Mondo-mètre
Nom : Under the Skin
Père : Jonathan Glazer
Livret de famille : Scarlett Johansson (Laura), Jeremy McWilliams (l’homme à la moto), Lynsey Taylor Mackay, Dougie McConnell…
Date de naissance : 2013
Majorité : 25 juin 2014 (en salles)
Nationalité : Angleterre
Taille : 1h45
Poids : Budget de 8 M£
Signes particuliers (+) : Une pure expérience de cinéma sensorielle, obsédante et envoûtante, film expérimentaliste radicalement différent et déconcertant, portée par une Scarlett Johansson impressionnante qui ose enfin s’essayer à un cinéma plus ardu, plus personnel, plus marginal.
Signes particuliers (-) : Des longueurs, quelques redondances figuratives et narratives, et un côté parfois un peu trop démonstratif pour ne pas dire nombriliste.
QUAND SCARLETT SE MET À NU ET TOMBE L’HABIT DE STAR
LA CRITIQUE
Résumé : Une extraterrestre arrive sur Terre pour séduire des hommes avant de les faire disparaître.
L’INTRO :
Scarlett Johansson qui abandonne sa clause de non-nudité pour se dévoiler totalement ! Voilà qui précipitera sans nul doute la gente masculine dans les salles afin de découvrir la belle dans son plus simple appareil. D’autant que c’est pour les besoins d’un film de science-fiction où elle campe une extra-terrestre séduisant les hommes pour les faire ensuite disparaître… STOP. On annule tout et on recommence. Dans le bon sens cette fois.
L’AVIS :
Nouveau film du trop rare Jonathan Glazer, qui n’avait plus rien tourné depuis l’étrangement sublime et irrévérencieux Birth en 2004 (avec Nicole Kidman), Under The Skin est très loin de ce qu’a pu faire précédemment le cinéaste. Le seul dénominateur commun est la capacité du metteur en scène à surprendre. Et pas qu’un peu. On oublie donc l’étonnement devant la nudité totale de la belle Scarlett pour davantage s’attarder sur la surprise de sa participation à un tel projet, petit budget expérimentaliste déconcertant qu’il conviendra de ne pas mettre entre toutes les mains. Car mieux vaut prévenir que guérir, ceux qui attendent un nouvel opus de La Mutante risqueront d’être passablement déboussolé. Under the Skin n’a rien, mais alors vraiment rien, du film traditionnel, que ce soit dans sa narration, sa facture ou sa mise en scène.
Fable sur le monde et le regard que l’on pourrait poser sur lui avec un œil neuf et préservé de toutes références ou points d’ancrage pré-existants, Under the Skin est un pur OFNI d’une rare exigence pour un film « de genre » qui n’en est d’ailleurs pas vraiment un. Une œuvre non-identifiée pour laquelle Glazer invente une nouvelle grammaire cinématographique totalement déboussolante, à mi-chemin entre l’exercice philosophique et métaphysique et le cinéma expérimental hypnotique. Des tas d’adjectifs défilent face à ce maelström d’images sensorielles hapant dans un univers fait de sons, de couleurs, de scènes étrangement fascinantes et parfois absconses. Dérangeant, inconfortable, viscéral, obsédant, singulier, enivrant, lent, cyclique, décontenançant, troublant, incompréhensible, pur, brut, épidermique… Under the Skin nous plonge dans un état de confusion, à l’image de son personnage errant comme perdue dans une Ecosse à l’étrangeté palpable. Surtout, Under the Skin n’est pas un film, c’est une sensation, une œuvre entièrement ancrée dans le ressenti, à laquelle on adhère ou pas et encore, tout est bien plus complexe que cela. Car pour ceux qui franchiront la barrière d’une forme et d’un langage iconoclastes, le travail de Jonathan Glazer reste anti-teinte, jamais ni blanc ni noir, toujours à la lisière de sentiments contradictoires nourrissant la réflexion, l’analyse, le trouble.
Risqué et audacieux dans la forme comme dans le fond, Under the Skin aurait pu prétendre à la sélection « Un Certain Regard ». Sur quoi ? Sur le cinéma tout simplement. Jonathan Glazer adapte un roman de Michel Faber recourant à une thématique déjà multi-traitée au cinéma, celle de l’extraterrestre « explorant » notre monde. On pense à L’homme qui venait d’ailleurs de Nicolas Roeg, on pense (plus vieux et plus bis) au Monstre aux Yeux Verts de Romano Ferrara ou encore à l’évoqué La Mutante de Roger Donaldson. Pourtant, Under the Skin n’est rien de tout ça. Déconstruit, mystérieux, le film de Glazer ne donne aucune clé de compréhension, il ne se suit pas, il se vit, il ne divertit pas, il se ressent, il ne se regarde pas, il s’appréhende. Presque un a-film, une œuvre de la marge. Filmé par le prisme du regard de son « héroïne » mutique, Under the Skin est une balade fonctionnant sur des codes très éloignés du cinéma classique. Aucune histoire à proprement parlé, aucune empathie envers son personnage, aucune morale ou jugement de valeur, aucune recherche de l’émotion et encore moins de l’efficacité, aucune linéarité, aucun repère… Seulement l’incarnation d’un axe/personnage dans une œuvre à la limite de la conceptualisation formelle. Un pur essai filmique à ambiance (et quelle ambiance avec ce cadre d’une Ecosse presque irréellement rebutante) avec, oui, la star des stars, Scarlett Johansson.
Et qu’il est bon d’ailleurs de voir la bimbo de Captain America et autres Avengers s’aventurer sur les terres ardues d’un cinéma radicalement différent et personnel. Qu’il est bon de la voir se mettre à nue (dans tous les sens du terme) pour s’abandonner avec malléabilité, entre les mains de son metteur en scène. Qu’il est bon de la voir ainsi porter un film entièrement sur ses épaules dans un rôle ingrat (elle ne parle que très peu, elle ne dégage aucun sentiment si ce n’est une froideur et un non-jeu qui en est un à lui-seul, et un difficile, elle se confronte à des scènes moralement osées comme l’étourdissante séquence de la plage). Qu’il est bon de la voir prendre des risques, oser, casser son image de bombe érotique pour s’essayer à des projets périlleux comme celui-ci. Car Under the Skin est un anti-film d’extraterrestre, pas loin de l’anti-film tout court. Plus une expérience saisissante affirmée et épanouie dans un cinéma de l’altérité.
On n’aura de cesse de prévenir mais Under the Skin est une œuvre, certes magistrale dans son genre, mais résolument auteurisante, ciblant un public davantage cinéphile, capables de soutenir l’extrême diversité du septième art, capable de se laisser envoûter par des 2001, L’Odyssée de l’espace, des Enter the Void ou des Amer. Malgré des longueurs évidentes, malgré quelques envolées démonstratives manquant parfois de discernement, notamment quand Glazer se laisse aller sans retenue à se regarder un peu filmer au lieu de se focaliser sur l’essentiel de son travail, malgré un tournoiement en rond certes explicable par les ambitions du cinéaste mais que l’on aurait aimé voir adossé à une réelle histoire soutenue par des enjeux plus marqués, Under the Skin marque, dérange, interroge, pousse dans ses retranchements. Et rien que pour ça, il force le respect.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux