The Brutalist est un perpétuel vertige cinématographique, une folie narrative et créatrice où la moindre seconde est le fruit d’une vision artistique engagée, forte et/ou radicale.
A des degrés divers, une thématique, parfois une image, une scène, un trait de scénario ou simplement un ressenti évanescent, le film de Brady Corbet convoque de nombreux seigneurs du cinéma. On pense à Francis Ford Coppola, à Paul Thomas Anderson, à Werner Herzog, à Orson Welles, à Stanley Kubrick ou à Bertolucci. Ce qui est certain, c’est que The Brutalist est une immense pièce de cinéma qui, comme plusieurs classiques américains des années 70, ausculte les travers d’un pays en quête d’un élan de transformation mais dont les racines sont pourries par une déliquescence du rêve américain. En premier lieu, un discours puissant sur la quête de liberté, entre espoir et illusion. Le cœur du film pourrait tenir dans une citation de Goethe faite au centre du long-métrage : « Nul n’est plus esclave que celui qui se croit libre sans l’être » écrivait l’auteur-penseur allemand. Dans cette nouvelle Amérique qui s’ouvre à notre immigré rescapé de la Shoah, il est question d’un nouveau départ, d’un espoir de vie après le spectre de la mort, d’un élan de liberté après la prison mortifère des camps. Mais Lázsló Toth sera vite confronté au rejet, à l’intolérance, à l’antisémitisme rampant d’une Amérique loin d’être aussi accueillante que ne le promet sa Statue de la Liberté entrevue comme un sésame à l’arrivée au pays. Entrevue à l’envers d’ailleurs, comme s’il était question d’un symbole qui s’apprête à être renversé. Très vite, Lázsló Toth sera confronté à l’impitoyable lutte des classes dans un pays où les plus riches asservissent les plus pauvres. Il sera confronté à l’esclavage moderne, fruit d’un libéralisme sauvage. Il sera surtout confronté aux illusions d’une liberté qui n’en est pas vraiment une, sur fond de rapports de domination et de pouvoir entre les hommes. Très intelligemment, Brady Corbet symbolise doublement son idée d’un homme qui se croit libéré de l’enfer mais qui va être aliéné par un autre, plus sournois, en sombrant dans la relation étrangement malsaine qui va l’unir à un puissant homme d’affaire (Guy Pearce). Embauché par ce magnat pour imaginer un centre communautaire novateur en hommage à sa défunte mère, Lázsló Toth va se perdre dans ce rapport avec son mentor et dans ses travaux, il va s’abîmer dans sa folie créatrice, au point de voir son identité d’homme détruite. Architecturalement, il veut concevoir un monument se réclamant du style brutaliste. Personnellement, il va faire l’expérience de la « brutalisme » humain.
Brady Corbet offre à voir une fresque. Pas seulement parce que le film tient sur une durée fleuve et parcours plusieurs décennies, mais surtout car The Brutalist nous aspire dans les chapitres d’un voyage personnel intense où une vie de douleurs défile sous nos yeux ébahis. Avec, pour rythmer ce spectacle d’une destinée tragique, le portrait d’une Amérique qui finit par s’ériger en parabole de l’humanité toute entière, terrible, dure, intransigeante, autoritariste, perverse, chaotique. C’est d’ailleurs dans l’hallucinant chaos d’une Europe en proie à la Shoah que le film démarre. C’est dans l’hallucinant chaos d’une nation américaine impitoyable qu’il se poursuivra. Il y sera question de possession, à la fois de l’artiste dévoré par une création obsédante, et de l’homme vampirisé par un mentor qui veut posséder l’art mais aussi l’artiste lui-même. The Brutalist a cela de démentiel qu’il devient vite un maelström de thématiques et d’idées tourbillonnantes qui s’emboîtent à la perfection comme un puzzle. Corbet parle de la rugosité du monde des hommes, des fausses valeurs d’une Amérique cruelle, du capitalisme ravageur, des inégalités de rapports, de l’évolution des hommes en fonction du carcan dans lequel ils évoluent, de l’histoire de l’architecture, d’addiction au travail créatif (symbolisé dans l’addiction à la drogue) et de l’art en général (le rapport de l’artiste à son travail, ce qu’il met de lui dedans et comment il doit composer avec les autres parties impliquées dans le processus). En cela, le rapprochement entre architecture et cinéma n’échappera à personne. Un bâtiment comme un film, exige une abnégation de chaque instant, appelle une pression écrasante, et requiert un lot de compromis pour satisfaire les décideurs sans se compromettre soi-même artistiquement.
Tout au long de son épopée démesurée qui scrute l’humain au milieu de la marche de l’histoire, The Brutalist parlera d’art, d’architecture moderne ou post-moderne. A son tour, lui-même se sublime par la vision architecturale de son auteur qui érige chaque plan en marqueur de beauté et de monumentalisme. Des plans élaborés avec une folie fiévreuse, des plans qui se répondent d’un bout à l’autre du métrage, des plans qui voient plus loin que la simple instantanéité de l’image, des plans qui imaginent plus qu’ils ne montrent. Esthétiquement, le film de Brady Corbet est digne d’un Kubrock, une fulgurance foudroyante capturée en pellicule et en VistaVision, un procédé vintage (né dans les 1950’s) qui confère à l’image un rendu visuel très surprenant, parfois imparfait et baveux mais souvent viscéralement réaliste, loin de la propreté trop maniérée d’un Le Pianiste (auquel on a pu penser naturellement l’espace d’un instant avant la projection).
2025 vient à peine de commencer, que l’on tient déjà l’un des plus grands films de l’année. Et à n’en pas douter, l’un des futurs grands favoris des prochains Oscars. Parce que le film est une claque monumentale. Parce que son écriture est prodigieuse (la gestion narrative de l’épouse restée coincée en Europe est un modèle d’intelligence et on lui doit cet entracte si malin). Parce que Brady Corbet s’impose comme un audacieux artiste de génie. Parce qu’Adrian Brody donne tout dans une performance sidérante d’intensité. Parce qu’autour de lui, Guy Pearce ou Felicity Jones (l’épouse qui n’existe que par le souvenir et la correspondance durant la moitié du film avant d’y apparaître enfin dans un torrent de déchirement). Certains films deviennent des classiques avec le temps. The Brutalist n’en a pas besoin, il est un chef-d’oeuvre instantanément culte. Immense !
Par Nicolas Rieux