Dans les semaines à venir, Pathé proposera de (re)découvrir au cinéma, quelques-unes des œuvres majestueuses d’un immense auteur du cinéma français, l’éclectique pourvoyeur de grands classiques du patrimoine hexagonal, Julien Duvivier. Julien Duvivier, c’est Pépé le Moko avec un Jean Gabin au sommet de son art, c’est l’excellent Panique, tourné au lendemain de la guerre avec Michel Simon, c’est la saga populaire des Don Camillo, l’hilarant La Fête à Henriette, le formidable Marie-Octobre, l’une de ses plus grandes réussites dans laquelle brillait l’immense Danielle Darrieux, c’est aussi l’ambitieux film à sketches Le Diable et les Dix Commandements, qui avait tenu le pari de réunir presque tous les visages du cinéma français de l’époque… Mais Julien Duvivier, c’est également le chef-d’œuvre La Belle Equipe, le drame extrêmement sombre Voici le temps des assassins, et la truculente comédie La Fin du Jour. Les deux premiers ont marqué sa fructueuse collaboration avec le charismatique Gabin, le troisième réunissait Louis Jouvet, Michel Simon et Victor Francen dans une maison de retraite pour vieux comédiens. Trois films restaurés par Pathé, qui réapparaîtront en salles tout au long du moins d’avril.
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Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : La Belle Equipe
Père : Julien Duvivier
Date de naissance : 1936
Majorité : 06 avril 2016
Type : Sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h35 / Poids : NC
Genre : Comédie, Drame
Livret de famille : Jean Gabin, Charles Vanel, Raymond Aimos, Vivianne Romance, Jacques Baumer…
Signes particuliers : A (re)découvrir au cinéma, en version restaurée et dans sa version inédite, le 06 avril prochain.
LA CRITIQUE
Résumé : Cinq ouvriers chômeurs parisiens, Jean, Charles, Raymond, Jacques et Mario, un étranger menacé d’expulsion, gagnent le gros lot de la loterie nationale. Jean a l’idée de placer cet argent en commun, dans l’achat d’un vieux lavoir de banlieue en ruine, qu’ils transformeront en riante guinguette dont ils seront les copropriétaires. Ils s’attellent à la besogne avec confiance. Mais la solidarité du groupe est fragile… Le destin s’acharne sur eux. Bientôt, il ne reste plus de la joyeuse équipe que Charles et Jean qui sont amoureux de la même femme, Gina….La Belle Equipe, ou un tort de l’histoire enfin réparé ! En 1936, la situation sociale et politique en France est particulièrement mouvementée. La grogne populaire gagne de l’ampleur, les mouvements de grève se multiplient, un ras-le-bol général embrase le pays, et le Front Populaire monte en force, prêt à remporter les élections de mai, avant de lancer ses célèbres réformes (réduction du temps de travail, création des congés payés et des conventions collectives) qui permettront aux classes moyennes et ouvrières de connaître un nouvel élan plein d’espoir. Dans le même temps, la situation en Europe inquiète. L’Espagne est au bord de la guerre civile, le nazisme grandit en Allemagne. C’est dans ce contexte entre optimisme et pessimisme, que Julien Duvivier réalisera La Belle Equipe, l’un de ses plus grands films, devenu culte probablement pour plusieurs raisons, ses qualités mais aussi le contexte de sa production. Réunissant quelques figures de l’époque telles que Jean Gabin ou Charles Vanel, Julien Duvivier, sur un scénario de l’illustre Charles Spaak, signe un film « d’amis » surfant sur l’esprit de cohésion sociale ouvrière et la camaraderie aux milles espoirs. Cinq chômeurs parisiens s’associent et jouent à la loterie. Gagnant le gros lot, ils décident d’investir l’argent tous ensemble, pour créer une guinguette et vivre une belle vie entre copains. Et La Belle Equipe de s’imposer comme une ode à l’amitié franche, à la solidarité, à l’espoir de nouveaux lendemains radieux plein de projets lumineux, le tout sur fond d’un délicieux populisme.Sauf que Julien Duvivier n’est pas de cette trempe là. Son cinéma, souvent sombre au passage, ne l’attirait pas vers la comédie douce et tranquille. Et la Belle Equipe de vrillait sous un jour plus dramatique. Alors que les coups durs s’enchaînent, que les désillusions se répètent, la solidarité du groupe de camarades en prend un coup. Et bientôt, « la belle équipe » de ne plus avoir franchement l’air d’une « joyeuse équipe« . Sauf que voilà, le film de Duvivier devait sortir en septembre 1936, alors que la vindicte de la rue s’était calmée et que le Front Populaire redonnait le sourire et l’espoir aux classes moyennes. La fin très pessimiste tournée par le cinéaste a soudainement effrayé ses producteurs, qui ont insisté auprès du metteur en scène, pour qu’il tourne une nouvelle fin plus « optimiste » en adéquation avec le climat social. Duvivier n’eut d’autre choix que de s’exécuter, laissant finalement une certaine gaieté et bonne humeur prendre le pas sur l’ensemble d’une œuvre au doux parfum mélancolique. Aujourd’hui, c’est justement le film avec cette fin d’origine que s’apprête à proposer Pathé. La Belle Equipe tel qu’il était à la base, sera donc à redécouvrir sur grand écran, à compter du 06 avril, et en version restaurée.
