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THE DOUBLE de Richard Ayoade
Critique – Sortie ciné

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Spectateurs

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note 6.5
Carte d’identité :
Nom : The Double
Père : Richard Ayoade
Livret de famille : Jesse Eisenberg (Simon/James), Mia Wasikowska (Hannah), Wallace Shawn (Mr Papadopoulos), Noah Taylor (Harris), Yasmin Paige (Melanie), Phyllis Somerville (mère de Simon), James Fox (Colonel)…
Date de naissance : 2013
Majorité : 13 août 2014 (en salles)
Nationalité : Angleterre
Taille : 1h33
Poids : Budget NC

Signes particuliers : Richard Ayoade s’empare du roman Le Double de Dostoïevski et signe un drame fascinant et teinté d’étrangeté, déployant une subtile réflexion sur la solitude moderne, le dénigrement, et la frustration sociale. Un film puissant lorgnant vers Terry Gilliam ou Polanski.

 

LE COMBAT FRATRICIDE DU MOI ET DU SURMOI

LA CRITIQUE

Résumé : Garçon timide, Simon vit en reclus dans un monde qui ne lui témoigne qu’indifférence. Ignoré au travail, méprisé par sa mère et rejeté par la femme de ses rêves, il se sent incapable de prendre son existence en main. L’arrivée d’un nouveau collègue, James, va bouleverser les choses, car ce dernier est à la fois le parfait sosie de Simon et son exact contraire : sûr de lui, charismatique et doué avec les femmes. Cette rencontre amène James à prendre peu à peu le contrôle de la vie de Simon…LE DOUBLE L’INTRO :

On avait découvert le talent de cinéaste de l’acteur Richard Ayoade (vu dans la série The It-Crowd ou le film Voisins du Troisième Type) avec le bouleversant et magnifique Submarine, teen movie et comédie dramatique existentielle anglaise tournée en 2010, qui était venue souffler un vent d’air frais dans un registre dominé par les films indépendants américains qui tendaient déjà à tous se ressembler les uns les autres. Pour son second long-métrage, le réalisateur s’empare d’un auteur et d’un sujet au combien difficile en adaptant le second roman de Fiodor Dostoïevski, Le Double, paru en 1846. L’histoire kafkaïenne (curieuse expression au final, Dostoïevski appartenant à une époque antérieure à l’écrivain tchèque) d’un homme « invisible » par la société, timide maladif peinant à exister et à s’affirmer en tant qu’individu et souffrant de ce manque de reconnaissance publique. L’apparition d’un étrange et mystérieux « double » en tout point opposé à sa personnalité, va provoquer sa rupture psychologique… Roman Polanski devait monter une adaptation avec John Travolta en 1996. Une brouille entre les deux hommes eut raison du projet. Sous la direction d’Ayoade et avec le prodige Jesse Eisenberg devant sa caméra, The Double a enfin droit au traitement que méritait l’extraordinaire et précurseur ouvrage russe.327320.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx

L’AVIS :

Sautant à pieds joints dans un genre radicalement différent de son précédent effort, Richard Ayoade a su conserver les qualités et les thématiques qui ont fait de son Submarine, petit bijou britannique à la fois innovant et poétique. Une sensibilité personnelle et singulière, une mise en scène d’une précision extrême, un grand soin porté au travail de l’image, des couleurs et de la bande-son, une direction d’acteurs minutieuse et participative, poussant ses comédiens à dépasser leurs propres limites et surtout une faculté magistrale à traiter de l’inadaptabilité sociale sur fond de climat existentiel opérant comme un miroir tendu… Simon James est un être « insignifiant », du genre dont on ne remarque pas la présence. Un maladroit déphasé et frustré, écrasé par le monde, la société, ses congères, qui lui dénient ce qui constitue l’essence même de l’être humain, la conscience de sa propre existence. Quand James Simon, son « double » parfait, fait irruption, son vacillement est inéluctable. Personne ne note leur similarité. Leur différence de comportement est un fossé suffisant pour les distinguer et les opposer frontalement. L’un est renfermé, chétif, vitreux, absent, pire que quelconque. On pourrait passer au travers sans même s’en rendre compte. L’autre est beau-parleur, sûr de lui, à l’aise dans le monde, à l’aise avec les autres, bien dans son costume, sa peau, sa vie. Tout ce que Simon n’est pas.052492.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx

