Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : The Girl with the Dragon Tattoo
Parents : David Fincher
Livret de famille : Daniel Craig, Rooney Mara, Robin Wright, Stellan Skarsgärd, Embeth Davidtz, Christopher Plummer, Julian Sands, Joely Richardson, Steven Berkoff, Goran Visnjic…
Date de naissance : 2011
Nationalité : Etats-Unis
Taille/Poids : 2h38 – 90 millions $
Favorable : Envoutant, immersif, vertigineux, palpitant et passionnant. Stylisé et élégant. On se désintéresse presque de l’enquête au profit de sa conduite.
Défavorable : A le tort d’être un remake US d’un film récent, son utilité étant en question et l’effet comparaison inévitable.
ELLE COURT, ELLE COURT… LA MALADIE DU DÉSAMOUR…
Résumé : Le journaliste Mikael Blomkvist est engagé par un riche homme d’affaire vivant sur une île isolée au nord de la Suède, Henrik Vanger, pour enquêter sur un événement tragique de son passé : la disparation et la mort supposée de sa nièce Harriet. Henrik est convaincu qu’elle a été assassinée par un membre de sa famille, en somme : un résidant de l’île. Ayant besoin de se faire oublier quelque temps et en échange de la promesse d’un dossier sulfureux sur un autre homme d’affaire que Blomkvist veut faire tomber, le journaliste accepte la proposition. Il va finir par s’adjoindre les services d’une jeune enquêtrice socialement perturbée…
Des meurtres sur fond de versets bibliques, une enquête complexe, un climat désagréable, inconfortable et peu clément, David Fincher aux commandes… Un mélange qui n’est pas sans rappeler celui d’il y a 17 ans, quand le cinéaste livra l’un des thrillers ultimes et inégalables : le mythique Seven. Si à l’époque le scénario était un script original, aujourd’hui, c’est sur une transposition que Fincher se penche pour son retour au genre et plus étrange encore, c’est sur un « remake », choix inattendu de la part de celui souvent surnommé « le virtuose » dont chaque film est attendu comme un événement et ce, en grande partie, depuis qu’il a signé le phénomène générationnel Fight Club. Sortis entre 2005 et 2007, la trilogie littéraire des Millenium rencontra un fort succès essentiellement dû à ses personnages atypiques, marqués et marquants. Tournée en 2008 sous la forme d’une mini-série télé puis sortie en salles en 2009, une première adaptation suédo-danoise conquit public et critiques avant d’être suivie des adaptations des deux autres tomes. Il n’aura fallu que très peu de temps avant qu’une version américaine ne soit mise en branle et confiée aux petits soins du prodige Fincher. De la bouche du réalisateur, l’idée d’une adaptation du roman gothico-violent nordique aurait germé dans sa tête avant même la mise en chantier du projet suédois. Mais l’énergie et les difficultés à surmonter pour convaincre un studio de se lancer dans un projet si compliqué, sordide, amoral et violent, ont eu raison de la motivation de Fincher. Mais voilà que guère après Millenium devient un phénomène mondial. Les films nordiques sortent et attirent un public large. L’idée d’une version américaine revient alors sur le tapis et Fincher de profiter de l’occasion…
Pour se faire, le projet nécessite un certain nombre de choses. Un budget conséquent tant la durée du film et les lieux de tournage risquent de gonfler la facture. Deuxièmement, que tout le monde soit d’accord sur le fait que le film sera classifié « Restricted » car il est impossible de lisser un tel projet pour en faire un film tout public voire un PG-13. Troisièmement, le duo star doit être solide car le film reposera grandement sur leurs épaules. Daniel Craig sera alors la tête d’affiche nécessaire mais qu’en est-il de la jeune enquêtrice gothique, celle faisant l’originalité et la force des Millenium, la fameuse Lisbeth ? Fincher optera pour la jeune Rooney Mara, aperçue brièvement dans son The Social Network où elle tenait tête à Jesse Eisenberg. Une jeune actrice talentueuse, un visage inconnu qui ne demande qu’à l’être, mais surtout une actrice sans exigences de star, encore docile, devant faire ses preuves et ainsi capable de se plier à toutes les demandes de son metteur en scène. Tout est réuni pour le mieux, Fincher compose…
Et s’il y a bien un cinéaste qui est capable de nous plonger dans un univers sombre, torturé, immersif, c’est bien lui. Si l’on a non pas vu mais vécu Seven recroquevillé et tendu comme un arc en 1995, si l’on n’a pas été bluffé par l’hallucinant et ingénieux récit de The Game en 1997, si l’on n’a pas été assommé par l’uppercut que fut Fight Club en 1999, alors c’est qu’on est définitivement hermétique au style de l’un des grands génies de sa génération. Toujours est-il qu’il a ce talent fou pour non pas nous proposer de voir un film mais pour nous y immerger, pour nous le faire vivre, ressentir. Et c’est ce qu’il va faire une fois de plus. Mettant de côté l’original suédois, Fincher créé de toutes pièces son propre Millenium, sa propre version, sa propre vision. Passé un générique étrangement clippesque puissant de force et de beauté sur la chanson Immigrant Song réorchestrée par Raznor (un pur moment hors du film façon générique des James Bond), Fincher nous plonge enfin dans un récit de 2h40 qui pourtant, malgré sa longue durée, va passer comme si de rien n’était.
