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MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE de Tobe Hooper
Critique – Ressortie Ciné

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note 10 -10
Nom : The Texas Chainsaw Massacre
Père : Tobe Hooper
Date de naissance : 1974
Majorité : 29 octobre 2014
Sexe : Sortie en salles – version restaurée 4K
Nationalité : USA
Taille : 1h30
Poids : 83 000$
Type : Horreur
Livret de famille : Marylin Burns (Sally), Allen Danziger (Jerry), Paul A. Partain (Franklin), Gunnar Hansen (Leatherface), William Vail (Kirk), Teri McMinn (Pam), Jim Siedow (vieil homme), John Dugan (Grand-père), Edwin Neal (auto-stoppeur)…

Signes particuliers (+) :  Sans doute l’un des films de genre qui aura le mieux su transcender son statut pour se hisser en métaphore rageuse de l’état de l’Amérique de son époque. Absolument parfait.

Plus d’infos sur la ressortie en salles puis en blu-ray dans notre article sur la soirée anniversaire des 40 ans du film, à lire ici.

IL ÉTAIT UNE FOIS IL Y A 40 ANS…

LA CRITIQUE

Résumé : Jeunes et insouciants, cinq amis traversent le Texas à bord d’un minibus. Ils s’aperçoivent bien vite qu’ils sont entrés dans un territoire étrange et malsain, à l’image du personnage qu’ils ont pris en stop, un être vicieux en proie à des obsessions morbides. Ce dernier ne tarde pas à se faire menaçant. Mais les cinq amis parviennent à s’en débarrasser. Peu de temps après, une panne d’essence contraint le groupe à s’arrêter à une station-service. Non loin de là, une maison isolée attirent leur attention. Deux d’entre eux décident de s’y aventurer, mais lorsqu’ils tentent de pénétrer à l’intérieur, un boucher masqué surgit et massacre les deux adolescents avec une tronçonneuse. Un de leur camarade, parti à leur recherche, subit le même sort. Il ne reste alors plus que deux survivants, et la nuit commence à tomber…leatherface74malt L’INTRO :

On a tout entendu sur Massacre à la Tronçonneuse, le seul et l’unique, celui réalisé par Tobe Hooper en 1973. Film ultra-gore, insoutenable, film interdit dans plein de pays, inspiré de faits réels… Pourtant, il est une vérité qu’il serait bon de rétablir. Non, Massacre à la Tronçonneuse n’est pas un film gore à proprement parler. Témoin, quasiment aucune goute de sang n’est versée. Et non, il n’est pas juste un petit film d’horreur tourné au fin fond du Texas par quelques fans de cinéma de genre, désireux de choquer l’Amérique. Le chef d’œuvre absolu de Tobe Hooper est tout simplement l’un des plus grands films de tous les temps, dépassant son seul genre et statut, et il serait trop long ici, d’en expliquer totalement le pourquoi ou d’en faire une analyse complète. Le temps nous en manquerait et Massacre à la Tronçonneuse est bien trop riche pour cela. A l’occasion de son quarantenaire, le film s’offre une ressortie en salles en version entièrement remastérisée en 4K. Ce chef d’oeuvre historique inspiré de la folie tueuse du tristement célèbre serial killer Ed Gein, méritait bien ce lifting lui rendant hommage.massacre-a-la-tronconneuse-5

En 1973, au sortir du four commercial de son expérimental Eggshells, Tobe Hooper et son complice Kim Henkel, cherchaient un sujet pour un film facile à monter et à produire et qui surtout, permettrait de se renflouer rapidement en dégageant des bénéfices quasi-immédiats. L’horreur était le registre tout désigné, faible coût mais à fort potentiel commercial. Le duo se met alors à écrire. Et comme né des traumatismes personnels et par extension, de ceux de l’Amérique de l’époque, Massacre à la Tronçonneuse va voir le jour. Tout est culte dans le film, de son contenu à son statut, de son personnage à plusieurs séquences restées dans l’histoire en passant par son tournage savoureux d’anecdotes. Légende ou réalité, on évoquera les crises d’hystérie des comédiennes, les évanouissements lors du tournage de plusieurs séquences, les colères, tensions et difficultés; Reste que c’est tout une équipe à bout de nerf qui traversera ce cauchemar artistique, inconscient alors d’être en train d’écrire l’Histoire avec un grand « H ».massacre_a_la_tronconneuse_the_texas_chainsaw_massacre_1974_portrait_w858

L’AVIS :

Sur un plan purement historique, Massacre à la Tronçonneuse est un film fondateur qui va poser des bases tellement fortes et puissantes, que c’est tout le cinéma de genre sur plusieurs décennies à venir qui va lui devoir un tribut. Le film de Tobe Hooper sera pillé à tout-va, que ce soit pour son imaginaire redneck, pour son tueur charismatique, mutique et imposant, pour son ambiance malsaine et poisseuse, pour ses personnages naïfs, pour sa famille de psychopathes lunaire… Pillé, copié mais jamais égalé. Y compris dans les vaines tentatives de remake qui d’ailleurs, ne chercheront jamais, par honnêteté et décence, à ambitionner de se hisser à son niveau d’excellence.massacre_a_la_tronconneuse1

