Mondociné

Le saviez-vous ? : La rivalité Delon-Belmondo sur Borsalino

Partagez cet article
Spectateurs

Aux États-Unis, le célèbre Heat de Michael Mann est devenu culte parce que, outre le fait d’être un excellent polar, il marquait enfin la rencontre au sommet entre Al Pacino et Robert de Niro, deux légendes du cinéma en un sens cousines. En France, on a eu Borsalino. Réalisé par Jacques Deray et sorti en février 1970, le film fut la première véritable occasion de voir les deux grandes vedettes du moment partager l’affiche, d’un côté Alain Delon, de l’autre Jean-Paul Belmondo. Deux noms, deux superstars, deux mythes en pleine construction, et surtout deux champions du box office à la fois proches et opposés. Proches parce qu’ils ont débuté à la même période et parce que leur ascension commune a été parallèle. Opposés car les deux acteurs ont toujours été des Némésis l’un de l’autre. Belmondo incarnait la chaleur, la gouaille, une certaine formule faite de bonne humeur, de sympathie et de légèreté. A l’inverse, Delon était plus froid, plus intérieur, moins comique et plus du genre ténébreux. A l’époque, Borsalino était un pari, un énorme coup marketing. L’idée était de voir les deux « frères ennemis » du cinéma français réunis dans un même film, eux qui ne s’étaient que furtivement croisés auparavant sur Sois belle et tais-toi (1958) et Paris brûle-t-il ? (1966). Deux frères ennemis qui ont toujours été vus comme des rivaux un peu jaloux du succès de l’autre. Belmondo voyait chez Delon un certain élitisme, Delon voyait chez Bébel un côté populaire « inférieur ». A ce titre, Alain Delon sortira des années plus tard dans une interview, qu’il était un acteur, là où Belmondo était un comédien. Pour lui, un acteur vit ses rôles, un comédien les joue.

Bref, été 68, Alain Delon tombe sur le bouquin Bandits à Marseille d’Eugène Saccomano (oui oui, le journaliste de foot) et un chapitre en particulier lui tape dans l’œil, celui racontant l’ascension de Paul Carbone et François Spirito, deux amis-truands de la pègre marseillaise des années 30. Delon en achète les droits et tente de monter le projet avec une idée en tête, se mesurer à son rival Bébel. Pour réaliser le film, il fera appel à Deray avec qui il vient de tourner le succès que fut La Piscine. Jean Cau et Claude Sautet se chargent d’écrire un premier jet succinct du script, histoire de le vendre à Belmondo. Mais ce dernier refuse de signer tant qu’il n’aura pas un scénario solide entre les mains. Delon a besoin de Belmondo, Belmondo le sait, et ce dernier se fait désirer. Plusieurs ébauches du script (écrites par Jean-Claude Carrière et Jacques Deray) et quelques réunions plus tard, Belmondo finit par accepter après un long jeu de piste. Mais à certaines conditions. C’est là que le match des égos va commencer et il sera savoureux.

Par contrat, les deux stars exigent un traitement identique. Sachant que Delon est producteur et qu’il a mis pas mal de billes dans l’affaire, il devra lâcher du lest. Premièrement, les deux acteurs devront avoir exactement le même temps de présence à l’écran. Des rumeurs évoquent aussi le même nombre de gros plans. Ensuite, l’ordre d’apparition des noms. Ce sera par ordre alphabétique, favorable à Belmondo au passage. Et l’équité doit régner en tout point, salaire, rôle, costumes et compagnie. Tout est pensé pour qu’aucun des deux n’ait le dessus sur l’autre. Un vrai casse-tête. Mais si certains craignaient un tournage compliqué, les choses se passeront relativement bien malgré deux trois micro-anicroches. Mais alors que l’on approchait de la fin du tournage, le dollar est fortement dévalué, ce qui impacte le film qui a été financé avec pas mal de capitaux américains venus de la Paramount. Delon est même obligé d’en céder les droits pour obtenir une rallonge afin de le terminer.

Le film achevé, l’heure de la promotion arrive. Et avec elle, les ennuis. En février 1070, le film est présenté en projection privée. Premier souci, des coupes ont été constatées dans le montage dont deux gros plans de Belmondo. Quelques jours plus tard, Borsalino sort et là, c’est la campagne publicitaire qui pose souci. La mention « Adel Productions présente » (Adel étant le nom de la société de production d’Alain Delon) a été remplacée par « Alain Delon Présente ». Vous vous souvenez que par contrat, l’ordre d’apparition des noms devait être par ordre alphabétique, favorable à Belmondo ? Sauf qu’avec cette ruse, Delon se retrouvait non seulement en premier, mais en plus à deux reprises au générique de début ! Idem sur l’affiche, ce que Bébel découvre au dernier moment, ainsi mis devant le fait accompli. « Pas très fair-play » dira t-il. Par conséquent, Belmondo refusera d’assister à la Première officielle et d’en assurer la promotion. Le film sortira bien malgré un règlement du litige au tribunal (gagné par Belmondo) et sera un gros succès avec 4.7 millions d’entrées. Bien des années après, toujours avec cette verve sympathique, Belmondo dira que « c’était des disputes d’amoureux, on était de grands copains de cinéma. La presse en a trop fait. » Et c’est vrai. Car en réalité, ces deux là que l’on a toujours vu comme des ennemis jurés façon Isabelle Huppert & Isabelle Adjani (qui se détestent vraiment pour le coup) sont des amis proches depuis toujours, depuis leurs débuts ensemble. Une amitié qu’ils n’ont jamais eu de cesse de cultiver en compétiteurs-copains. En conclusion, un extrait d’une interview de Delon accordée à Henri-Jean Servat pour Paris Match en 1998 : « Avec Jean-Paul, j’ai le sentiment depuis 40 ans de courir et de disputer un marathon. Tantôt il a été le premier, tantôt j’ai été le premier. Nous avons pendant longtemps couru dans un mouchoir de poche. Je crois avoir, jusqu’à maintenant, mené une carrière exceptionnelle. Je le dis sans orgueil mais avec fierté, et Jean-Paul, sur ce terrain, n’a rien à m’envier.« 

Par Nicolas Rieux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Close
Première visite ?
Retrouvez Mondocine sur les réseaux sociaux