BANDE-ANNONCE :
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Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Voici le temps des assassins
Père : Julien Duvivier
Date de naissance : 1956
Majorité : 13 avril 2016
Type : Sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h53 / Poids : NC
Genre : Drame, Thriller
Livret de famille : Jean Gabin, Danièle Delorme, Gérard Blain, Robert Arnoux…
Signes particuliers : A (re)découvrir au cinéma, en version restaurée, le 13 avril prochain.
LA CRITIQUE
Résumé : André Chatelin, un restaurateur réputé des Halles de Paris, s’est pris d’affection pour le jeune Gérard. Un jour, Chatelin voit débarquer Catherine, la fille d’une ex-épouse apparemment décédée. Gérard tombe rapidement sous le charme de Catherine, alors que celle-ci lui confie ses sentiments pour Chatelin. Ce n’est que le début du projet machiavélique de la jeune femme…La noirceur du cinéma de Julien Duvivier, on la retrouvera plus tard (encore et toujours) au détour de Voici le Temps des Assassins, drame passionnel particulièrement sombre tourné en 1956 avec Jean Gabin, Danièle Delorme et Gérard Blain. Pire, si l’on devait même choisir un film incarnant tout le pessimisme du cinéaste, alors ce pourrait être ce Voici le Temps des Assassins et son misérabilisme empreint de sournoiserie, de manipulation, de trahisons et autres déceptions. Duvivier et son scénariste Maurice Bessy déploient une histoire glauque voyant une jeune femme fragile à la gueule d’ange, tromper et piéger un Jean Gabin devenu un jouet entre ses griffes machiavéliques. Dans Voici le Temps des Assassins, la lumière est absente. Tout (ou quasi) se passe de nuit, tout n’est que destruction et nihilisme, l’ambiance est hautement crépusculaire voire mortifère, parfois éventuellement mélancolique ou désabusée, mais rien ne sauvera les personnages de leur tragique et douloureuse déchéance.Comme dans La Belle Equipe, Duvivier malmène l’amitié sincère capable de se plier devant la faiblesse de la nature humaine. Derrière un grand Jean Gabin en restaurateur de talent (un rôle qui lui allait vraiment à merveille, lui l’amateur de bonne chère), le cinéaste propose un portrait de femme terrible, aucune dans le film n’ayant grâce à ses yeux, à commencer par une Danièle Delorme à laquelle il ne cherche jamais aucune excuse à son action, ou du moins si peu. Pourtant, le cinéaste n’a jamais été un quelconque misogyne, mais sa noirceur le conduit à illustrer le triste pathétisme du genre humain dans une intrigue dramatique plongeant dans les abysses de l’obscurité sans scrupules, de la violence tant morale que physique (quel final horriblement osé !), et de la méchanceté où tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. Probablement l’une des œuvres les plus torturées et funestes de l’immense metteur en scène français, Voici le Temps des Assassins est un bijou interdit aux moins de 16 ans en son temps. Un bijou à redécouvrir au cinéma à compter du 13 avril, en version restaurée.