En grand virtuose intelligent qu’il est, la construction de Millenium va être sa principale force. Certes, Fincher ne crée pas, il se base sur un roman existant. Qu’importe. Si foule de metteurs en scène auraient pu trouver un moyen d’édulcorer, de réduire et de concentrer le film, Fincher lui ne cherche aucunement cela. Violent, sordide, sans concession, glauque, tout y sera sans passer par la moulinette de l’œil policé hollywoodien (quoique… mais nous y reviendrons). Millenium est dès lors une plongée hallucinante et dérangeante, inconfortable et vicieuse, dans un monde sombre, très sombre, aussi sombre que la, en apparence, frêle gothique Lisbeth, co-héroïne du film. Avec tout son art pour déployer une mise en scène prodigieuse d’élégance, de raffinement, de fluidité, Fincher nous prend par le col dès les premières minutes et nous entraîne pour nous faire vivre pleinement sa dernière pièce de maître. Par un brillant jeu de dialogue entre l’œuvre et le spectateur, on ressent chaque émotions, la douleur, le froid, la colère, la rage, l’obsession pour l’enquête, le travail minutieux… Le cinéaste parvient à confondre fiction et réalité, brouillant notre esprit pour nous captiver au point d’être émotionnellement impliqué par un récit où finalement, la réponse recherchée, la solution résolvant le mystère, ne devient quasiment qu’anecdotique. Étrange pour un thriller narrant une enquête. Mais la force incroyable et l’originalité du film est de nous captiver non pas par la recherche d’une réponse mais par la façon dont l’enquête se déroule, par la façon dont elle est menée, conduite par un duo de personnages incroyables, totalement opposés et entre lesquels une relation de confiance extrêmement fragile va se tisser. Vertigineux, l’on est donc intensément pris par cette folle recherche de la résolution d’une énigme, par ce jeu de traque du détail passé inaperçu. Et Fincher d’y mêler quelques intrigues parallèles. Si une partie du film s’attache à suivre deux personnages différents, chacun dans leur univers séparé et dans leur vie respective, à aucun moment l’un des deux récits ne viendra interférer sur la qualité de l’autre. Parfaitement cohérent, parfaitement équilibré, parfaitement orchestré, le montage va et vient avec intelligence et les quelques intrigues parallèles (comme la relation entre Lisbeth et son nouveau tuteur) s’emboîtent idéalement sans jamais venir perturber le corps principal ni le faire dévier de sa conduite maîtrisée.
Millenium permet à Fincher d’aborder une fois de plus des sujets qui lui sont chers comme la folie, la paranoïa, la société frauduleuse, corrompue, la marginalité… On s’étonne encore du choix du réalisateur ? Violent, sadique, il ne fait que peu de concessions dans le traitement du récit de base et donne à son film un cachet inconfortable et dérangeant mettant à mal le spectateur qui risque d’être malmené par certaines séquences dures, crues et douloureuses (et incroyablement jouées par la révélation Rooney Mara, exceptionnelle et s’abandonnant à corps perdu dans son rôle). Thriller noir complexe, drame intense, plongée dans le vice et l’horreur faite homme… Millenium brille de mille feux.
Si cette nouvelle œuvre fincherienne est brillante en soi, en la prenant comme telle, elle ne vient pas pour autant effacer la très appréciée version suédo-danoise antérieure. Pour ceux qui ont pu la voir, forcément, il va être fort compliqué de faire la part des choses, de l’occulter et de se délecter de ce Millenium version US-2011 avec objectivité, fraîcheur, comme une œuvre nouvelle. Pour prendre un exemple récent équivalent, autant Laisse Moi Entrer de Matt Reeves était un bon film en soi, autant il était impossible d’oublier son prodigieux modèle, le nordique et sublime Morse aussi supérieur que différent. Idem pour Les Infiltrés de Scorsese par rapport au Infernal Affairs hongkongais. Autant d’exemples de remakes de qualité vus indépendamment, mais qui souffraient de la passion des cinéphiles pour les modèles originaux derrière lesquels ils passaient. Mais Fincher évite déjà l’écueil d’édulcorer le roman et l’on en attendait pas moins de sa part. Néanmoins, au jeu des petites différences, on sent tout de même poindre un léger traitement hollywoodien dans la recherche d’une accentuation de l’empathie, dans le développement de la relation « sentimentale » entre les deux protagonistes. Si de menus détails sont modifiés (avec au passage du placement de produit pour McDo), certaines séquences en revanche subissent un « retravaillage » dommageable mais il est difficile d’en parler sous peine de dévoiler certains points du récit. On pensera en tout cas à la quête inconsciemment vengeresse d’une Lisbeth dont la finalité, en fin de métrage, est différemment vue d’un film à l’autre avec une grande préférence en termes de sens, d’intelligence et de cohérence sur ce coup là, pour la version suédoise.
Maîtrisé, virtuose, vertigineux, Millenium est un somptueux thriller glaçant, hypnotique où l’on ne peut être que captivé par la mise en place d’un puzzle complexe et millimétré. Révélant un duo d’exception campant des personnages passionnants (bien que la pauvre Rooney Mara ne puisse soutenir, aux yeux des fans, une comparaison qu’elle perd d’avance avec Noomi Rapace, actrice de la version originelle), Millenium est un bonheur de thriller grâce à l’intelligence, au talent et à l’élégance de Fincher. Vierge de toute vision de la version suédoise, l’on ne peut qu’être pris aux tripes et à la gorge par la beauté glaciale et envoûtante d’un film vraiment de grande facture. Pour les autres, il va être difficile de faire abstraction du précédent d’autant que cette vision américaine semble être considérée unanimement comme inférieure. Risque alors de débuter ce petit jeu des « sept différences ». Dommage car en soi, Millenium par Fincher, c’est du bonheur cousu main, malin et totalement immersif. Pas vraiment un remake mais plus une autre version.
Bande-annonce :