Par cette sombre virée hallucinée en plein cauchemar irréel pour une petite bande d’amis au doux parfum hippie, Hooper et Henkel ne sont pas parfaitement conscients de l’énormité de leur brûlot socio-politico-économique. Massacre à la Tronçonneuse est en effet bien plus qu’un simple film d’horreur. Il est avant toute chose, le portrait d’une Amérique en déliquescence. Le portrait d’une Amérique qui a voulu avancer, s’industrialiser, se moderniser, mais qui a oublié de le faire avec uniformité. Et pendant que les grandes mégalopoles se développent, pendant que les citadins entrent dans une nouvelle ère, il est une autre Amérique, celle reculée, oubliée, celle que l’on a abandonné sur le bord de la route en s’en désintéressant. Cette Amérique est personnifiée ici par ces anciennes populations vivants des vieux abattoirs fermés depuis, ces laissés-pour-compte abandonnés à leur misère et à leur inactivité, pourrissant sous le lourd soleil texan. Une Amérique marginalisée qui, aujourd’hui, réclame son dû, qui se réveille, qui agresse. Qui agresse qui ? Cette génération bercée d’espoir, de rêves d’avenir, qui va devoir affronter cette réalité en face. Dans son précédent Eggshells, Hooper parlait de cette génération hippie naïve, pleine d’illusions. Aujourd’hui, il la place en face d’une réalité sordide qu’elle occultait. C’est la fin des rêves pour elle, bienvenu dans l’enfer de ce qu’est vraiment l’Amérique « moderne ». Une Nation qui produit elle-même ses criminels, qui engendre elle-même ses propres démons intérieurs, ses propres rejetons. Car cette famille de déséquilibrés psychopathes, l’Amérique moderne l’a créé de toutes pièces. Et elle va devoir vivre avec cela. Le cinéaste la place donc frontalement sur le chemin joyeux et radieux de ce petit groupe tout beau, tout exalté. Et le cauchemar qu’ils vont vivre ne va être qu’une dure chute des cieux ensoleillés des illusions vers l’enfer de la réalité tragique, sordide, glauque et torturée.massacre-a-la-tronconneuse

Alors, Massacre à la Tronçonneuse est-il toujours un simple film d’horreur ou faut-il continuer la dissertation ? Le film de Tobe Hooper est un pamphlet à la puissance ravageuse. Un pamphlet qui va revêtir une puissance destructrice car tourné en prenant la forme d’un film d’horreur viscéral. Hooper ne fait pas dans le manichéen classique propre au genre à venir derrière lui. Ses personnages, gentils comme méchants (d’ailleurs, au fond, qu’est-ce que cela veut vraiment dire ici, dans un film où les méchants n’ont pas conscience de leurs horreurs, comme des animaux n’ont pas conscience de leur cruauté animale, car il n’y a pas de morale qui tienne pour eux, seulement la vie, la survie) ont tous quelque chose qui les raccroche à la réalité. Les Jason ou Michael Myers sont des machines à tuer. Leatherface, le personnage emblématique de Massacre à la Tronçonneuse, est avant tout un être fait de chair et de sang, un être qui vit comme il a appris à vivre et non selon des codes de moralité ou d’immoralité. Témoin, une superbe scène discrète mais majeure où la caméra s’attarde sur son regard alors qu’il est assis sur une chaise, perdu, désemparé. Rarement un tueur n’aura été autant humanisé par un cinéaste de genre, fouillant bien plus loin que la simple personnification du mal que l’on veut bien y voir.671bf54539604b73918daeefeecfe4ea

On pourrait s’étendre de long en large et en travers en parlant des exceptionnelles scènes d’anthologie du repas familial, de la poursuite dans les bois où Leatherface déchaîné avec sa tronçonneuse, pourchasse Sally Hardesty (dont le nom a son importance, « hard » signifiant « dur »), du final où il tourbillonne sur lui-même de folie alors que sa proie lui échappe en hurlant sa rage et sa douleur dans une double expiation/exutoire tragique. Mais ce serait presque perdu d’avance devant un chef d’œuvre qui, parce qu’il est un film de genre, semble être voué à ne jamais être accepté comme un film majeur de l’histoire du cinéma si ce n’est aux yeux de ceux qui veulent bien le décortiquer comme le brillant Jean-Baptiste Thoret, auteur d’un livre très complet sur la question.The-Texas-Chainsaw-Massacre-75