BANDE-ANNONCE :
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Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : La Fin du Jour
Père : Julien Duvivier
Date de naissance : 1939
Majorité : 20 avril 2016
Type : Sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h48 / Poids : NC
Genre : Comédie dramatique
Livret de famille : Louis Jouvet, Michel Simon, Victor Francen, Madeleine Ozeray…
Signes particuliers : A (re)découvrir au cinéma, en version restaurée, le 20 avril prochain.
LA CRITIQUE
Résumé : L’abbaye de Saint-Jean-la-Rivière menace de fermer ses portes. Ce qui serait une tragédie pour ses occupants, tous de vieux comédiens sans ressource. Saint-Clair, acteur autrefois adulé et grand séducteur de femmes, vient justement d’y faire son entrée. Tous les pensionnaires sont en émoi. Et en particulier Marny, dont la femme fût autrefois la maîtresse de Saint-Clair, et Cabrissade, artiste de second ordre…Heureusement, Julien Duvivier avait suffisamment de cordes à son arc pour ne pas s’être enfermé dans un même type de cinéma tout au long de sa prolifique carrière. En 1939, le cinéaste signera la comédie La Fin du Jour. Duvivier revenait de sa première parenthèse américaine (Strauss en 1938) et accouche d’une petite poignée de longs-métrages dont cet émouvant La Fin du Jour, tout juste avant du repartir outre-Atlantique après le début de la guerre, le réalisateur ayant refusé, à l’inverse d’un Carné, de composer avec le nouveau régime et ses règles. Michel Simon, Louis Jouvet et Victor Francen y incarnaient trois anciens comédiens, désormais pensionnaires « d’une maison de retraite pour acteurs ». Le principe baignait dans une délicieuse loufoquerie et de son aveu, La Fin du Jour restera comme le film préféré de Duvivier dans toute sa carrière. On peut le comprendre.On a souvent fait l’éloge du maestro de la réplique qu’était Michael Audiard. Mais l’illustre dialoguiste n’était pas le seul capable d’écrire des lignes de texte qui faisaient mouche. Charles Spaak aura également illuminé le cinéma français par son talent (Jean Aurenche aussi). Au scénario en collaboration avec Duvivier, le célèbre scénariste fait couler du miel dans nos oreilles avec La Fin du Jour, film de l’exquise saveur excite les papilles dans un mélange de drôlerie cocasse et de tendresse bouleversante. Une nouvelle fois, le pessimisme et la noirceur évoqués du cinéma de Duvivier ne rôdaient pas bien loin des entournures de cette comédie dramatique gracieusement balancée entre amère nostalgie crépusculaire et joyeuse déclaration d’amour à la grande famille des comédiens. Du rire aux larmes, La Fin du Jour est un délice, offrant à Louis Jouvet un rôle de séducteur cynique effroyable et à Michel Simon, l’une de ses plus belles apparitions à l’écran. Avec La Fin du Jour, Duvivier se livre à un hommage lucide sur un monde qu’il connaît bien, lui qui aura fait joué devant sa caméra, la quasi-totalité du cinéma français de son temps. Tour à tour, le cinéaste porte aux nues ces artistes qui ont consacré leur vie à donner du plaisir aux autres, puis, dans un subtil revers de main, égratigne leur microcosme, les montrant par moments comme des égocentriques, des jaloux ou des capricieux nombrilistes. Les montrant aussi comme déraisonnables mais après tout, comme le dit Michel Simon via son personnage haut en couleurs, « Être raisonnable, c’est vieillir et je ne veux pas vieillir« . La Fin du Jour est un petit bijou souvent oublié dans la carrière de Julien Duvivier, et c’est bien dommage car il mérite d’être réhabilité de toute urgence, d’autant que c’est l’une de ses plus belles réussites. Louis Jouvet aurait pu dire « Chef-d’œuvre, vous avez dit chef-d’œuvre ? Comme c’est bizarre…«
BANDE-ANNONCE :
Disponible très prochainement.
Par Nicolas Rieux