Mais cette histoire de Doppelganger n’est ni plus ni moins que l’illustration des deux facettes d’un même individu, la réelle et la fantasmée, celle de surface et celle plus profondément enfouie, celle d’apparence et sa contre-dynamique mentale contraire, poussant un personnage aux confins de la folie par instabilité et désordre psychique né de la frustration du quotidien, du dénigrement, de la solitude. Une division qui nécessitait un acteur de génie pour trouver parfaite retranscription dans ce numéro d’antagonisme. Et jamais The Double n’aurait pu être ce qu’il est sans la présence habitée de Jesse Eisenberg, impressionnant de nuances dans ce double-rôle aux visages aussi opposés que complémentaires.372938.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx

Drame psychologique au parfum de mystère permanent, cet inquiétant The Double est un film oppressant et drolatique, touchant et mélancolique, cumulant les ressentis les plus divers, quand tantôt il fascine, tantôt il bouleverse, tantôt il terrifie, révolte, angoisse, amuse ou attriste. Au carrefour d’influences diverses laissant songer à Terry Gilliam, Kaurismaki, Lynch, Polanski ou Cronenberg, lorgnant vers Brazil en moins loufoque et en plus troublant d’étrangeté et de dureté, The Double embarque dans une œuvre hypnotisante et claustrophobique aux allures d’expérience intimiste et glaçante, décryptant un malaise d’actualité avec une acuité saisissante. La place de l’homme dans la société globalisante, la transparence de l’individu, le sentiment de profond esseulement malgré les présences environnantes, la dérive vers la rupture mentale… Mais surtout, The Double parle de la solitude moderne et de la frustration sociale, de cette sensation de ne pas exister, d’être hors de son corps alors que défile sa vie dans laquelle on ne parvient pas à trouver point d’ancrage. Le panorama d’émotions déployées par The Double est envoûtant, et l’absence d’ancrage spatio-temporel (le film n’a ni géographie ni temporalité définie) vient renforcer sa dimension universelle, aidée par des décors rétro-futuristes minimalistes et pourtant d’une richesse inouïe dans leur symbolique, eux qui participent d’illustrer de façon parabolique, l’esprit torturé, déséquilibré et fou du personnage.350446.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx

The Double aurait pu n’être qu’un anecdotique thriller haletant et manipulateur s’il avait été contraint de se cantonner à un dispositif répondant aux diktats de la production classique du simple thriller ou du fantastique. S’il lui manque peut-être une atmosphère de paranoïa davantage appuyée, un rythme mieux ficelé dans la progression de son intensité dramatique ou une meilleure utilisation de son ambiance voulue et recherchée de confusion des sens, Richard Ayoade et son coscénariste Avi Korine (frère d’Harmony Korine) parviennent tout de même à transfigurer leur sujet en le hissant au rang de parabole chaotique désarmante, devenant sous la caméra du metteur en scène, un film d’auteur passionnant, aux nombreuses possibilités de sous-lectures. Œuvre déroutante et très élaborée dans sa mécanique, The Double est un film sombre et d’une immense justesse dans sa façon de mettre en exergue le pressurisant conflit intérieur chez chacun entre le Moi et le Surmoi, ce que l’on est consciemment et ce que l’on aimerait être dans notre inconscient. Imparfait et pourtant virtuose parfois, la fracture d’un film tout en nuances et très singulier tournant le dos au cinéma conventionnel pour s’immerger dans un style très « particulier » mais magnétique.

Bande-annonce :

Par Nicolas Rieux

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