On préfère y voir le film d’horreur ultime, ce qu’il est aussi, aux côtés de ces nombreuses thématiques passionnantes abordées. Un chef d’œuvre d’angoisse et de stress qui nous plonge dans la définition même du cauchemar par l’entremise de cette poignée de personnages au calvaire filmé avec frontalité et rugosité. Rarement un film n’aura eu une telle force évocatrice dans la description d’un enfer. Le chaos qui s’installe autour des ces jeunes gens tombés là où il ne fallait pas, est l’objet d’une furie barbare de chaque instant où la survie devient à la fois le problème numéro un et presque une sorte d’impossibilité tragique. La folie irréelle, déboussolante, criarde et bruyante de cet environnement craspec dans lequel ils échouent comme pris au piège, va donner un cachet loufoque, presque comique parfois, tournant en dérision le genre. Dans tous les cas, Massacre à la Tronçonneuse réussit à surplomber le spectateur, à annihiler toute distanciation pour l’impliquer au centre du cauchemar relaté.The_Texas_Chainsaw_Massacre_1Alors, il ne reste qu’une chose à faire, dire merci à Tobe Hooper, à Kim Henkel mais aussi à toute l’équipe et le casting qui a permis au film de voir le jour. A Marilyn Burns (Sally) qui a souffert et donné de sa personne, à Gunnar Hansen (immortel Leatherface) pour son incroyable prestation silencieuse et à tous les autres. Cette « métaphore de la conjoncture de l’époque » selon Hooper est prodigieuse. L’Amérique était agonisante, le scandale du Watergate était la goute de trop symbolisant le pourrissement d’un pays de l’intérieur, et le film allait matérialiser tout cela sur grand écran. Aujourd’hui, 40 ans après, Massacre à la Tronçonneuse a toujours la même force et mettrait à mal n’importe quel film d’horreur mis à ses côtés. Pour exemple, une anecdote relatée par Tobe Hooper. Alors que Michael Bay préparait la production de son remake version Marcus Nispel dans les années 2000, il a consulté le cinéaste pour lui parler de son travail. Sur une scène où Leatherface ferme brutalement le rideau de fer, Bay exposait sa vision de la scène et le petit plus qu’il souhaitait y rajouter (on verrait l’œil de Leatherface par un trou) en disant « voilà, comme ça, ça va faire encore plus peur ! ». Hooper l’a écouté, a acquiescé… Bay n’avait rien compris. Massacre à la Tronçonneuse n’avait pas besoin de « trucs » pour terrifier, pour tétaniser. Sa simplicité faisait tout. Et de toute façon, la terreur n’était pas son but. Il ne montre pas la terreur. Il est la terreur.

A propos de la nouvelle version restaurée 4K : Que ce soit la beauté de l’image, son piqué, son grain, sa netteté ou le travail effectué sur le rendu sonore, cette nouvelle version restaurée en 4K offre des conditions optimales pour découvrir ou redécouvrir ce chef d’oeuvre intemporel. Même pour les plus aficionados connaissant le film par coeur (comme nous), ce travail de restauration donne lieu à un champ des possibles incroyables, permettant presque de revoir sous un jour nouveau certaines séquences. Absolument extraordinaire. 

Bande-annonce :


Par Nicolas Rieux

3 thoughts on “MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE de Tobe Hooper
Critique – Ressortie Ciné

  1. Article de très grande qualité, le meilleur pour le meilleur peut-on dire.
    J’ai vu le film en 1994, j’avais 16-17 ans. Avec un titre pareil et les certitudes d’un ado, j’étais persuadé d’assister à un déluge gore, ce qui ne me tentait guère mais je tenais à le voir, presque par snobisme. Et si j’ai difficilement encaissé le choc, c’est que non seulement je ne m’attendais pas à « ça », mais qu’en plus le film était beaucoup plus choquant que prévu, mais de manière différente de celle « redoutée ». La preuve, quelques séquences suffisent, vingt ans après, pour remettre les nerfs à rude épreuve.
    Hooper a signé un sans-faute, fond & forme. La pellicule granuleuse, cette bande-son merveilleusement pensée, ces images bizarres, cette absence d’hémoglobine…et j’étais toujours certain d’avoir vu Leatherface accrocher cette pauvre brune…mais non. Le fait est que l’enchaînement est tellement réussi qu’on reste convaincu d’avoir vu ce qui n’est pas apparu à l’écran. Et derrière ces détails « techniques », cette chute de l’Amérique dans ses propres abîmes, merde, on en a fait des tartines de ce film mais (longtemps, le temps d’encaisser) après visionnage, on se dit que sur le moment on est passé à côté d’un truc. La force des grandes oeuvres…

    1. Très bonne remarque Vince77 sur le fait qu’on garde cette impression d’avoir vu certaines choses qui en réalité n’y était pas. le film s’ancre dans l’inconscient et c’est très juste ce que tu soulignes. Les scènes sont tellement fortes qu’on a vu des choses sans les voir tant son pouvoir de suggestion est puissant. Merci pour ton commentaire.

  2. Merci pour cette magnifique analyse du film, et pour toutes les explications que je ne connaissais pas.
    Et en effet « Massacre à la tronçonneuse » est un film d’horreur devenu culte, mais quand on regarde un peu en profondeur c’est le visage d’une Amérique torturée que nous voyons.

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